(…) EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
12. Les requérants sont nés respectivement en 1962 et 1965 et
résident à Bouligny.
13. En 1990, les requérants eurent un premier enfant, A., atteinte d’amyotrophie
spinale infantile de type 1, maladie génétique provoquant une
atrophie des muscles.
14. En 1992, la requérante débuta une nouvelle grossesse. Un diagnostic
prénatal, effectué au centre hospitalier universitaire de Nancy,
révéla qu’il existait un risque que l’enfant à
naître soit affecté de la même maladie génétique.
Les requérants choisirent d’interrompre la grossesse.
15. En 1997, la requérante, enceinte pour la troisième fois, demanda
à subir un nouveau diagnostic prénatal. Celui-ci fut effectué
au centre hospitalier général de Briey, qui transmit le prélèvement
au laboratoire de diagnostic moléculaire du groupe hospitalier Necker-Enfants
malades, dépendant de l’Assistance publique - Hôpitaux de
Paris (AP-HP). En juin 1997, au vu du diagnostic du laboratoire, le centre hospitalier
de Briey assura aux requérants que l’enfant à naître
n’était pas atteint d’amyotrophie spinale infantile et qu’il
était « sain ».
16. C. naquit le 25 septembre 1997. Moins de deux ans après sa naissance,
il apparut qu’elle était aussi atteinte d’amyotrophie spinale
infantile. Le 22 juillet 1999, un rapport du chef du laboratoire de l’hôpital
Necker-Enfants malades de Paris révéla que l’erreur de diagnostic
prénatal résultait d’une inversion des résultats
des analyses concernant la famille des requérants avec ceux d’une
autre famille, provenant de l’interversion de deux flacons.
17. Selon les rapports médicaux, C. présente des troubles graves
et des signes objectifs de déficience fonctionnelle : chutes fréquentes
dont elle ne peut se relever sans aide, marche titubante, fatigabilité
à tout effort. Elle nécessite l’assistance d’une tierce
personne (notamment la nuit pour la retourner de façon à éviter
qu’elle ne s’étouffe alors qu’elle ne peut se retourner
seule). Elle ne peut s’asseoir seule et se déplace en scooter électrique.
Elle doit subir des soins plusieurs fois par semaine et ne peut être admise
à l’école faute pour celle-ci de comporter les dispositifs
adéquats. Son médecin traitant a considéré qu’il
fallait « émettre des réserves jusqu’à la date
de la puberté tant sur le plan moteur que respiratoire ou des déformations
orthopédiques possibles ». Ces faits furent à l’origine
de plusieurs procédures.
(…)
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1er DU PROTOCOLE
No 1 À LA CONVENTION
60. Les requérants dénoncent l’article 1er de la loi no
2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité
du système de santé (paragraphe 50 ci-dessus). Cette disposition
aurait porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens et
violerait l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, ainsi
libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul
ne peut être privé de sa propriété que pour cause
d’utilité publique et dans les conditions prévues par la
loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit
que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent
nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément
à l’intérêt général ou pour assurer
le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.
»
A. Sur l’existence d’un « bien »
au sens de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention
1. Thèses des parties
a) Les requérants
61. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour (en particulier Pressos Compania
Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série
A no 332), les requérants soutiennent qu’ils sont titulaires d’un
« bien ». Ils ne se placent pas, à cet égard, sur
le terrain de la propriété acquise, mais sur celui de «
l’espérance légitime », au sens de la jurisprudence
précitée. Ils allèguent en effet qu’avant l’intervention
de la loi du 4 mars 2002, ils disposaient d’une espérance légitime
d’obtenir la réparation intégrale des préjudices
subis du fait du handicap de leur fille C. En effet, selon les requérants,
les conditions d’engagement de la responsabilité de l’AP-HP
sur le fondement de la jurisprudence Quarez du Conseil d’Etat (paragraphes
39 à 43 ci-dessus) étaient réunies lorsqu’ils ont
introduit leur action devant les juridictions administratives. L’existence
d’une faute de l’AP-HP serait avérée et le lien de
causalité entre la faute et le dommage ne saurait être utilement
contesté, puisque l’inversion des résultats est, selon les
requérants, à l’origine de l’erreur de diagnostic
qui les a ainsi privés de recourir à une interruption de grossesse
pour motif thérapeutique. En application de la jurisprudence Quarez,
les requérants auraient donc dû obtenir intégralement gain
de cause. Or, du fait de l’intervention de la loi du 4 mars 2002, le droit
à réparation de leurs préjudices, à l’exception
du préjudice moral et de celui découlant des troubles dans leurs
conditions d’existence, serait devenu illusoire, puisque cette loi a eu
pour effet de les priver rétroactivement de leur créance.
