Cour de Cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 3 avril 2002 Cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1112 du Code civil ;
Attendu que Mme Kannas était collaboratrice puis rédactrice salariée
de la société Larousse-Bordas depuis 1972 ; que selon une convention
à titre onéreux en date du 21 juin 1984, elle a reconnu la propriété
de son employeur sur tous les droits d'exploitation d'un dictionnaire intitulé
" Mini débutants " à la mise au point duquel elle avait
fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire
; que, devenue " directeur éditorial langue française "
au terme de sa carrière poursuivie dans l'entreprise, elle en a été
licenciée en 1996 ; que, en 1997, elle a assigné la société
Larousse-Bordas en nullité de la cession sus-évoquée pour
violence ayant alors vicié son consentement, interdiction de poursuite
de l'exploitation de l'ouvrage et recherche par expert des rémunérations
dont elle avait été privée ;
Attendu que, pour accueillir ces demandes, l'arrêt retient qu'en 1984, son
statut salarial plaçait Mme Kannas en situation de dépendance économique
par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant
d'accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu'elle
estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu'aux
dispositions protectrices des droits d'auteur ; que leur refus par elle aurait
nécessairement fragilisé sa situation, eu égard au risque
réel et sérieux de licenciement inhérent à l'époque
au contexte social de l'entreprise, une coupure de presse d'août 1984 révélant
d'ailleurs la perspective d'une compression de personnel en son sein, même
si son employeur ne lui avait jamais adressé de menaces précises
à cet égard ; que de plus l'obligation de loyauté envers
celui-ci ne lui permettait pas, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit
à un éditeur concurrent ; que cette crainte de perdre son travail,
influençant son consentement, ne l'avait pas laissée discuter les
conditions de cession de ses droits d'auteur comme elle aurait pu le faire si
elle n'avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant,
ce lien n'ayant cessé qu'avec son licenciement ultérieur ;
Attendu, cependant, que seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance
économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant
directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier
de violence son consentement ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait,
sans constater, que lors de la cession, Mme Kannas était elle-même
menacée par le plan de licenciement et que l'employeur avait exploité
auprès d'elle cette circonstance pour la convaincre, la cour d'appel n'a
pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la seconde branche du
premier moyen, ni sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE
Publication : Bulletin 2002 I N° 108 p. 84
D 2002, 1860
Communication, commerce électronique, n° 6, juin 2002, Commentaires,
n° 89, p. 35 36, note Philippe STOFFEL-MUNCK.
Revue trimestrielle de droit civil, juillet-septembre 2002, n° 3, p. 502
503, note J. MESTRE et B. FAGES.
Droit et patrimoine, n° 107, septembre 2002, p. 26-30, note G. LOISEAU.