Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 11 avril 2012

N° de pourvoi: 10-86974
Publié au bulletin Cassation partielle

Statuant sur le pourvoi formé par :- La société Gauthey, contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 6 mai 2010, qui, pour blessures involontaires et infraction à la sécurité des travailleurs, l'a condamnée à 10 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-2, 121-3, 222-19 et 222-21 du code pénal ainsi que des articles L. 4741-1, L. 4141-1 et suivants du code du travail, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société Gauthey coupable des délits de blessures involontaires par personne morale avec ITT supérieure à trois mois dans le cadre du travail et d'embauche de travailleur sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité et l'a condamnée, en répression, à 10 000 euros d'amende ;

"aux motifs que c'est à juste titre que le tribunal a considéré qu'il était établi que l'inattention de M. X... était en lien de causalité direct avec les blessures subies par M. Y... ; que sa décision, qui n'est pas querellée par le prévenu, sera, en conséquence, confirmée sur la culpabilité comme sur la peine qui constitue une juste application de la loi pénale ; que selon les constatations de l'inspection du travail et des enquêteurs du commissariat de Chambéry, l'accident dont a été victime M. Y... s'est produit sur un chantier aux dimensions réduites par la présence d'une tranchée profonde et d'une pelle mécanique d'un gabarit très important ; que de fait, tous les salariés, qui évoluaient dans un périmètre exigu, se trouvaient en permanence dans le rayon d'action de l'engin, alors qu'ils étaient chargés de l'exécution de travaux difficiles et techniques, qui comportaient des risques d'ensevelissement, des risques de chute et des risques d'interférence entre engin et travailleurs à pied devant manutentionner des équipements lourds et volumineux comme des panneaux de blindage ; qu'il était ainsi extrêmement difficile, voire impossible, pour ces derniers, de respecter les consignes générales écrites leur proscrivant d'entrer dans le rayon d'action de la pelle mécanique ou les obligeant à rester dans le champ de vision du conducteur de la pelleteuse ; que des instructions de sécurité précises et adaptées à la configuration spécifique de ce chantier étaient donc nécessaires ; qu'or, il est constant que si M. Y... a bénéficié le 27 septembre 2007 d'une formation aux principes généraux de sécurité à respecter sur les chantiers, il n'a pas été destinataire des consignes particulières de sécurité qui ont été dispensées le 7 mars 2008 et qui attiraient l'attention des ouvriers sur les risques spécifiques du chantier, à savoir des postes au contact direct et permanent de l'engin à fort gabarit, sur un périmètre exigu et limité par une tranchée profonde ; que la victime est ainsi intervenue, pour la première fois, sur un chantier de ce type, sans avoir reçu la formation pratique et appropriée qui devait avoir pour objet de lui enseigner, à partir des risques auxquels elle était exposée, les comportements et les gestes les plus sûrs ; que le seul avertissement du chef de chantier de "faire attention à la pelle" tel que relaté par les autres ouvriers, ne saurait constituer une formation pratique et appropriée au sens des articles R. 4142 R. 4141 -13 et 14 du code du travail ; qu'il en résulte qu'à défaut de l'avoir dispensée, la personne morale qui employait M. Y... a créé la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter ; que les infractions reprochées à la société Gauthey étant en conséquence caractérisées en tous leurs éléments constitutifs, la cour réforme le jugement entrepris, la déclare coupable des délits qui lui sont reprochés et la condamne, en répression, à 10 000 euros d'amende ;

"1) alors qu'il résulte de l'article 121-2 du code pénal que les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s'il est établi qu'une infraction a été commise pour leur compte par leurs organes et leurs représentants ; que ne satisfait pas à cette condition la cour d'appel qui se borne à énoncer que le seul avertissement d'un chef de chantier « de faire attention à la pelle » ne saurait constituer une formation pratique adaptée à la configuration particulière du chantier et qu'à défaut « la personne morale qui employait M. Y... a créé la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter » ; qu'en s'abstenant de rechercher si le manquement incriminé sur le chantier litigieux avait été commis par des organes ou des représentants de la société, jouissant d'une délégation, la cour de Chambéry a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé ;

"2) alors que ne caractérise pas le manquement à l'obligation des représentants de la personne morale de dispenser une « formation pratique et appropriée », la cour de Chambéry qui se prononce, en référence au chapitre II du titre deuxième de la quatrième partie du code du travail relatif aux « formations et mesures d'adaptation particulières », laquelle ne comporte pas les articles visés R. 4142-13 et R. 4142-14, en réalité inexistants ; qu'en statuant de la sorte la cour de Chambéry a derechef violé l'article L. 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