b) Le Gouvernement
62. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont jamais été
titulaires d’un « bien » ni au sens strict du terme, ni au
sens de « l’espérance légitime » définie
par la jurisprudence de la Cour (voir Pressos Compania Naviera S.A. et autres,
précité). Cette notion prévoit la certitude d’obtenir
gain de cause au regard du système de responsabilité interne pertinent.
Or, avant l’adoption de la loi litigieuse, l’indemnisation n’était
pas attribuée de plein droit sur simple constatation du dommage. Le régime
de la responsabilité administrative prévoyait que la réparation
du préjudice subi par les parents soit soumise à l’existence
d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité
entre la faute et le dommage, ces éléments étant soumis
à l’appréciation souveraine des juges du fond. Ainsi, l’indemnisation
étant loin d’être automatique, les requérants ne pourraient
donc pas se prévaloir d’une « espérance légitime
» à voir une créance satisfaite, qui aurait été
déçue par l’adoption de la loi.
2. Appréciation de la Cour
63. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut
alléguer une violation de l’article 1er du Protocole no 1 à
la Convention que dans la mesure où les décisions qu’il
incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette
disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant des «
biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines
situations bien définies, des créances. Pour qu’une créance
puisse être considérée comme une « valeur patrimoniale
» tombant sous le coup de l’article 1 du Protocole no1, il faut
que le titulaire de la créance démontre que celle-ci a une base
suffisante en droit interne, par exemple qu’elle est confirmée
par une jurisprudence bien établie des tribunaux. Dès lors que
cela est acquis, peut entrer en jeu la notion d’« espérance
légitime ».
64. Quant à la notion d’« espérance légitime
», un aspect en a été illustré dans l’affaire
Pressos Companía Naviera S.A. et autres précitée. Celle-ci
concernait des créances en réparation résultant d’accidents
de navigation censés avoir été causés par la négligence
de pilotes belges. En vertu du droit belge de la responsabilité, les
créances prenaient naissance dès la survenance du dommage. La
Cour qualifia ces créances de « valeurs patrimoniales » appelant
la protection de l’article 1er du Protocole no 1. Elle releva ensuite
que, compte tenu d’une série de décisions de la Cour de
cassation, les requérants pouvaient prétendre avoir une «
espérance légitime » de voir concrétiser leurs créances
quant aux accidents en cause conformément au droit commun de la responsabilité.
65. La Cour ne déclara pas explicitement dans l’affaire Pressos
Companía Naviera S.A. et autres que l’« espérance
légitime » était un élément ou un corollaire
du droit de propriété revendiqué. Il résultait toutefois
implicitement de l’arrêt que pareille espérance ne pouvait
entrer en jeu en l’absence d’une « valeur patrimoniale »
relevant du domaine de l’article 1er du Protocole no 1, dans le cas d’espèce
une créance en réparation. L’« espérance légitime
» identifiée dans l’affaire Pressos Companía Naviera
S.A. et autres n’était pas en elle-même constitutive d’un
intérêt patrimonial ; elle se rapportait à la manière
dont la créance qualifiée de « valeur patrimoniale »
serait traitée en droit interne, et spécialement à la présomption
selon laquelle la jurisprudence constante des juridictions nationales continuerait
de s’appliquer à l’égard des dommages déjà
causés.
66. Dans toute une série d’affaires, la Cour a jugé que
les requérants n’avaient pas d’« espérance légitime
» lorsqu’on ne pouvait considérer qu’ils possédaient
de manière suffisamment établie une créance immédiatement
exigible. (...) La jurisprudence de la Cour n’envisage pas l’existence
d’une « contestation réelle » ou d’une «
prétention défendable » comme un critère permettant
de juger de l’existence d’une « espérance légitime
» protégée par l’article 1er du Protocole no 1. (...)
La Cour estime que lorsque l’intérêt patrimonial concerné
est de l’ordre de la créance, il ne peut être considéré
comme une « valeur patrimoniale » que lorsqu’il a une base
suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il est confirmé
par une jurisprudence bien établie des tribunaux (voir Kopecký
c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35 et 48 à 52, CEDH 2004-IX).
