Cour de cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 13 janvier 1955
Cassation

CASSATION, sur le pourvoi formé par N., contre l'arrêt de la Chambre des mises en accusation de la Cour d'Appel d'Aix du 4 mars 1954 qui l'a renvoyé devant la Cour d'Assises des Bouches-du-Rhône pour complicité de meurtre.
LA COUR, Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 59, 60, 295 et 34 du Code Pénal, de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et manque de base légale en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé N. devant la Cour d'Assises au motif qu'il y avait contre lui charges suffisantes d'avoir procuré à R. les armes qui lui ont servi à commettre l'homicide volontaire sur la personne de Lagier sachant qu'elles devaient servir à un meurtre ce qui constituerait le crime prévu par les articles 59 et 60 du Code Pénal,
alors que la complicité par fourniture de moyens pour accomplir un crime ne peut exister qu'autant que celui qui est réputé complice a fait cette fourniture en sachant que le moyen fourni par lui devait servir à l'accomplissement de ce crime ; qu'en conséquence le crime réellement perpétré étant différent de celui auquel il croyait coopérer la complicité de N. ne pouvait être déclarée établie en l'espèce ;

Vu lesdits articles ;
Attendu qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 60 du Code Pénal seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui auront procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui aura servi à l'action sachant qu'ils devaient y servir ;
Attendu que l'arrêt attaqué énonce que N. aurait chargé R. de se rendre chez Santini, son débiteur pour l'obliger à rembourser le montant d'un prêt qu'il lui avait consenti ; que dans le but de lui permettre d'accomplir cette démarche avec succès et éventuellement contraindre Santini à ce remboursement, N. aurait remis à R. deux pistolets automatiques ; que s'étant rendu au domicile de Santini qu'il n'aurait pu joindre, R. aurait été interpelé par Lagier, mari de la concierge de l'immeuble, qui, après quelques mots échangés, l'aurait menacé d'appeler la police ; que R. aurait alors tiré sur Lagier et l'aurait blessé mortellement ;
Attendu que l'arrêt attaqué ajoute que l'arme dont s'est servi R. pour tuer Lagier était l'une de celles remises par N., que le meurtre de Lagier s'inscrit donc comme un incident dans le cadre d'une action criminelle dirigée par N. contre Santini et que N. s'est ainsi rendu complice du meurtre commis par R. ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a violé les dispositions de l'article 60 susvisé ;
Qu'en effet, en l'état de ces constatations, il n'apparaît pas qu'il existe entre le meurtre commis R. sur la personne de Lagier et la remise de l'arme qui a servi à la consommation de ce crime la relation, exigée par les dispositions dudit article, de laquelle on pourrait induire que N. a remis l'arme à R. sachant que ce dernier s'en servirait pour tuer Lagier ;
Que si N. a pu se rendre coupable de complicité, de tentative d'extorsion de fonds ou même de tentative d'assassinat ainsi que d'association de malfaiteurs, il ne saurait en l'état être renvoyé devant la Cour d'Assises pour complicité du meurtre commis par R. sur la personne de Lagier ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé en tant qu'il a renvoyé N. devant la Cour d'Assises des Bouches-du-Rhône pour complicité d'homicide volontaire, toutes autres dispositions de l'arrêt restant expressément maintenues, et renvoie la cause et les parties en l'état où elles se trouvent devant la Chambre des mises en accusation de la Cour d'Appel de Nîmes.

Publication : Bulletin 1955 n° 34
GA n° 35
Dalloz 1955 p. 291, note CHAVANNE.
Revue de science criminelle 1955 p. 513, observations LEGAL