"3) alors que la cour d'appel a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait estimé que l'accident avait été directement causé par l'inattention de M. X... qui avait pris l'initiative de déplacer le godet de la pelle mécanique qu'il conduisait alors qu'il ne devait pas le faire sans ordre exprès ; qu'elle a, par ailleurs constaté, d'une part, que M. Y... avait suivi le 27 septembre 2007 une formation sur les principes généraux de sécurité à respecter sur les chantiers et d'autre part, que le chantier au cours duquel l'accident est survenu présentait des caractéristiques telles qu'il était « extrêmement difficile, voire impossible » pour les salariés de respecter les consignes générales «leur proscrivant d'entrer dans le champ d'action de la pelle mécanique ou les obligeant à rester dans le champ de vision du conducteur de la pelleteuse» ; qu'en estimant que la formation dispensée au salarié victime, M. Y..., était insuffisante de sorte que la société Gauthey aurait manqué à son obligation de dispenser une formation pratique et appropriée sur la sécurité du travailleur et qu'elle avait, par là même, commis une imprudence fautive ayant causé l'accident sans préciser quels éléments d'information supplémentaires, par rapport à ceux reçus lors de la journée de formation du 27 septembre 2007, auraient pu et dû être dispensés au salarié, la cour d'appel n'a pas caractérisé le manquement de l'employeur et n'a pas justifié légalement sa décision au regard des textes visés au moyen ;

"4) alors que le délit de blessures involontaires suppose l'existence d'un lien de causalité entre le fait reproché et les blessures subies ; que la cour d'appel a constaté, d'une part, que le chantier au cours duquel l'accident est survenu présentait des caractéristiques telles qu'il était « extrêmement difficile, voire impossible » pour les salariés de respecter les consignes générales « leur proscrivant d'entrer dans le champ d'action de la pelle mécanique ou les obligeant à rester dans le champ de vision du conducteur de la pelleteuse » et, d'autre part, que l'inattention de M. X..., qui avait pris l'initiative de déplacer le godet de la pelle mécanique qu'il conduisait alors qu'il ne devait pas le faire sans ordre exprès, était en lien de causalité direct avec ledit accident ; qu'en ne précisant pas en quoi l'accident survenu le 13 mars 2008 aurait été évité si M. Y... avait suivi une formation supplémentaire, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre le prétendu manquement et l'accident et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance de la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour déclarer la société Gauthey coupable de blessures involontaires et d'infraction à la sécurité des travailleurs, à la suite d'un accident du travail subi par M. Y..., salarié sous contrat de professionnalisation qui avait oeuvré sur un chantier de cette entreprise, la cour d'appel, infirmant sur ce point le jugement entrepris, retient par les motifs repris au moyen qu'à défaut d'avoir dispensé une formation pratique et appropriée, la personne morale a créé la situation ayant permis la réalisation du dommage ou n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans mieux rechercher si les manquements relevés résultaient de l'abstention d'un des organes ou représentants de la société Gauthey, et s'ils avaient été commis pour le compte de cette société, au sens de l'article 121-2 du code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs : CASSE ET ANNULE

Publication : Bulletin criminel 2012, n° 94

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 11 octobre 2011

N° de pourvoi: 10-87212
Publié au bulletin Cassation

Statuant sur le pourvoi formé par :- La société Electricité de France, contre l'arrêt de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, chambre correctionnelle, en date du 16 septembre 2010, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à 30 000 euros d'amende ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-2, 121-3, 221-6 du code pénal, préliminaire, 515, 551, 591 à 593 du code de procédure pénale, L. 230-2 du code du travail, (désormais articles L. 4121-1 et L. 4121-2), 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de base légale, violation de la loi ;

"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement déféré sur l'action publique ayant déclaré la société EDF, personne morale, coupable du délit d'homicide involontaire et l'ayant condamnée à la peine de 30 000 euros d'amende ;

"aux motifs que, sur la mise en jeu de la responsabilité pénale de la société EDF, les premiers juges ont opéré une exacte application du droit aux faits en considérant que l'omission dans la prévention afférente à la société EDF de l'identité des auteurs ayant commis des manquements constitutifs du délit d'homicide, n'est pas de nature à faire grief, dès lors que l'infraction n'a pu être commise que par ses organes ou représentants, en l'espèce MM. X... et Y... ; que cela est d'autant plus vrai à présent que le manquement de ceux-ci à une obligation de sécurité résulte désormais d'une décision de justice devenue définitive ; que ces premiers juges ont aussi à juste titre estimé que le statut de ces derniers et leurs attributions clairement définies en font des représentants de la société EDF, nonobstant l'absence formelle de délégation de pouvoirs ;

"1) alors que les personnes morales sont pénalement responsables des infractions commises pour leur compte par les personnes physiques disposant d'un pouvoir de diriger et d'engager la personne morale à l'égard des tiers, agissant ainsi en qualité de représentants de celle-ci ; qu'en retenant que MM. Y... et X... avaient la qualité de représentants de la société EDF, engageant ainsi la responsabilité pénale de cette personne morale, en raison de leur statut et de leurs attributions, sans en préciser le contenu ni caractériser en quoi le statut et les attributions de ces deux agents de maîtrise conduiraient à leur voir reconnaître un pouvoir de direction et de représentation de la société EDF, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2) alors que l'autorité de la chose jugée n'a qu'une portée relative et que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans les limites fixées par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'en considérant que la société EDF engageait sa responsabilité pénale à plus forte raison dès lors que les condamnations de MM. Y... et X... étaient devenues définitives, la cour d'appel a méconnu le principe de l'effet dévolutif de l'appel et a ainsi violé l'article 515, alinéa 1, du code de procédure pénale ;