67. Pour juger en l’espèce de l’existence d’un bien,
la Cour peut avoir égard au droit interne en vigueur lors de l’ingérence
alléguée. Il s’agissait d’un régime de responsabilité
pour faute exigeant qu’existent un préjudice (ou dommage), une
faute, et un lien de causalité entre le dommage et la faute. La Cour
relève que ni l’AP-HP ni le Gouvernement ne contestent que l’inversion
des résultats des analyses concernant les requérants et ceux d’une
autre famille soit constitutive d’une faute. Le seul point en litige est
le lien de causalité entre la faute de l’établissement hospitalier
et le préjudice subi par les requérants. A cet égard, l’AP-HP
estime que ce lien n’existe pas compte tenu de ce que, même en l’absence
d’inversion des résultats, le diagnostic prénatal qui aurait
été communiqué aux requérants aurait été
incertain, du fait de la présence de sang maternel dans le prélèvement
effectué sur la requérante. La responsabilité de l’AP-HP
n’étant donc pas établie, les requérants ne bénéficieraient
pas, selon le Gouvernement, d’une indemnisation automatique, et ne pourraient
donc pas se prévaloir d’une « espérance légitime
».
68. La Cour ne saurait souscrire à cette thèse. Elle relève
que les juridictions nationales ont établi sans ambiguïté,
aussi bien dans le cadre des décisions rendues en référé
qu’au fond, et à tous les stades de ces procédures, l’existence
d’un lien de causalité directe entre la faute commise et le préjudice
subi. Les juridictions ont en effet considéré qu’en l’espèce
la faute de l’AP-HP a faussement conduit les requérants à
la certitude que l’enfant conçu n’était pas atteint
d’amyotrophie spinale infantile et que la grossesse pouvait être
normalement menée à son terme, alors que les requérants
avaient clairement manifesté leur volonté d’éviter
le risque d’un troisième accident génétique. La faute
ainsi commise a rendu sans objet tout examen complémentaire que la requérante
aurait pu faire pratiquer dans la perspective d’une interruption de grossesse
pour motif thérapeutique, ce qui aurait sans doute été
le cas dans l’hypothèse d’un diagnostic incertain. Pour effectuer
ce constat, les juridictions se sont fondées d’abord sur la jurisprudence
Quarez précitée, puis sur les dispositions de la loi du 4 mars
2002 entrées en vigueur par la suite, qui n’ont d’ailleurs
pas modifié les conditions d’établissement du lien de causalité
entre la faute, même caractérisée, et le préjudice
des parents de l’enfant né handicapé.
69. Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’AP-HP
sur le fondement de la jurisprudence Quarez étaient donc bien réunies,
et les requérants disposaient par conséquent d’une créance
s’analysant en une « valeur patrimoniale ». Quant à
la manière dont cette créance aurait été traitée
en droit interne sans l’intervention de la loi litigieuse, la Cour estime
que, compte tenu de l’arrêt Quarez rendu par le Conseil d’Etat
le 14 février 1997 et de la jurisprudence constante établie depuis
par les juridictions administratives en la matière, les requérants
pouvaient légitimement espérer pouvoir obtenir réparation
de leur préjudice, y compris les charges particulières découlant
du handicap de leur enfant tout au long de sa vie.
70. De l’avis de la Cour, avant l’intervention de la loi litigieuse,
les requérants détenaient une créance qu’ils pouvaient
légitimement espérer voir se concrétiser, conformément
au droit commun de la responsabilité pour faute, et donc un « bien
» au sens de la première phrase de l’article 1er du Protocole
no 1 à la Convention, lequel s’applique dès lors en l’espèce.
B. Sur l’observation de l’article 1er du Protocole
no 1 à la Convention
1. Thèses des parties
a) Les requérants
71. Les requérants considèrent que l’intervention de la
loi du 4 mars 2002 constitue une « ingérence » dans le droit
au respect de leurs biens puisqu’ils ont été privés
de la possibilité d’obtenir la réparation intégrale
de leurs préjudices, en application de la jurisprudence Quarez.
