Cass. Civ. 1ère, 18 juillet 2000
Attendu que Brigitte X..., souffrant d'une psychose maniaco-dépressive, a été hospitalisée, le 12 novembre 1992, dans une établissement psychiatrique privé, la clinique Y..., où elle a fait une première tentative de suicide le 10 décembre ; que son état s'est brutalement aggravé au cours de la journée du 13 février 1993 au point que vers 19 heures 30 un médecin, estimant qu'elle était dans un état paroxystique susceptible de l'entraîner au suicide, a prescrit son immobilisation sur son lit par des sangles aux poignets et aux chevilles ; que, vers 20 heures 45, la malade occupant une chambre voisine de celle de Brigitte X... a donné l'alerte en raison des cris de cette dernière et d'émanations de fumées provenant de sa chambre ; qu'il a alors été constaté que le sommier du matelas du lit sur lequel Brigitte X... était ligotée avait pris feu, provoquant des brûlures au 3° degré sur 45 pour cent de son corps, l'enquête ayant conclu à une tentative de suicide de cette dernière au moyen d'un briquet dont des débris ont été retrouvés sous sa main gauche ; que le traitement des brûlures a nécessité, entre autre, l'amputation des avant-bras de Brigitte X..., puis son hospitalisation dans un établissement pour grands brûlés dont elle a disparu le 27 juillet 1993, son corps, noyé dans une pièce d'eau voisine, ayant été découvert le 31 juillet ; que le mari de la défunte, invoquant les fautes commises par la clinique dans la surveillance de son épouse le 13 février 1993, a engagé en novembre 1993, tant de son chef qu'en qualité d'administrateur légal de la fille mineure du couple, une action contre cet établissement de santé privé auquel il réclamait, sur le terrain contractuel, la réparation des divers préjudices subis par son épouse, et, sur le terrain délictuel, la réparation de son préjudice personnel et de celui de sa fille ; que l'arrêt confirmatif attaqué l'a débouté de toutes ses demandes ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et troisième
branches, qui est préalable :
Vu l'article 1147 du Code civil ;
Attendu que pour écarter la responsabilité contractuelle de la
clinique, l'arrêt attaqué a estimé qu'aucune faute de surveillance
ne pouvait lui être reprochée au cours de la soirée du 13
février 1993 ;
Attendu, cependant, qu'en vertu du contrat d'hospitalisation et de soins le
liant à son patient, un établissement de santé privé
est notamment tenu de prendre les mesures nécessaires pour veiller à
sa sécurité, les exigences afférentes à cette obligation
étant fonction de l'état du patient ; que la cour d'appel, qui
a constaté qu'après avoir été ligotée sur
son lit en raison de la gravité de sa crise Brigitte X... avait été
laissée sans surveillance, aucun membre du personnel de la clinique ne
se trouvant à l'étage où se situait sa chambre, et que
seul l'appel d'une autre malade avait permis de lui venir en aide, n'a, dès
lors, pas tiré les conséquences légales de ses propres
constatations ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches :
Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;
Attendu que la cour d'appel a énoncé que la responsabilité
délictuelle de la clinique ne pouvait être juridiquement recherchée
puisque M. X... n'était pas un tiers à son égard ;
Attendu, cependant, d'une part, que le contrat d'hospitalisation et de soins
liait la clinique à la seule Brigitte X... et que l'action de M. X...
tendant à la réparation de son préjudice par ricochet et
de celui de sa fille avait nécessairement un caractère délictuel,
d'autre part, que les tiers à un contrat sont fondés à
invoquer l'exécution défectueuse de celui-ci lorsqu'elle leur
a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve ;
D'où il suit qu'en statuant comme elle a fait la cour d'appel a violé,
par fausse application, l'article 1165 du Code civil et, par refus d'application,
l'article 1382 du même code ;
Sur la troisième branche du même moyen :
Vu l'article 1351 du Code civil ;
Attendu que la cour d'appel a encore énoncé qu'une ordonnance
de non lieu rendue le 30 juillet 1993 à la suite d'une plainte avec constitution
de partie civile de M. X... constituait un obstacle à la recherche de
la responsabilité délictuelle de la clinique ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'en matière civile une ordonnance
de non-lieu n'a aucune autorité de chose jugée, la cour d'appel
a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'il n'y a lieu à renvoi ni du chef de la faute commise par
la clinique, ni du chef de la recevabilité de l'action délictuelle
de M. X... en réparation de son préjudice personnel et de celui
de sa fille, la Cour de Cassation pouvant donner au litige sur ces points la
solution appropriée, en application de l'article 627, alinéa 2,
du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches
du deuxième moyen, ni sur le troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 novembre
1998, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ni du chef de la faute contractuelle commise
par la clinique Y..., ni du chef de la recevabilité de l'action délictuelle
de M. X... en réparation de son préjudice personnel et de celui
de sa fille ;
Dit que la clinique Y... a commis une faute dans l'exécution du contrat
la liant à Brigitte X... et que M. X... peut se prévaloir de cette
faute tant sur le terrain contractuel en réparation des préjudices
subis par son épouse, aux droits de laquelle il se trouve, que sur le
terrain délictuel en réparation de son préjudice personnel
et de celui de sa fille mineure ;
Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, mais uniquement
pour qu'elle statue sur les préjudices causés par la faute commise
et sur leur réparation.
