Cons. Const., 3 août 1994.

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
Vu le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 modifiée relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit ;
Vu la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 modifiée renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ;

1. Considérant que les sénateurs, auteurs de la saisine, défèrent au Conseil constitutionnel les articles L. 941-1 et L. 941-2 du code de la sécurité sociale introduits par l'article 11 de la loi au Titre IV du Livre IX nouveau de ce code ;
- SUR L'ARTICLE L. 941-1 :
2. Considérant que le I de l'article L. 941-1 du code de la sécurité sociale qualifie d'institutions de retraite supplémentaire les institutions paritaires qui ne relèvent pas du Titre III du livre IX du code et qui, dans le cadre d'une entreprise, d'un groupe d'entreprises ou d'une branche professionnelle versent des prestations de retraite s'ajoutant à celles qui sont servies par les institutions de retraite complémentaire définies à l'article L. 922-1 du même code ; qu'il maintient ces institutions et les soumet au régime du Titre IV nouveau que la loi détermine ; que le II du même article dispose qu'il ne peut être créé de nouvelles institutions de retraite supplémentaire "avec l'autorisation du ministre chargé de la sécurité sociale, que dans le cas où les salariés d'une entreprise qui, ne relevant pas, pour leur retraite complémentaire, des institutions participant à une solidarité interprofessionnelle, viennent à en relever" ;
3. Considérant que les sénateurs, auteurs de la saisine, soutiennent en premier lieu que les dispositions précitées méconnaissent le principe d'égalité à un double titre, d'une part entre les entreprises qui avaient constitué des institutions de retraite supplémentaire avant la date de publication de la loi et celles qui ne pourront en créer après l'intervention de celle-ci, et d'autre part entre celles qui pourront en créer après la publication de la loi et celles qui ne le pourront pas ; qu'ils allèguent en deuxième lieu que les dispositions interdisant de créer de nouvelles institutions de retraite supplémentaire sont contraires à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle ; qu'enfin, ils affirment que ces mêmes dispositions sont également contraires au principe constitutionnel de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, énoncé au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux "du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale" ; qu'il est loisible au législateur, dans le domaine de compétence qui est le sien, de modifier, compléter ou abroger des dispositions antérieures ; qu'il lui incombe seulement de ne pas priver de garanties légales des principes constitutionnels ;
. En ce qui concerne le principe d'égalité :
5. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;
6. Considérant d'une part qu'au regard de l'objectif que le législateur s'est assigné tendant à la réduction progressive du champ d'application du régime des institutions de retraite supplémentaire, les dispositions nouvelles qu'il a prises pour être applicables à compter de la publication de la loi ne sont pas constitutives d'une rupture du principe d'égalité entre entreprises suivant qu'elles ont ou non constitué un régime de retraite supplémentaire à la date de cette publication ;
7. Considérant d'autre part qu'en ménageant une possibilité dérogatoire autorisant la création de nouvelles institutions de retraite supplémentaire, le législateur a entendu favoriser l'application des règles de droit commun aux salariés bénéficiant jusque là d'un régime spécial ; qu'il a en effet voulu permettre aux salariés qui viendraient à relever désormais des institutions de retraite complémentaire participant à une solidarité interprofessionnelle de continuer à acquérir des droits supplémentaires pour la fraction non couverte par ces régimes légaux ; que, par suite, les dispositions transitoires qu'il a ainsi édictées ne sont pas non plus constitutives d'une rupture du principe d'égalité ;
. En ce qui concerne la liberté d'entreprendre :
8. Considérant que les dispositions arrêtées par le législateur en vue de définir le cadre légal dans lequel les institutions de retraite supplémentaire peuvent être constituées ou maintenues ne concernent pas, compte tenu de l'objet et de la nature de ces institutions, la liberté d'entreprendre ; que par suite, le moyen invoqué est inopérant ;
. En ce qui concerne la liberté contractuelle :
9. Considérant qu'aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit le principe de la liberté contractuelle ; que par suite ce grief ne saurait qu'être écarté ;
. En ce qui concerne le principe de la participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises :
10. Considérant que, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose en son huitième alinéa que : "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises", l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ; qu'ainsi c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre ;
11. Considérant que l'un des objets de la loi est de simplifier et de coordonner les formes juridiques que prennent les institutions paritaires régies par le code de la sécurité sociale en distinguant les institutions de retraite complémentaire, les institutions de prévoyance et les institutions de retraite supplémentaire ; que si le législateur a estimé qu'il convenait, notamment pour assurer une meilleure protection sociale des salariés, de ne plus permettre pour l'avenir, sauf dans le cas qu'il a déterminé, la constitution d'institutions de retraite supplémentaire, il a prévu cependant que les partenaires sociaux pouvaient souscrire un contrat de groupe auprès d'une institution de prévoyance ou créer une institution de prévoyance particulière à une entreprise ou à un groupe d'entreprises ; qu'aux termes de l'article L. 931-1 introduit par la loi, les institutions de prévoyance sont administrées paritairement et sont constituées "sur la base d'une convention ou d'un accord collectif, d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise et ratifié par la majorité des intéressés ou par accord entre des membres adhérents et des membres participants réunis à cet effet en assemblée générale" ; qu'aux termes de l'article L. 941-3 ces dernières dispositions sont applicables aux institutions de retraite supplémentaire qui peuvent encore être constituées ; que par suite, la loi ne porte pas atteinte au principe énoncé au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dont elle assure la mise en oeuvre dans le cadre des compétences que lui réserve l'article 34 de la Constitution ;

