Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 25 octobre 1962 Rejet
La Cour,
Vu la dépêche du Garde des Sceaux en date du 29 décembre 1961
;
Vu la requête du procureur général en date du 8 février
1962 ;
vu l'article 620 du Code de procédure pénale ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 2 du Code pénal,
défaut de motif, manque de base légale ;
Attendu qu'il résulte de l'exposé des faits de l'arrêt attaqué
que A., docteur en médecine et familier d'une Dame Y., aurait conçu
le projet d'attenter à la vie d'un sieur V., fils adoptif de ladite dame
Y., avec laquelle celui-ci vivait en mauvaise intelligence et aurait chargé
B., hôtelier au Cap-d'Antibe, d'exécuter ce projet ; qu'il aurait
eu avec B., au cours du mois de novembre 1957, divers entretiens, au cours desquels
il aurait dépeint V., alors sous-lieutenant de parachutistes à Alger,
comme étant le déshonneur de sa famille et la honte de l'armée
; que B., bien que répugnat à accomplir l'acte qui lui était
demandé, et résolu, dès le début à ne pas le
commettre, aurait cependant donné le change sur ses intentions et feint
d'accepter de jouer le rôle qui lui était proposé pour éviter
que d'autres en fussent chargés ; qu'il aurait, en conséquence,
accepté de multiplier avec A. des entrevues qui auraient abouti de la part
de celui-ci à un premier versement de trois millions, sur les treize millions
qui devaient être le prix du service rendu, à la désignation
de la victime le 27 novembre au bar de l'hôtel Aletti à Alger, à
des démarches répétées en décembre 1957 et
janvier 1958 pour hâter le moment de passer à l'action, à
s'enquérir de l'emploi du temps de V., libéré du service
militaire et élève steward à l'aéroport d'Orly, et
enfin à arrêter le moment, le lieu et les modalités du meurtre
;
Que le 28 janvier 1958, après avoir, la veille, informé V. de l'agression
dont il était menacé et obtenu de lui qu'il secondât ses desseins,
B. aurait procédé à un simulacre d'enlèvement, persuadé
A. de l'accomplissement de sa mission et obtenu de lui le jour même et le
lendemain, en trois versements, les dix millions complémentaires dont l'octroi
était conditionné pour la réussite de l'entreprise ;
Attendu que l'arrêt attaqué ajoute qu'en dépit de certaines
erreurs et contradictions dont la matérialité n'est pas discutable
et des dénégations de A. qui, tout en reconnaissant avoir eu avec
B. des contacts répétés à l'époque des faits,
entends les placer sous le signe exclusif d'opérations immobilières
dont il avait été chargé, la déposition de B., partiellement
vérifiée exacte par les données de la procédure, est
susceptible de retenir l'attention dans la mesure où peuvent s'en dégager
les éléments d'une infraction à la loi pénale ; que
si l'information ne permet de concevoir aucun doute sur la résolution criminelle
de l'inculpé et sur la persistance de sa volonté homicide jusqu'à
l'acte final auquel elle tendait, il importe de rechercher si, dans la phase de
réalisation des faits, certains actes matériels peuvent caractériser
un commencement d'exécution ; qu'en donnant des instructions à un
tiers, et en lui remettant des fonds en vue de commettre un meurtre, de même
qu'en lui désignant la victime, et en préparant les modalités
d'un enlèvement dont la perpétration était confiée
audit tiers, A. n'était pas engagé personnellement dans la phase
d'exécution du meurtre ; qu'il l'était d'autant moins que celui
dont il attendait l'intervention lui avait, en fait refusé son concours
; que les actes relevés à sa charge n'ayant pas un lien suffisamment
direct et immédiat avec l'action de tuer ne peuvent être considérés
comme étant constitutifs d'un commencement d'exécution; que ces
actes répondent, sans doute, à la définition de la complicité
donnée par l'article 60, § 1er, du Code pénal, mais échappent
à la répression, par suite de la défaillance de B. ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré
n'y avoir lieu à suivre au motif que l'agent avait volontairement inexécuté
l'ordre de tuer la victime, alors que les agissements de l'inculpé qui
avait accompli tous les actes matériels lui incombant et devant aboutir
à la consommation du crime constituait un commencement d'exécution
punissable, ladite tentative n'ayant manqué son effet que par des circonstances
indépendantes de sa volonté ;
Mais attendu qu'en l'état des constatations de fait précitées,
les juges du fond ont pu déclarer qu'aucune infraction punissable ne pouvait
être relevée contre A. et ainsi justifier leur décision de
non-lieu ; qu'il en résulte, en effet, que les actes retenus à la
charge dudit A., inculpé de meurtre dont l'exécution matérielle
avait été confiée à B. et ne sauraient être
considérés comme un commencement d'exécution n'est caractérisé
que par des actes devant avoir pour conséquence directe et immédiate
de consommer le crime, celui-ci étant ainsi entré dans la période
d'exécution ; Qu'en outre, si ces mêmes actes pouvaient être
qualifiés d'actes de complicité soit par provocation, soit par instruction
données, ils ne sauraient tomber sous le coup de la loi pénale,
en l'absence d'un fait principal punissable ; Qu'enfin, il en est de même,
en ce qui concerne la provocation non suivie d'effet, lorsque cette provocation
n'est pas prévue et réprimée par un texte formel ;
REJETTE le pourvoi.
Bull. crim. 1962, p. 606, n° 292
GA n° 33
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