72. Quant à la légitimité de cette ingérence, les
requérants soutiennent que celle-ci ne ménagerait pas un juste
équilibre entre les exigences de l’intérêt général
(compte tenu notamment des motifs d’adoption de la loi, qui ne sauraient
en justifier la rétroactivité) et la protection de leurs droits
fondamentaux, puisque la loi a eu pour effet de les priver, sans compensation
effective, de leur créance.
73. Ils soulignent également l’impact énorme et disproportionné
des conséquences de l’application immédiate de la loi aux
instances en cours, compte tenu notamment du renvoi par cette nouvelle loi au
dispositif de prise en charge des personnes handicapées par la solidarité
nationale, qu’ils estiment insuffisant, vague et imprécis. A cet
égard, la récente loi du 11 février 2005 (paragraphes 54
à 59 ci-dessus), si elle instaure une nouvelle prestation de compensation
du handicap, ne saurait, de par ses modalités, faire disparaître
la disproportion et laisse subsister une charge exorbitante pour les requérants.
b) Le Gouvernement
74. Si la Cour devait considérer que les requérants sont titulaires
d’un bien, le Gouvernement soutient que la dépossession partielle
subie ne saurait être déclarée contraire à l’article
1er du Protocole no 1 à la Convention, en raison notamment du but de
la loi du 4 mars 2002. Celle-ci aurait eu essentiellement pour objet de préciser
un régime de responsabilité médicale qui soulevait des
difficultés juridiques et éthiques et qui avait été
fixé, le Gouvernement a insisté sur ce point lors de l’audience,
par une jurisprudence récente (l’arrêt Quarez ne datant que
de 1997, année de naissance de l’enfant des requérants).
La nouvelle loi, sans être réellement rétroactive, se bornerait,
après avoir modifié l’état du droit, à le
rendre immédiatement applicable aux instances en cours, selon un principe
couramment appliqué.
75. Se référant à l’avis contentieux rendu par le
Conseil d’Etat le 6 décembre 2002, le Gouvernement évoque
ensuite, toujours afin de démontrer la légitimité de l’ingérence,
les motifs d’intérêt général qui auraient justifié
l’adoption de la loi contestée et son applicabilité aux
instances en cours.
Des motifs d’ordre éthique, tout d’abord, reflétés
essentiellement par l’alinéa I de l’article 1er de la loi.
En effet, compte tenu des réactions suscitées par la jurisprudence
Perruche précitée (voir paragraphes 44 à 47 ci-dessus),
le législateur serait intervenu pour donner une solution cohérente
à un débat national mettant en cause des questions éthiques
prééminentes liées notamment à la dignité
de la personne et au statut de l’enfant à naître. Il s’agissait
surtout d’exclure la reconnaissance d’un droit de l’enfant
à se plaindre d’avoir été mis au monde avec un handicap
congénital, ce qui relève d’un choix fondamental de société.
Dès lors, l’on ne pouvait établir une différence
de traitement pour les procédures en cours selon la date d’introduction
du litige, avant ou après la promulgation de la loi.
Des motifs d’équité, ensuite. La loi litigieuse obéirait
à des motifs tenant à la nécessité d’assurer
le traitement équitable des personnes handicapées dans leur ensemble,
quelle que soit la gravité et la cause de leur handicap. Une telle intervention
aurait été d’autant plus nécessaire que, suite aux
jurisprudences Quarez et Perruche, le régime d’indemnisation de
ces personnes n’était pas satisfaisant. Ce souci d’un traitement
équitable aurait motivé l’application immédiate de
la loi, pour qu’aucune distinction ne soit faite entre les personnes handicapées
en fonction de la date de dépôt de leurs recours, avant ou après
la promulgation de la loi. Toujours sur le plan de l’équité,
il s’agissait de cesser de faire porter sur le professionnel ou l’établissement
de santé l’indemnisation du handicap non décelé pendant
la grossesse, ce qui fut ressenti comme une profonde injustice par les médecins
obstétriciens et praticiens d’échographies prénatales.
Enfin et surtout, le législateur serait intervenu pour des motifs tenant
à la bonne organisation du système de santé, menacée
par le mécontentement exprimé par les professionnels de santé
suite à la jurisprudence Perruche précitée. Confronté
à des grèves, démissions et refus de pratiquer des échographies
prénatales, le législateur aurait agi pour préserver des
filières médicales suffisantes dans les domaines de l’obstétrique
et de l’échographie et assurer le suivi médical dans de
bonnes conditions des femmes enceintes et des enfants à naître.
