Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 13 octobre 2004 Rejet
Sur les faits et la procédure :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces
de procédure que, dans la nuit du 19 au 20 avril 1999, la paillote-restaurant
"Chez Francis", située à Coti Chiavari, près d'Ajaccio,
sur le domaine public maritime, et exploitée par les époux Y...
et la société Serena venant aux droits de la société
"Chez Francis", a été détruite par un incendie
; que, sur les lieux du sinistre, ont été retrouvés des tracts
portant l'inscription "Y... balance des flics" ainsi que divers objets
dont un poste de radio émetteur-récepteur encore allumé dont
on découvrira ultérieurement qu'il appartenait au Groupe de pelotons
de sécurité (GPS) placé sous l'autorité du capitaine
de gendarmerie Norbert C..., lui-même placé sous les ordres du colonel
Henri A..., chef de la légion de gendarmerie de Corse ; qu'une information
judiciaire a été ouverte le 26 avril 1999 du chef de destruction
d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'un incendie commise en bande
organisée ; que le magistrat instructeur a été saisi, par
un réquisitoire supplétif du 10 mai 1999, de la destruction par
incendie d'une autre paillote, "Aria Marina", survenue le 7 mars 1999
à Ajaccio ; que les investigations menées dans le cadre de l'enquête
puis de l'information ont conduit à la mise en examen puis au renvoi devant
le tribunal correctionnel, notamment, de Henri A..., des chefs de destruction
par incendie d'un bien appartenant à autrui, à savoir la paillote
"Aria Marina", et de complicité de ce délit, en ce qui
concerne la paillote "Chez Francis", ainsi que du préfet de région,
Bernard X..., pour complicité de ces destructions ;
Sur le troisième moyen de cassation, proposé par Me Choucroy pour
Henri A..., pris de la violation des articles 322-6 et 122-4, alinéa 2,
du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut
et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Henri
A... coupable de destruction de biens appartenant à autrui par l'effet
d'un incendie et de complicité de cette infraction ;
"aux motifs que les paillotes étant propriété de l'Etat,
entité juridique distincte de chacun des prévenus en sorte que l'élément
constitutif du délit relatif à l'appartenance du bien détruit
à autrui est bien rempli ; que si l'ordre de détruire un bien construit
sans autorisation administrative sur le domaine public ou dont la démolition
a été ordonnée par décision de justice est légitime
venant de l'autorité préfectorale, il devient manifestement illégal
lorsque des instructions sont données pour que la destruction se fasse
de manière clandestine avec utilisation d'un procédé dangereux
et en l'absence de réquisition de la force publique pour assurer la sécurité
des biens et des personnes ; que le fait de laisser sur place des tracts destinés
à égarer les enquêteurs sur l'identité des auteurs,
fait compris dans les éléments portés à l'appréciation
de la Cour, même s'il ne fait pas l'objet de poursuites distinctes, démontre
au demeurant que pour l'autorité donneur d'ordre, l'illégitimité
de l'action elle-même était évidente ; que Gérard D...
et Henri A..., respectivement sous-préfet et colonel de gendarmerie, ne
pouvaient ignorer le caractère manifestement illégal d'une destruction
par incendie, de nuit, en laissant des tracts sur place ; qu'aucun élément
du dossier ne permet de soutenir que la situation en Corse au moment des faits
exigeât que les paillotes soient détruites de manière clandestine
;
qu'à supposer même que la théorie des circonstances exceptionnelles,
avancée par les prévenus, puisse s'appliquer en droit pénal,
elle s'avère en conséquence dénuée de toute pertinence
;
"alors que, d'une part, la Cour qui a for- mellement reconnu que le préfet
de Corse pouvait légalement ordonner la destruction des paillotes implantées
sans autorisation sur le domaine public maritime et qui, de ce fait, étaient
devenues propriété de l'Etat, a violé l'article 322-6 du
Code pénal qui ne réprime que la destruction du bien d'autrui, en
décidant que l'élément constitutif de cette infraction résultant
de l'appartenance du bien détruit à autrui était réuni
parce que ni le préfet, qui avait donné l'ordre de destruction,
ni ses subordonnés qui l'avaient exécuté, n'étaient
propriétaires des paillotes, les pouvoirs reconnus par les juges du fond
au préfet de Corse représentant de l'Etat dans ce département
faisant nécessairement disparaître l'élément constitutif
de l'infraction poursuivie résultant de l'appartenance à autrui
du bien détruit ;
"alors, d'autre part, que les juges du fond qui ont formellement constaté
que le préfet de Corse s'était trouvé dans une situation
exceptionnelle eu égard aux circonstances de sa nomination par le gouvernement
qui en avait fait le pivot de l'action publique dans cette île en lui accordant
une grande liberté d'initiative après l'assassinat de son prédécesseur,
que cette situation très difficile, avait nécessairement rejailli
sur l'image qu'en avait eue ses collaborateurs et qui ont également déclaré
que ce préfet pouvait légitimement ordonner, comme il l'avait fait,
la destruction des paillotes illégalement édifiées sur le
domaine public maritime, se sont mis en contradiction manifeste avec leurs propres
constatations en refusant néanmoins de reconnaître au prévenu
le bénéfice des dispositions de l'article 122- 4, alinéa
2, du Code pénal sous prétexte que celui-ci ne pouvait ignorer le
caractère manifestement illégal de l'ordre de destruction qui avait
été donné par le préfet en raison de ses conditions
de clandestinité, celles-ci découlant à l'évidence
des circonstances exceptionnelles dont la Cour a pourtant reconnu la réalité"
;
Attendu que, pour écarter le fait justificatif du commandement de l'autorité
légitime, prévu par l'article 122-4, alinéa 2, du Code pénal,
l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, après
avoir rappelé que Bernard X..., préfet de région,
était une autorité légitime au sens du texte
précité, relève que Henri A..., colonel de gendarmerie,
n'a pu se méprendre sur le caractère manifestement illégal
de l'ordre donné, y compris dans une situation de crise exceptionnelle,
alors que les destructions ordonnées devaient se faire de manière
clandestine, en utilisant un moyen dangereux sans requérir la force publique
pour assurer la sécurité des personnes et des biens, et en laissant
sur les lieux des tracts diffamatoires destinés à égarer
les enquêteurs sur l'identité des auteurs des faits ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, l'arrêt n'encourt
pas les griefs allégués ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Publication : Bulletin criminel 2004 N° 243 p. 885