JCP 2000-II-10415
Cour de Cassation Chambre civile 1
Audience publique du 10 mai 2005 Rejet.
Attendu que, de 1990 à 1992, la société civile immobilière
Home Garden (la SCI) a vendu, avec le concours de la société d'exercice
libéral à responsabilité limitée X..., notaire (la
SELARL X...), des appartements dépendant d'un immeuble en copropriété
à divers acquéreurs qui ont financé leur achat à
l'aide d'emprunts contractés auprès d'un certain nombre de banques
; que certains des acquéreurs ont engagé une action en nullité
pour dol et recherché la responsabilité de M. Y..., architecte
de l'opération et de la SELARL X... ainsi que la garantie de la compagnie
Les Mutuelles du Mans, assureur de celle-ci ;
que, par arrêts du 18 décembre 2000, la cour d'appel de Toulouse
a fait droit aux demandes de nullité des contrats de vente et a retenu
la responsabilité de l'architecte et du notaire ainsi que l'obligation
à garantie de l'assureur ; qu'en 1999, les acquéreurs ont assigné
les organismes prêteurs en nullité des prêts intervenus pour
réaliser les acquisitions ;
que la SCI et M. Y... ont été mis en cause ; que l'arrêt
confirmatif attaqué (Toulouse, 10 décembre 2001) a a écarté
la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil, a prononcé
la nullité des actes de prêt, a décidé que les sommes
prêtées seraient restituées par les emprunteurs, le remboursement
des intérêts, frais accessoires et cotisations d'assurance étant
mis à la charge des organismes prêteurs et a, enfin, condamné
in solidum la SCI Home Garden, M. Y... et la SELARL X... et son assureur à
payer à titre de dommages-intérêts à chaque organisme
prêteur les sommes correspondant à la restitution des intérêts,
primes d'assurances, frais et indemnité de remboursement anticipé
afférents à chaque partie en fonction de la situation de chacun
au moment de la nullité ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal formé par la SELARL Pierre
X... et les Mutuelles du Mans, pris en ses deux branches :
Attendu que la SELARL Pierre X... fait grief à l'arrêt attaqué
d'avoir confirmé la décision déférée, rectifiée,
sur le rejet des exceptions de prescription et d'irrecevabilité sur le
principe des annulations prononcées et de celui de l'obligation à
garantie de la SCI, M. Y..., la SELARL Pierre X... et les Mutuelles du Mans,
alors, selon le moyen :
1 / qu'en décidant que l'action en nullité des prêts était
la conséquence de la nullité des actes de vente en vertu de la
loi, sans préciser le fondement légal de sa décision, la
cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard
de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'en vertu de l'article 1304 du Code civil, la prescription de l'action
en nullité d'un contrat de prêt résultant de la nullité
de la vente dont il assurait le financement court à compter de la connaissance
du vice affectant cette dernière, de sorte qu'en retenant comme point
de départ de cette prescription l'annulation de la vente, la cour d'appel
a violé ce texte ;
Mais attendu, d'abord, que, par motifs adoptés, l'arrêt, précisant
le fondement de sa décision, retient qu'en raison de l'effet rétroactif
attaché à la nullité de l'acte de vente immobilière,
ce contrat était réputé n'avoir jamais été
conclu et donc ne pas l'avoir été dans le délai de quatre
mois fixé par l'article L. 312-12 du Code de la consommation, de sorte
que la convention de prêt souscrite pour en assurer le financement se
trouvait annulée de plein droit par application de ce texte ; que dès
lors que l'annulation du prêt avait pour cause non le vice affectant la
vente, mais l'annulation de celle-ci, c'est à bon droit que la cour d'appel
a décidé que la prescription de l'action en annulation du prêt
ne commençait à courir que du jour de l'annulation de la vente
; que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est pas
fondé en sa seconde ;
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches :
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir confirmé
la décision des premiers juges quant aux principes retenus sur les conséquences
des annulations, sur les limites des garanties dues par les responsables et
les dommages-intérêts dus par eux aux organismes prêteurs,
alors, selon le moyen :
1 / qu'en décidant, par motifs adoptés, que la faute du notaire
avait été reconnue à l'occasion de l'instance relative
à l'annulation des contrats de vente, et qu'elle devait donc l'être
à l'occasion de l'instance relative à la nullité des contrats
de prêt, ayant un objet différent et ayant été engagée
entre des parties différentes, la cour d'appel a violé l'article
1351 du Code civil ;
2 / qu'en décidant, par motifs adoptés faisant référence
à la décision rendue dans l'instance relative à l'annulation
des contrats de vente, que le notaire avait commis une faute ayant entraîné
la nullité des contrats de prêt, la cour d'appel n'a pas motivé
sa décision et a ainsi violé l'article 455 du nouveau Code de
procédure civile ;
Mais attendu que c'est sans opposer l'autorité de la chose jugée
par les décisions rendues dans l'instance en annulation des contrats
de vente que la cour d'appel, se fondant sur ces décisions qui constituaient