76. Le Gouvernement soutient ensuite qu’il existe un juste équilibre
entre l’objectif poursuivi par le législateur et les moyens qu’il
a employés. Il expose à cet égard que ni les parents d’enfants
handicapés, ni ces derniers, n’ont été privés
de toute prise en charge et que la loi maintient un régime de responsabilité
pour faute des professionnels de santé. Il ajoute que le législateur
a dû faire prévaloir la nécessité de préserver
le système de santé sur l’espoir d’indemnisation complémentaire
de quelques parents. Compte tenu des grèves de nombreux praticiens, l’application
immédiate de la nouvelle loi aurait été nécessaire
pour limiter la fuite des praticiens privés du secteur des diagnostics
prénataux. Par ailleurs, le Gouvernement souligne que les requérants
ont obtenu en première instance, postérieurement à l’entrée
en vigueur de la loi en cause, des indemnités qui, si elles n’ont
pas été à la hauteur de leurs espoirs, étaient loin
d’être symboliques, puisqu’elles s’élevaient
à 220 000 EUR. Ce montant serait équivalent à celui de
l’indemnisation versée dans l’affaire Quarez précitée
et couvre, le Gouvernement le souligne, non seulement le préjudice moral
des parents, mais aussi l’ensemble des troubles allégués
dans leurs conditions d’existence. Ainsi, si les requérants n’ont
pas obtenu l’indemnisation de tous les chefs de préjudice allégués,
ils auraient obtenu une indemnisation d’un montant important.
77. Par ailleurs, selon le Gouvernement, l’on ne saurait négliger
l’importance du recours à la solidarité nationale. Celle-ci
prévoyait un dispositif avant la loi litigieuse, qui a été
complété par les mesures prévues par la récente
loi du 11 février 2005. Ainsi, du fait de l’application de la loi
du 4 mars 2002, les personnes handicapées et leurs familles ne subiraient
pas de conséquences excessives : elles ne seraient pas privées
de soutien financier, mais celui-ci serait pris en charge non plus seulement
par les professionnels de santé, mais aussi par l’Etat.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence dans le droit au respect
d’un « bien »
78. Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention, qui garantit en substance le droit de propriété,
contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans
la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère
général, énonce le principe du respect de la propriété
; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa,
vise la privation de propriété et la subordonne à certaines
conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second
alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre
autres, de réglementer l’usage des biens conformément à
l’intérêt général. La deuxième et la
troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteinte
au droit de propriété, doivent s’interpréter à
la lumière du principe consacré par la première (voir,
parmi d’autres, Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité,
§ 33).
79. La loi du 4 mars 2002, entrée en vigueur le 7 mars 2002, a privé
les requérants de la possibilité d’être indemnisés
à raison des « charges particulières » en application
de la jurisprudence Quarez du 14 février 1997, alors que, dès
le 16 mars 2001, ils avaient saisi le tribunal administratif de Paris d’une
requête au fond et que, par une ordonnance rendue le 19 décembre
2001, le juge des référés de ce même tribunal leur
avait accordé une provision d’un montant substantiel, compte tenu
du caractère non sérieusement contestable de l’obligation
de l’AP-HP à leur égard. La loi litigieuse a donc entraîné
une ingérence dans l’exercice des droits de créance en réparation
qu’on pouvait faire valoir en vertu du droit interne en vigueur jusqu’alors
et, partant, du droit des requérants au respect de leurs biens.
80. La Cour relève que, en l’espèce, dans la mesure où
la loi contestée concerne les instances engagées avant le 7 mars
2002 et pendantes à cette date, telles que celles des requérants,
cette ingérence s’analyse en une privation de propriété
au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er
du Protocole no 1 à la Convention. Il lui faut donc rechercher si l’ingérence
dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.
b) Sur la justification de l’ingérence
i. « Prévue par la loi »
81. Il n’est pas contesté que l’ingérence litigieuse
ait été « prévue par la loi », comme le veut
l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention.
82. En revanche, les avis des comparants divergent sur la légitimité
de cette ingérence. Dès lors, la Cour doit rechercher si celle-ci
poursuivait un but légitime, à savoir s’il existait une
« cause d’utilité publique », et si elle a eu lieu
dans le respect du principe de proportionnalité, au sens de la seconde
règle énoncée par l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention.
ii. « Pour cause d’utilité publique
»
83. La Cour estime que, grâce à une connaissance directe de leur
société et de ses besoins, les autorités nationales se
trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer
ce qui est « d’utilité publique ». Dans le mécanisme
de protection créé par la Convention, il leur appartient par conséquent
de se prononcer les premières sur l’existence d’un problème
d’intérêt général justifiant des privations
de propriété. Dès lors, elles jouissent ici d’une
certaine marge d’appréciation, comme en d’autres domaines
auxquels s’étendent les garanties de la Convention.
