Cour de Cassation
Chambre civile 3
Audience publique du 16 novembre 1988
Rejet .
Sur les deux moyens réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 1987), que l'Association interprofessionnelle pour l'aide au logement (AIPAL), organisme collecteur de la participation des employeurs à l'effort de construction, a, aux termes d'une convention du 18 décembre 1969, accepté de financer la construction de deux immeubles comprenant au total 420 logements destinés à la location, en accordant un prêt à la société civile immobilière Massena Choisy ; qu'en contrepartie de ce prêt, la société civile immobilière Massena Choisy s'est engagée à réserver ces logements jusqu'au 1er janvier 2021 aux familles désignées par l'AIPAL parmi le personnel de ses adhérents ; que la société civile immobilière Massena Ivry, substituée à la société civile immobilière Massena Choisy, a vendu ces immeubles à la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes (CARCD), qui a repris à son compte les obligations de la société civile immobilière Massena Ivry envers l'AIPAL ; que la CARCD, désirant revendre les immeubles, a informé l'AIPAL de son intention de rembourser par anticipation le prêt qu'elle lui avait consenti ainsi que de la volonté de l'acquéreur pressenti de ne pas reprendre l'engagement de réservation des 420 logements ; que la CARCD, ayant maintenu son refus d'imposer à son acquéreur la reprise de cet engagement malgré l'opposition de l'AIPAL, a été assignée par cette dernière afin qu'il lui soit enjoint de faire accepter l'engagement de réservation par son acquéreur dans l'acte de vente à intervenir ; que l'AIPAL a été déboutée par les premiers juges ; que la CARCD a, par acte du 26 juin 1987, vendu les immeubles aux sociétés Groupe Jean-Pierre Mercy et compagnie et Jean-Pierre Mercy et compagnie (les sociétés Mercy), sans lui imposer l'engagement de réservation des logements ;

Attendu que l'AIPAL reproche à l'arrêt d'avoir, pour confirmer le jugement, retenu que l'obligation de réservation ne se transmettait pas de plein droit aux propriétaires successifs des immeubles, alors, selon le moyen "

1°) que constitue une charge réelle, transmissible aux propriétaires successifs, l'obligation souscrite par le premier acquéreur d'un immeuble de réserver certains de ses logements à des bénéficiaires déterminés, dès lors que cette obligation, contrepartie indivisible du financement de l'acquisition dudit immeuble, a eu pour effet nécessaire de restreindre le droit de propriété acquis dans ces conditions ; qu'ainsi, ayant constaté que le premier propriétaire des tours Ferrare et Capri, construites grâce au financement de l'association AIPAL, s'était engagé à réserver 420 logements, jusqu'en 2021, au profit des familles que désignerait cette association, en contrepartie des avantages financiers exceptionnels dont le prêt qu'elle lui consentait était assorti, d'où il résultait que la charge de la promesse de réservation, contrepartie indivisible de ces avantages, était liée à la propriété de l'immeuble en ce qu'elle en avait conditionné l'existence et restreint ses attributs et, dès lors, devait se transmettre aux propriétaires successifs, la cour d'appel, qui a néanmoins décidé que l'exécution de la promesse ne s'imposait pas au nouveau propriétaire, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1134 du Code civil ;

2°) alors que l'AIPAL faisait valoir dans ses conclusions d'appel signifiées le 8 septembre 1987 (page 7, 10e alinéa) et signifiées le 26 octobre 1987 (page 2) qu'en devenant propriétaires des immeubles litigieux, les sociétés Mercy avaient explicitement, aux termes mêmes du contrat de vente, accepté de supporter, si elle était judiciairement constatée, la charge de l'obligation de réservation, dont le caractère transmissible n'était pas contesté ; qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire de conclusions, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

3°) alors que le créancier d'une obligation contractuelle de faire peut exiger l'exécution de ce qui lui est dû lorsque cette exécution est possible, c'est-à-dire hors le cas d'une impossibilité morale ou matérielle, tenant soit à la personne même du débiteur, soit à des circonstances indépendantes de sa volonté ; qu'ainsi, ayant constaté que la CARCD, débitrice envers l'AIPAL d'une obligation de réserver pendant une durée limitée 420 logements dans les immeubles par elle acquis, au profit des familles que l'AIPAL désignerait, avait manifesté sa volonté de ne pas exécuter son obligation en refusant de subordonner la revente des immeubles au respect de celle-ci par les nouveaux acquéreurs, la cour d'appel ne pouvait, sans violer par fausse application l'article 1142 du Code civil, décider que ce refus d'exécution, exclusivement imputable à la volonté de la CARCD, qui n'alléguait aucune impossibilité morale ou matérielle, ne devait se résoudre qu'en dommages-intérêts ;

4°) alors que le créancier, dont les droits contractuels ont été violés par un acte juridique conclu entre son débiteur et un tiers complice, est fondé à exiger que cet acte lui soit déclaré inopposable ; qu'ainsi, ayant constaté, d'une part, que les sociétés Jean-Pierre Mercy, acquéreurs, avaient eu connaissance de la promesse de réservation souscrite par la CARCD au profit de l'AIPAL et, d'autre part, que la vente intervenue le 26 juin 1987 entre la débitrice de cette promesse et lesdites sociétés consacrait la violation des droits contractuels de l'AIPAL, la cour d'appel, qui a néanmoins refusé de substituer à l'exécution positive de ladite promesse la condamnation en nature, qualitativement équivalente, que constituait l'inopposabilité de la vente à l'AIPAL, a violé, par refus d'application, ensemble les articles 1134, 1135, 1147 et 1382 du Code civil ;

5°) alors, enfin, que l'AIPAL sollicitait expressément dans ses conclusions d'appel qu'en toute hypothèse, la vente des immeubles litigieux aux sociétés Mercy lui soit déclarée inopposable ; qu'en se bornant à affirmer que la méconnaissance par le vendeur de son obligation ne pouvait se résoudre qu'en dommages-intérêts, la cour d'appel n'a pas répondu à ce chef péremptoire de conclusions et a, de ce fait, violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile " ;

Mais attendu qu'après avoir justement énoncé que l'acquéreur d'un bien à titre particulier ne succède pas de plein droit aux obligations personnelles de son auteur, même si celles-ci sont nées à l'occasion du bien transmis, l'arrêt retient exactement, en l'état de la législation applicable à la cause, que l'engagement souscrit successivement par les sociétés Massena Choisy et Massena Ivry et par la CARCD constitue une obligation de faire, laquelle, à la différence d'un droit réel affectant les immeubles, ne peut, sauf stipulation expresse ou disposition légale particulière, ni être transmis de plein droit à l'acquéreur, ni être sanctionné autrement que par des dommages-intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur ; que, par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
Publication : Bulletin 1988 III N° 163 p. 88
Dalloz, 6 avril 1989, N° 13 p. 157, note Philippe MALAURIE