un fait juridique opposable aux banques, a pu décider que le notaire,
qui était partie aux deux instances, avait, par la faute même qui
avait causé l'annulation des contrats de vente, également engagé
sa responsabilité professionnelle de par l'annulation de droit des prêts
qui était la conséquence de l'annulation des ventes ;
qu'en aucune de ses branches, le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal, tel qu'énoncé
au mémoire en demande et reproduit en annexe :
Attendu que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à
un simple argument se bornant à énoncer que la BNP pourrait se
voir reprocher, dans le cadre de son devoir de conseil, le fait de ne pas avoir
suffisamment attiré l'attention des emprunteurs sur la difficulté
juridique qu'elle ne pouvait ignorer ; que le moyen ne peut être accueilli
;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident formé par la Banque populaire
du Sud-Ouest, pris en ses deux branches :
Attendu que la BPSO fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté
sa demande tendant à la condamnation de la SCI, de M. Y..., de la SELARL
Pierre X... et des Mutuelles du Mans, alors, selon le moyen :
1 / que les clauses de réparation forfaitaire prévues dans un
contrat ne peuvent être invoquées par les tiers par la faute desquels
ce contrat a été résolu ou annulé ; qu'en jugeant
que le montant de l'indemnité de résiliation anticipée
prévue dans le contrat de prêt en cas d'exercice par l'emprunteur
de sa faculté de résiliation constituait la limite de l'indemnité
de réparation susceptible d'être mise à la charge de M.
X..., dont la faute avait conduit à la résiliation prématurée,
du fait de son annulation, du contrat de prêt, la cour d'appel a violé
les articles 1382 et 1165 du Code civil ;
2 / que la réduction conventionnelle de l'indemnité de résiliation
à un montant inférieur au préjudice effectif résultant
de la résiliation anticipée du prêt étant prévue
et légalement imposée dans l'intérêt exclusif de
l'emprunteur, afin de ne pas vider de sa substance la faculté de résiliation
que la loi lui reconnaît, viole l'article 1382 et le principe de la réparation
intégrale, la cour d'appel qui s'abstient de rechercher, comme elle y
était invitée, si l'annulation du prêt par la faute du notaire
n'avait pas fait perdre à la banque une chance de réaliser, si
ce prêt n'avait pas été annulé, le gain financier
qu'elle pouvait légitimement en attendre en cas d'exécution de
celui-ci jusqu'à son terme ;
Mais attendu que si, en principe, les conventions n'ont d'effet qu'à
l'égard des parties, elles constituent des faits juridiques dont peuvent
être déduites des conséquences en droit à l'égard
des tiers ; que l'arrêt retient que la BPSO ne pouvait solliciter
à titre de dommages-intérêts une somme supérieure
à l'indemnité de résiliation anticipée, dès
lors que cette résiliation pouvait intervenir à tout moment à
la demande de l'emprunteur, que ladite indemnité était censée
couvrir l'intégralité des préjudices subis par l'organisme
prêteur du seul fait de la fin anticipée du prêt et que la
nullité prononcée n'apportait pas de préjudice supplémentaire
par rapport à une résiliation anticipée ; que l'arrêt
retient encore, par motifs adoptés, que les banques avaient subi un dommage
car elles se trouvaient privées de la rémunération attendue
du crédit puisqu'elles ne récupéreraient le capital prêté,
certes par anticipation, que pour les contrats déjà remboursés
par anticipation dans le cadre de la renégociation ou du rachat des prêts,
que le préjudice des banques était équivalent au montant
des restitutions qu'elles allaient devoir opérer entre les mains des
emprunteurs, montant égal aux intérêts conventionnels, cotisations
d'assurance, frais de dossier, indemnités de remboursement anticipé
et intérêts compensatoires effectivement perçus en vertu
des dispositions contractuelles annulées et que pour les contrats qui
étaient encore en cours, le même mode de calcul devait être
adopté ;
que l'arrêt retient encore que, quelles que fussent les circonstances,
la banque n'était jamais assurée que le prêt parvienne à
son terme normal puisqu'elle réservait à l'emprunteur une faculté
de résiliation anticipée, que le risque existait donc pour la
banque indépendamment de toute nullité et que le prêteur
était donc en droit de réclamer des dommages-intérêts
d'un montant équivalent aux restitutions en intérêts conventionnels,
cotisations d'assurances, frais de dossier qu'il allait devoir opérer,
augmenté d'une somme égale à l'indemnité légale
de remboursement anticipé ; qu'il résulte de ces motifs qu'en
se référant à une convention à laquelle les notaires
étaient demeurés étrangers, la cour d'appel n'a nullement
étendu à leur égard l'effet obligatoire de cette convention,
mais a seulement tiré de celle-ci un élément d'évaluation
du préjudice, résultant d'une perte de chance, qu'il leur incombait
de réparer ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches
;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Publication : Bulletin 2005 I N° 205 p. 173
Revue trimestrielle de droit civil, 2005-07, n° 3, chroniques, p. 596-597,
Jacques MESTRE et Bertrand FAGES.