84. De plus, la notion d’« utilité publique » est ample
par nature. En particulier, la décision d’adopter des lois portant
privation de propriété implique d’ordinaire l’examen
de questions politiques, économiques et sociales. Estimant normal que
le législateur dispose d’une grande latitude pour mener une politique
économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il conçoit
les impératifs de l’« utilité publique », sauf
si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base
raisonnable (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité,
§ 37, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 149, CEDH 2004-V).
85. En l’espèce, le Gouvernement affirme que l’article 1er
de la loi du 4 mars 2002 procède de motifs d’intérêt
général relevant de trois domaines : l’éthique, et
notamment la nécessité de se prononcer sur un choix fondamental
de société, l’équité et la bonne organisation
du système de santé (paragraphe 75 ci-dessus). A cet égard,
la Cour n’a pas de raisons de douter que la volonté du législateur
français de mettre un terme à une jurisprudence qu’il désapprouvait
et de modifier l’état du droit en matière de responsabilité
médicale, même en rendant les nouvelles règles applicables
aux situations en cours, servait une « cause d’utilité publique
». Une autre question est celle de savoir si ce but d’intérêt
public pesait d’un poids suffisant dans le cadre de l’appréciation
de la proportionnalité de l’ingérence.
iii. Proportionnalité de l’ingérence
86. Une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit
ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt
général de la communauté et les impératifs de la
sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi d’autres,
Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982,
série A no 52, p. 26, § 69). Le souci d’assurer un tel équilibre
se reflète dans la structure de l’article 1er du Protocole no 1
tout entier, donc aussi dans la seconde phrase qui doit se lire à la
lumière du principe consacré par la première. En particulier,
il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les
moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne
de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité,
§ 38).
87. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre
voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur les requérants une
charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération
les modalités d’indemnisation prévues par la législation
interne. A cet égard, la Cour a déjà dit que, sans le versement
d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation
de propriété constitue normalement une atteinte excessive, et
un manque total d’indemnisation ne saurait se justifier sur le terrain
de l’article 1er du Protocole no 1 que dans des circonstances exceptionnelles
(voir Les saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994,
série A no 301-A, p. 35, § 71, Ex-Roi de Grèce et autres
c. Grèce [GC], no 25701/94, § 89, CEDH 2000-XII, et Jahn et autres
c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 94, CEDH 2005-...).
88. La Cour rappelle que le Conseil d’Etat avait reconnu, par son arrêt
Quarez du 14 février 1997, que l’Etat et les personnes de droit
public telles que l’AP-HP, établissement public de santé
assurant le service public hospitalier, étaient soumis au droit commun
de la responsabilité pour faute. Elle note que cette jurisprudence, si
elle était relativement récente, était stable et constamment
appliquée par les juridictions administratives. La jurisprudence Quarez
étant antérieure à la découverte du handicap de
C. et surtout à la saisine des juridictions nationales par les requérants,
ces derniers pouvaient légitimement espérer en bénéficier.
89. En annulant les effets de cette jurisprudence, outre ceux de l’arrêt
Perruche de la Cour de cassation, pour les instances en cours, la loi litigieuse
a appliqué un régime nouveau de responsabilité à
des faits dommageables antérieurs à son entrée en vigueur
et ayant donné lieu à des instances toujours pendantes à
cette date, produisant ainsi un effet rétroactif. Sans doute, l’applicabilité
aux instances en cours ne saurait-elle en soi constituer une rupture du juste
équilibre voulu, le législateur n’étant pas, en principe,
empêché d’intervenir, en matière civile, pour modifier
l’état du droit par une loi immédiatement applicable (voir,
mutatis mutandis, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France [GC],
nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999-VII).
