CASSATION, sur le pourvoi formé par N., contre l'arrêt
de la Chambre des mises en accusation de la Cour d'Appel d'Aix du 4 mars 1954
qui l'a renvoyé devant la Cour d'Assises des Bouches-du-Rhône pour
complicité de meurtre.
LA COUR, Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 59, 60,
295 et 34 du Code Pénal, de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut
de motifs et manque de base légale en ce que l'arrêt attaqué
a renvoyé N. devant la Cour d'Assises au motif qu'il y avait
contre lui charges suffisantes d'avoir procuré à R. les armes
qui lui ont servi à commettre l'homicide volontaire sur la personne de
Lagier sachant qu'elles devaient servir à un meurtre ce qui constituerait
le crime prévu par les articles 59 et 60 du Code Pénal,
alors que la complicité par fourniture de moyens pour accomplir un crime
ne peut exister qu'autant que celui qui est réputé complice a
fait cette fourniture en sachant que le moyen fourni par lui devait servir à
l'accomplissement de ce crime ; qu'en conséquence le crime réellement
perpétré étant différent de celui auquel il croyait
coopérer la complicité de N. ne pouvait être déclarée
établie en l'espèce ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 60 du Code Pénal seront
punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit
ceux qui auront procuré des armes, des instruments ou tout autre
moyen qui aura servi à l'action sachant qu'ils devaient
y servir ;
Attendu que l'arrêt attaqué énonce que N. aurait
chargé R. de se rendre chez Santini, son débiteur pour l'obliger
à rembourser le montant d'un prêt qu'il lui avait consenti ; que
dans le but de lui permettre d'accomplir cette démarche avec succès
et éventuellement contraindre Santini à ce remboursement, N.
aurait remis à R. deux pistolets automatiques ; que s'étant
rendu au domicile de Santini qu'il n'aurait pu joindre, R. aurait été
interpelé par Lagier, mari de la concierge de l'immeuble, qui, après
quelques mots échangés, l'aurait menacé d'appeler la police
; que R. aurait alors tiré sur Lagier et l'aurait blessé mortellement
;
Attendu que l'arrêt attaqué ajoute que l'arme dont s'est servi
R. pour tuer Lagier était l'une de celles remises par N.,
que le meurtre de Lagier s'inscrit donc comme un incident dans le cadre d'une
action criminelle dirigée par N. contre Santini et que N.
s'est ainsi rendu complice du meurtre commis par R. ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a violé
les dispositions de l'article 60 susvisé ;
Qu'en effet, en l'état de ces constatations, il n'apparaît
pas qu'il existe entre le meurtre commis R. sur la personne de Lagier
et la remise de l'arme qui a servi à la consommation
de ce crime la relation, exigée par les dispositions dudit article,
de laquelle on pourrait induire que N. a remis l'arme à R.
sachant que ce dernier s'en servirait pour tuer Lagier ;
Que si N. a pu se rendre coupable de complicité, de tentative
d'extorsion de fonds ou même de tentative d'assassinat ainsi que d'association
de malfaiteurs, il ne saurait en l'état être renvoyé
devant la Cour d'Assises pour complicité du meurtre commis par
R. sur la personne de Lagier ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé en tant qu'il a renvoyé
N. devant la Cour d'Assises des Bouches-du-Rhône pour complicité
d'homicide volontaire, toutes autres dispositions de l'arrêt restant expressément
maintenues, et renvoie la cause et les parties en l'état où elles
se trouvent devant la Chambre des mises en accusation de la Cour d'Appel de
Nîmes.
Publication : Bulletin 1955 n° 34
GA n° 35
Dalloz 1955 p. 291, note CHAVANNE.
Revue de science criminelle 1955 p. 513, observations LEGAL