Cour de cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 19 février 1959
Rejet

REJET du pourvoi de Reminiac, contre un arrêt de la Cour d'appel de Bourges, en date du 6 mars 1958, le condamnant à trois mois d'emprisonnement avec sursis, 150000 francs d'amende et à des réparations civiles pour coups et blessures volontaires, refus d'assistance à une personne en péril.
LA COUR, Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen pris de la violation et fausse application des articles 309, 328, 329 du Code pénal et 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut, insuffisance, contradiction et non-pertinence de motifs et manque de base légale ;
En ce que l'arrêt attaqué a prononcé contre un prévenu une condamnation pour coups et blessures, alors qu'il constate que ledit prévenu, lorsqu'il a tiré sur la victime, repoussait pendant la nuit l'escalade et l'effraction de la maison qu'il habite et de ses dépendances, au motif que le prévenu aurait su que la victime ne venait ni pour le voler, ni pour le tuer, mais pour voir sa bonne,
alors que la présomption de l'article 329 est irréfragable, le texte de la loi ne permettant aucune distinction selon les intentions de l'auteur de l'escalade ou de l'effraction, ni selon la connaissance qu'en pourrait avoir l'auteur de l'acte de défense, qui est nécessairement légitime dès lors que les conditions prévues par la loi sont réalisées ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, dans la nuit du 11 septembre 1954, Tison s'est présenté au domicile de Reminiac pour rendre visite à une domestique dont il avait été autrefois l'amant et qu'il continuait de fréquenter ; que s'étant vu refuser l'accès de la maison en raison de son état d'ivresse, Tison brisa deux carreaux de fenêtre et une imposte à l'aide d'un pieu arraché à une clôture, puis pénétra dans le jardin attenant à l'édifice en escaladant la toiture d'un garage ;
Que Reminiac, qui avait vainement tenté d'exhorter le perturbateur à la raison, alla alors chercher un révolver dans son bureau, le chargea et l'arma posément, puis se rendit dans une pièce du premier étage, se posta à une fenêtre et tira deux coups de feu dans la direction où il supposait que se trouvait Tison, qu'il avait cessé de voir et d'entendre depuis un certain temps ; que ce dernier fut atteint d'une balle au poumon et grièvement blessé, alors qu'il se tenait derrière les buissons du jardin et fumait une cigarette ;
Attendu qu'en l'état des faits constatés, la Cour d'appel a pu, sans violer les articles 328 et 329 du Code pénal, refuser d'en faire application en l'espèce ; Que si, notamment, le premier paragraphe de l'article 329 dont le prévenu réclamait le bénéfice, déclare légitimes le meurtre commis, les blessures faites ou les coups portés pour repousser de nuit l'escalade ou l'effraction des murs et clôtures des maisons habitées ou de leurs dépendances, il s'agit là d'une présomption légale qui, loin de présenter un caractère absolu et irréfutable, est susceptible de céder devant la preuve contraire ; que le texte dont s'agit ne saurait justifier des actes de violence lorsqu'il est démontré qu'ils ont été commis en dehors d'un cas de nécessité actuelle et en l'absence d'un danger grave et imminent dont le propriétaire ou les habitants de la maison aient pu se croire menacés dans leurs personnes ou dans leurs biens ;
Attendu que les juges du fond ayant, par des motifs suffisants et non contradictoires entre eux, souverainement constaté l'absence de pareilles circonstances en l'espèce, ils ont, par là même, justifié leur décision et que le moyen doit être rejeté ;
(...)
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.

Publication : Bulletin 1959 n° 121
GA n° 23
Dalloz 1959 p. 161, note M.R. - M.P..
JCP 1959 II p. 11112, note BOUZAT.
Revue de science criminelle 1959 p. 839, observations LEGAL