90. Mais, en l’espèce, l’article 1er de la loi du 4 mars
2002 a purement et simplement supprimé, avec effet rétroactif,
une partie essentielle des créances en réparation, de montants
très élevés, que les parents d’enfants dont le handicap
n’avait pas été décelé avant la naissance
en raison d’une faute, tels que les requérants, auraient pu faire
valoir contre l’établissement hospitalier responsable. Le législateur
français a ainsi privé les requérants d’une «
valeur patrimoniale » préexistante et faisant partie de leurs «
biens », à savoir une créance en réparation établie
dont ils pouvaient légitimement espérer voir déterminer
le montant conformément à la jurisprudence fixée par les
plus hautes juridictions nationales.
91. La Cour ne saurait suivre l’argumentation du Gouvernement selon laquelle
le principe de proportionnalité aurait été respecté,
une indemnisation adéquate, et donc une contrepartie satisfaisante, ayant
été prévue en faveur des requérants. En effet, elle
ne considère pas que ce que les requérants ont pu percevoir en
application de la loi du 4 mars 2002, seule forme de compensation des charges
particulières découlant du handicap de leur enfant, pouvait ou
puisse constituer le versement d’une somme raisonnablement en rapport
avec la valeur de la créance perdue. Certes, les requérants bénéficient
de prestations, prévues par le dispositif en vigueur, mais leur montant
est nettement inférieur à celui résultant du régime
de responsabilité antérieur et il est clairement insuffisant,
comme l’admettent le Gouvernement et le législateur eux-mêmes,
puisque ces prestations ont été complétées récemment
par de nouvelles dispositions prévues à cet effet par la loi du
11 février 2005. En outre les montants qui seront versés aux requérants
en vertu de ce texte, tout comme la date d’entrée en vigueur de
celui-ci pour les enfants handicapés, ne sont pas définitivement
fixés (paragraphes 57 à 59 ci-dessus). Cette situation laisse
peser encore aujourd’hui une grande incertitude sur les requérants
et, en tout état de cause, ne leur permet pas d’être indemnisés
suffisamment du préjudice déjà subi depuis la naissance
de leur enfant.
Ainsi tant le caractère très limité de la compensation
actuelle au titre de la solidarité nationale que l’incertitude
régnant sur celle qui pourra résulter de l’application de
la loi de 2005 ne peuvent faire regarder cet important chef de préjudice
comme indemnisé de façon raisonnablement proportionnée
depuis l’intervention de la loi du 4 mars 2002.
92. Quant à l’indemnisation accordée, à ce jour,
par le tribunal administratif de Paris aux requérants, la Cour constate
qu’elle relève du préjudice moral et des troubles dans les
conditions d’existence, et non des charges particulières découlant
du handicap de l’enfant tout au long de sa vie. A cet égard, force
est de constater que le montant de l’indemnisation accordée par
ledit tribunal est très inférieur aux expectatives légitimes
des requérants et que, en tout état de cause, il ne saurait être
considéré comme définitif, puisqu’il a été
fixé par un jugement de première instance dont il a été
interjeté appel, la procédure étant actuellement pendante.
L’indemnisation ainsi octroyée aux requérants ne saurait
donc compenser les créances perdues.
93. Enfin, la Cour estime que les considérations liées à
l’éthique, à l’équité et à la
bonne organisation du système de santé mentionnées par
le Conseil d’Etat dans son avis contentieux du 6 décembre 2002
et invoquées par le Gouvernement ne pouvaient pas, en l’espèce,
légitimer une rétroactivité dont l’effet a été
de priver les requérants, sans indemnisation adéquate, d’une
partie substantielle de leurs créances en réparation, leur faisant
ainsi supporter une charge spéciale et exorbitante.
Une atteinte aussi radicale aux droits des intéressés a rompu
le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les
exigences de l’intérêt général et, d’autre
part, la sauvegarde du droit au respect des biens.
94. L’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a donc violé, dans la
mesure où il concerne les instances qui étaient en cours le 7
mars 2002, date de son entrée en vigueur, l’article 1er du Protocole
no 1 à la Convention.
