Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 1 février 1995

N° de pourvoi: 92-16729
Publié au bulletin Rejet.


Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 30 avril 1992), que, suivant un acte sous seing privé du 8 avril 1988, les époux X... ont vendu une propriété à Mme Y... ; que Mme Y... ayant refusé de régulariser la vente au motif qu'elle avait entendu acquérir une propriété d'un seul tenant alors que celle-ci contenait des parcelles appartenant à des tiers et était traversée par une voie publique, les époux X... l'ont assignée en résolution ; que Mme Y... a reconventionnellement demandé le prononcé de la résolution aux torts des vendeurs et, subsidiairement, la nullité de l'acte pour erreur ayant vicié son consentement ;

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'annuler l'acte sous seing privé, alors, selon le moyen,
1° qu'il ne résulte ni des écritures de l'appelante ni de celles des vendeurs qu'ait été invoquée la notion singulière d'" erreur-obstacle " générant un régime juridique propre ; qu'en retenant d'office une telle erreur sans provoquer de débat contradictoire quant à ce, la cour d'appel viole l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

2° que l'acte sous signature privée du 8 avril 1988 faisait état très clairement de la vente d'une propriété en nature de bois, landes et fruitiers et d'une bâtisse construite sur d'anciennes ruines pour une contenance totale de 53 hectares, 73 ares et 89 centiares ; qu'en croyant pouvoir retenir pour caractériser une erreur-obstacle le fait qu'au moment de la signature de l'acte l'acheteur a été en possession d'un plan déclaré avoir été établi par l'agent immobilier du vendeur et pouvant avoir été relevé en 1975 à une époque où lesdits vendeurs souhaitaient acquérir la propriété, plan incomplet et " parcellaire " en ce qu'il ne " représente pas l'ensemble des biens, objet du projet de vente ", étant de plus souligné que ledit plan donne l'impression d'une propriété d'un seul tenant, bordée d'un chemin rural sans parcelles appartenant à des tiers incluses ; cependant que de nombreuses parcelles non comprises dans le plan colorié étaient englobées dans le projet et que la configuration de l'ensemble de la vente différait dudit plan colorié : existence de parcelles incluses appartenant à des tiers, existence d'un chemin rural traversant la propriété, la cour d'appel ne caractérise pas la notion complexe d'interprétation stricte " d'erreur-obstacle " au sens de l'article 1110 du Code civil telle qu'interprété et, partant, prive son arrêt de base légale au regard dudit texte, ensemble de l'article 1108 du même code ;

3° que la cour d'appel ne constate pas que le plan versé serait entré dans le champ contractuel ; qu'en le retenant, néanmoins, non pour se prononcer sur un éventuel dol, mais sur l'existence d'une " erreur-obstacle ", la cour d'appel prive encore son arrêt de base légale au regard des articles 1108 et 1110 du Code civil ;

4° qu'en toute hypothèse, en l'état d'un acte sous seing privé très clair sur la contenance de la propriété cédée en l'état d'un très léger décalage existant entre la contenance telle qu'elle figure dans la promesse synallagmatique de vente valant vente et le projet d'acte authentique, il appartenait à la cour d'appel de s'exprimer sur le point de savoir, car là était la vraie question, si, dans la commune intention des parties et notamment de l'acheteur, le fait d'acquérir une propriété d'un seul tenant qui ne serait pas traversée par un chemin rural était substantiel ou non au sens de l'article 1110 du Code civil ; qu'en laissant sans réponse ce point central, la cour d'appel prive son arrêt de base légale au regard de l'article 1110 du Code civil et méconnaît son office, violant ainsi l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

5° que les juges d'appel, qui relèvent, à la charge de l'acquéreur, un manquement dû à sa légèreté ne pouvaient, comme ils l'ont fait, retenir une erreur-obstacle dès lors que ce manquement était de nature à avoir une incidence sur l'erreur commise et qu'il est acquis que si la faute retenue revêt une certaine gravité, son auteur ne peut, en aucun cas, obtenir dans un tel contexte un quelconque avantage économique ou social, en l'occurrence le prononcé de la nullité d'un acte de vente ; qu'ainsi, l'arrêt, qui retient une faute imputable à l'acquéreur et fait néanmoins droit à sa demande en annulant une vente sans qualifier la faute dudit acquéreur prive encore son arrêt de base légale au regard des articles 12 du nouveau Code de procédure civile, 1109 et 1110 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'acte sous seing privé portait sur une propriété en bois-landes, fruitiers et une bâtisse construite sur d'anciennes ruines et constaté que si le projet d'acte authentique déterminait les parcelles que les vendeurs entendaient voir comprises dans la vente, le plan colorié et annoté remis à l'acheteur au moment des pourparlers contenait d'importantes différences, certaines parcelles étant mentionnées, à tort, comme appartenant aux vendeurs, d'autres comme ayant été achetées et une autre comme étant en instance d'achat et donnait l'impression d'une propriété d'un seul tenant, bordée d'un chemin rural sans parcelles appartenant à des tiers incluses, la cour d'appel, qui en a déduit que la preuve était rapportée de ce que les parties n'avaient pas accordé leur volonté sur le même objet, a, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante et sans violer le principe de la contradiction, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Publication : Bulletin 1995 III N° 36 p. 23