"aux motifs que, sur le manquement imputé à la société EDF à une obligation de sécurité, la prévention libellée avec rigueur et clarté, en ce qui concerne le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, se réfère expressément aux dispositions de l'article L. 230-2 du code du travail ; que cette disposition prévoit notamment que le chef d'établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l'établissement, y compris des travailleurs temporaires, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ; qu'il doit aussi en vertu de ce texte évaluer les risques, planifier la prévention et donner les instructions appropriées aux travailleurs ; que le rapport rigoureux et circonstancié établi le 22 juillet 2004 sur l'accident du travail dont a été victime M. Z... par l'inspection du travail, souligne en termes particulièrement péremptoires : « l'insuffisante évaluation des risques au sens de l'article L. 230-2 du code du travail et précisément l'absence d'analyse des risques liés notamment à la coactivité » ; que ce manquement incontestable à une obligation de sécurité imputable à la personne morale ayant un lien de causalité direct et déterminant avec le décès de M. Z..., c'est donc à bon droit que les premiers juges ont déclaré la société EDF coupable du délit d'homicide involontaire ;

"3) alors que ne met pas le prévenu en mesure de préparer utilement sa défense la citation laissant un doute sur le fondement juridique de l'infraction poursuivie ; qu'en considérant que la prévention, faisant référence à un manquement à l'obligation de sécurité et de prudence prévue par la loi ou le règlement, était libellée avec rigueur et clarté dès lors qu'elle renvoyait à la méconnaissance des termes de l'article L. 230-2, devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, quand ce texte ne pose que des principes généraux applicables en matière de prévention des risques dans l'entreprise, la cour d'appel a violé ensemble les articles 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire et 551 du code de procédure pénale ;

"4) alors que, seules les obligations de sécurité et de prudence pénalement sanctionnées peuvent servir de fondement à la caractérisation d'une faute non-intentionnelle par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ; qu'en retenant que la société EDF avait manqué à une obligation de sécurité et de prudence imposée par l'article L. 230-2, devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2, du code du travail faisant obligation à l'employeur d'évaluer les risques, de planifier la prévention et de donner des instructions adéquates aux salariés quand ce texte n'était assorti d'aucune sanction pénale et ne pouvait ainsi servir de fondement à un manquement à une obligation de sécurité et de prudence imposée par la loi ou le règlement, la cour d'appel a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal ;

"5) alors qu'en retenant que la société EDF avait manqué à une obligation de sécurité et de prudence découlant de l'article L. 230-2, devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2, du code du travail en n'analysant pas « les risques liés à la coactivité » tels que mentionnés dans le rapport de l'inspection du travail en date du 22 juillet 2004 sans rechercher préalablement, comme elle y était invitée par la société EDF, si la société TEM n'était pas la seule intervenante sur le chantier en date du 29 avril 2004 rendant invraisemblable l'existence d'un prétendu risque lié à la coactivité de plusieurs entrepreneurs sur le chantier, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"6) alors qu'en toute hypothèse, en retenant que la société EDF avait manqué à une obligation de sécurité et de prudence découlant de l'article L. 230-2, devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2, du code du travail en n'analysant pas « les risques liés à la coactivité » tels que mentionnés dans le rapport de l'inspection du travail, en date du 22 juillet 2004, sans préciser préalablement en quoi la prétendue coactivité de plusieurs entrepreneurs sur le chantier, à la supposer établie, aurait présenté un risque dont la survenance aurait conduit au décès de M. Z..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 29 avril 2004, à Ducos (Martinique), alors que M. Z..., employé temporaire de la société Travaux électriques martiniquais (TEM) à laquelle la société Electricité de France (EDF) avait fait appel pour procéder au remplacement d'isolateurs et de parafoudres, faisait l'ascension d'un poteau électrique, sa longe a heurté des conducteurs du réseau encore placés sous tension, provoquant une forte décharge électrique qui, en lui faisant lâcher prise, a entraîné sa chute mortelle d'une hauteur de 8,40 mètres du sol ;

Attendu que MM. X... et Y..., agents de la société EDF chargés de procéder conjointement aux différentes opérations préalables aux travaux effectués par M. Z..., ont été déclarés coupables d'homicide involontaire pour avoir, dans le cadre du travail, par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, provoqué la mort de M. Z..., faute pour eux de s'être assurés de la mise hors tension d'un poteau électrique sur lequel ils avaient laissé l'employé intervenir ;

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant condamné la société EDF pour homicide involontaire, l'arrêt retient, notamment, que l'infraction a été commise par MM. X... et Y..., qui, leur statut et leurs attributions étant clairement définis, étaient les représentants de la société EDF "nonobstant l'absence formelle de délégation de pouvoirs" ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans mieux s'expliquer sur l'existence effective d'une délégation de pouvoirs ni sur le statut et les attributions des agents mis en cause propres à en faire des représentants de la personne morale, au sens de l'article 121-2 du code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs : CASSE et ANNULE

Publication : Bulletin criminel 2011, n° 202