Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du lundi 20 mars 1972

N° de pourvoi: 70-14154
Publié au bulletin REJET

sur les deux moyens reunies : attendu que, selon les enonciations de l'arret attaque (colmar,13 juillet 1970) la societe des etablissements x... est entree en pourparlers, en avril 1966, avec la societe etablissements vilber-lourmat chargee de la distribution exclusive en france de machines, destinees a la fabrication de tuyaux en ciment, construites par la societe americaine hydrotile machinery c° dont le siege est a nashua (iowa) ;
qu'apres un voyage aux etats-unis effectue par robert x... du 13 au 23 mai 1966 pour voir fonctionner ces machines, la societe x... demanda a la societe vilber-lourmat des renseignements complementaires avant de faire son choix entre plusieurs types de machines fabriquees par la societe hydrotile ;
que la societe vilber-lourmat ne repondit pas a cette lettre ;
que la societe x... apprit ulterieurement que des le 4 juin 1966 le fabricant americain avait adresse un devis aux etablissements vilber-lourmat, mais que ceux-ci ne le transmirent pas a la societe x... ;
que le 16 juin 1966 la societe vilber-lourmat signa avec la societe les tuyaux centrifuges du rhin, concurrente de la societe x..., un contrat de vente d'une machine hydrotile comportant une clause aux termes de laquelle la societe vilber-lourmat s'engageait a ne pas vendre une machine semblable dans une zone englobant l'est de la france pendant un delai de quarante-deux mois suivant la livraison de la machine commandee par la societe les tuyaux centrifuges ;
que le 21 fevrier 1967 la societe x... fit assigner la societe vilber-lourmat en paiement de dommages-interets ;

Attendu qu'il est fait grief a l'arret confirmatif defere d'avoir condamne la societe vilbert-lourmat en retenant tant le refus de vente que les autres fautes imputees a cette societe, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, au regard de l'article 37-1° de l'ordonnance du 30 juin 1945 modifiee il n'y a pas refus de vendre lorsque le refus de satisfaire a la demande d'un acheteur resulte d'une convention d'exclusivite reconnue valable ;
que la cour d'appel ne pouvait donc, sans se contredire, ni faussement appliquer ce texte, declarer la societe vilber-lourmat coupable envers la societe x... d'un refus de vendre une machine hydrotile, alors qu'il est constant que ce refus resulte de la clause d'exclusivite stipulee dans le contrat de vente de la meme machine, anterieurement conclu avec la societe les tuyaux centrifuges du rhin, et que la cour d'appel reconnait la validite de cette clause dans un tel contrat, alors que d'autre part, en faisant stipulee dans le contrat de vente de la meme machine, anterieurement a la rupture des pourparlers, et encore de ce que les pourparlers avaient depasse le stade pre-contractuel, tout en confirmant la decision des premiers juges, lesquels declarent que la rupture des pourparlers par la societe vilber-lourmat constitue une faute commise en periode pre-contractuelle et justiciable de l'article 1382 du code civil, la cour d'appel ne permet pas de reconnaitre si elle se fonde sur la responsabilite contractuelle ou delictuelle de cette societe, que, des lors, en laissant incertaine la base juridique de sa decision, la cour d'appel ne lui a pas donne de base legale, alors, au surplus, que l'arret confirmatif attaque n'est justifie ni sur le fondement de la responsabilite contractuelle ni sur celui de la responsabilite delictuelle, la cour d'appel ne saurait en effet sans denaturer les termes du litige fonder sa decision sur la responsabilite contractuelle de la societe vilber-lourmat, la societe x... s'etant expressement bornee a demander la condamnation de cette societe par application de l'article 1382 du code civil, et que, par ailleurs, la cour d'appel ne peut sans se contredire, ni violer le principe de l'indivisibilite de l'aveu, deduire la conscience fautive de la societe vilber-lourmat de l'affirmation de celle-ci qu'elle s'est enquise par telephone des intentions de la societe x... avant de s'engager avec une autre societe, tout en ecartant comme non etablie l'existence de cette demarche ;
que, de plus, la cour d'appel, qui ne repond pas aux conclusions de la societe vilber-lourmat faisant valoir les termes de son appel telephonique et la reponse dilatoire de la societe x..., ne justifie pas que les pourparlers n'aient pu etre rompus a la suite de ce coup de telephone ;
qu'enfin les motifs adoptes des premiers juges ne justifient pas davantage le caractere abusif de la rupture, qu'en effet il y a contradiction a invoquer la brutalite de celle-ci tout en constatant l'attitude dilatoire de la societe vilber-lourmat, et l'absence de raison legitime de cette rupture, egalement invoquee, laquelle n'est pas demontree, la cour d'appel admettant la validite de la clause d'exclusivite dans le contrat de vente d'une machine hydrotile et ne repondant pas aux conclusions de la societe vilber-lourmat qui faisait valoir qu'elle avait recu, pour cette machine d'une haute technicite, une commande ferme assortie d'un acompte emanant d'une societe deja specialisee dans la fabrication de tuyaux en beton ;

Mais attendu que l'arret defere a, par motifs adoptes releve que la societe vilber-lourmat avait, de propos delibere, retenu le devis definitif du fabricant americain destine aux etablissements x... et rompu sans raison legitime, brutalement et unilateralement, les pourparlers avances qu'elle entretenait avec ledits etablissements, qui avaient deja, a sa connaissance, engage de gros frais et qu'elle maintenait volontairement dans une incertitude prolongee, qu'elle avait ainsi manque aux regles de la bonne foi dans les relations commerciales ;
que, par motifs propres, la cour d'appel, qui n'a nullement declare que la societe vilber-lourmat avait commis une faute contractuelle, a retenu que les etablissements vilber-lourmat declaraient eux-memes qu'avant de s'engager avec leur autre client ils s'etaient enquis une ultime fois des intentions de x..., mais qu'ils n'en fournissaient pas la moindre justification et qu'en tout cas il fallait observer que des negociations aussi laborieuses ne pouvaient etre rompues par un simple coup de telephone, d'ailleurs plus que problematique, que c'etait donc a bon droit que les premiers juges avaient constate la rupture abusive des pourparlers par les etablissements vilber-lourmat ;
attendu que par ces enonciations, et abstraction faite des autres motifs qui sont surabondants, la cour d'appel, sans encourir les griefs du pourvoi, a pu retenir a l'encontre de la societe vilbert-lourmat une responsabilite delictuelle et a ainsi justifie la condamnation de cette societe ;
qu'aucun des moyens ne peut donc etre accueilli ;

par ces motifs : rejette le pourvoi forme contre l'arret rendu le 13 juillet 1970 par la cour d'appel de colmar.

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Publication : Bulletin des arrêts Cour de Cassation Chambre commerciale N. 93 P. 90