JCP 1995, II, 22404

Conseil constitutionnel
jeudi 20 mars 1997 - Décision N° 97-388 DC

Loi créant les plans d'épargne retraite
Journal officiel du 26 mars 1997, p. 466
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SUR LE GRIEF TIRE DE LA VIOLATION DU PRINCIPE DE LIBERTE CONTRACTUELLE :

46. Considérant que les requérants font valoir qu'il résulte de la combinaison du deuxième alinéa de l'article 4, du premier alinéa de l'article 6 et du deuxième alinéa de l'article 7 que par décision unilatérale un employeur pourra, sans participer à son financement, mettre en place un plan d'épargne retraite et ainsi interdire aux salariés de l'entreprise d'adhérer à un autre fonds ; qu'ainsi seraient méconnus le principe de liberté contractuelle et le principe de l'autonomie de la volonté qui résulterait de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen disposant que " la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui " ;

47. Considérant qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 4, la souscription d'un plan d'épargne retraite peut résulter d'un accord collectif d'entreprise ou d'un accord de branche, que ce plan est proposé à l'adhésion de tous les salariés de l'entreprise, et en cas d'accord de branche, à tous les salariés concernés, que les conditions d'adhésion sont alors définies de façon identique pour des catégories homogènes de salariés ; qu'en application du premier alinéa de l'article 6, les versements des salariés et l'abondement de l'employeur aux plans d'épargne retraite sont facultatifs et peuvent être suspendus ou repris sans pénalité ; qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 7, en l'absence de rupture du contrat de travail, l'adhérent ne peut demander qu'à l'expiration d'un délai de dix ans à compter de son adhésion, le transfert intégral, sans pénalité, des droits acquis en vertu de ce plan sur un autre plan d'épargne retraite, cette demande ne pouvant être renouvelée qu'une fois ;

48. Considérant que le principe de liberté contractuelle n'a pas en lui-même valeur constitutionnelle ; que sa méconnaissance ne peut être invoquée devant le Conseil constitutionnel que dans le cas où elle conduirait à porter atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; que ne résulte ni de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ni d'aucune autre norme de valeur constitutionnelle un principe constitutionnel dit de l'" autonomie de la volonté " ; que les griefs allégués par les requérants ne peuvent dès lors qu'être rejetés ;