(…)
VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA
CONVENTION
127. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention
ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante
ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de
cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il
y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommages matériel et moral
128. Les requérants allèguent avoir subi un préjudice matériel
correspondant aux sommes qu’ils auraient perçues en l’état
du droit antérieur à la loi du 4 mars 2002. Ils demandent, justificatifs
à l’appui, les sommes suivantes :
a. 115 200 EUR au titre du préjudice professionnel subi par M. Maurice
;
b. 11 004 EUR pour l’installation d’un élévateur d’appartement,
5 647 EUR pour un fauteuil roulant (somme restante après remboursement
par la sécurité sociale), 50 550 EUR pour l’achat successif
de deux véhicules (le premier véhicule s’étant révélé
inadéquat pour le transport des enfants), 505 603 EUR pour la réhabilitation
de leur maison d’habitation avec accessibilité et aménagements
spécifiques, soit une somme de 688 004 EUR (pour les rubriques a) et
b)) qui, assortie des intérêts légaux qui auraient été
pris en compte par la juridiction administrative, revient à 790 010,63
EUR ;
c. au titre du préjudice découlant des charges matérielles
particulières résultant du handicap de leur enfant, soit une rente
de 5 800 EUR par mois, pour la durée de la vie de l’enfant, avec
fixation d’un coefficient de revalorisation en cas d’aggravation
de l’état de l’enfant, soit un capital de 5 421 144 EUR (calculé
sur la base de la durée de vie médiane). Ces sommes ont été
établies notamment compte tenu de l’âge de C. et du caractère
évolutif de sa maladie.
129. En ce qui concerne en particulier les sommes correspondant aux «
charges particulières » (répertoriées sous b) et
c) ci-dessus), les requérants soulignent que la loi adoptée le
11 février 2005 ne sera pas immédiatement applicable aux enfants
et qu’elle n’assurera pas la compensation du préjudice qu’ils
ont déjà subi depuis la naissance de C. Ils ajoutent que la prestation
prévue par ce texte ne permettra pas une compensation intégrale
des charges liées au handicap de leur enfant.
130. Leur demande pour le dommage matériel s’élève
au total à 6 211 154,63 EUR.
131. Les requérants ne présentent pas de demande au titre du préjudice
moral. Le Gouvernement en prend acte.
132. En revanche, le Gouvernement conteste les demandes présentées
par les requérants au titre du préjudice matériel, qu’il
estime déraisonnables. Il soutient notamment que le préjudice
professionnel aurait déjà été réparé
par le tribunal administratif de Paris dans son jugement du 25 novembre 2003.
Cette réparation n’ayant pas été remise en cause
par l’intervention de la loi de 2002, le Gouvernement estime qu’aucune
satisfaction équitable ne saurait être accordée sur ce fondement.
Quant aux sommes correspondant aux « charges particulières »
découlant du handicap de C. (ventilées sous b) et c) ci-dessus),
elles seraient déjà en partie couvertes par les allocations versées
au titre de la solidarité nationale, qui seront ensuite complétées
par les dispositions de la loi du 11 février 2005. Il s’ensuit,
selon le Gouvernement, que l’éventuel constat de violation constituerait
une satisfaction équitable suffisante.
133. La Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, et
eu égard notamment à l’état de la procédure
devant les juridictions nationales, la question de l’application de l’article
41 ne se trouve pas en état pour les dommages matériel et moral.
Il y a donc lieu de la réserver en tenant compte de l’éventualité
d’un accord entre l’Etat défendeur et les intéressés
(article 75 §§ 1 et 4 du règlement).
B. Frais et dépens
134. En ce qui concerne les frais et dépens exposés devant les
juridictions nationales, les requérants demandent, justificatifs à
l’appui, 17 600 EUR (6 400 EUR pour deux référés-provisions,
un référé-expertise et une demande d’indemnité
contre l’AP-HP, 2 800 EUR pour une demande d’indemnité contre
l’Etat pour responsabilité du fait des lois, 2 800 EUR pour l’appel
du référé-provision, 2 800 EUR pour les pourvois en cassation
concernant le référé-provision et 2 800 EUR pour les deux
appels actuellement pendants contre l’AP-HP et l’Etat). De ce montant,
ils soustraient 5 762 EUR qu’ils ont perçus à titre d’indemnités
en exécution des différentes décisions internes. La somme
totale demandée est donc de 11 838 EUR. Quant aux frais et dépens
exposés devant la Cour, les requérants demandent 15 000 EUR et
fournissent l’état d’honoraires correspondant.
135. Le Gouvernement expose que la Cour, lorsqu’elle constate une violation,
n’accorde que le paiement des frais et dépens exposés devant
les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci
ladite violation. Or, en l’espèce, même sans l’intervention
de la loi du 4 mars 2002, les frais relatifs aux procédures de référé
et à l’action au fond en première instance auraient été
exposés. Le Gouvernement estime donc que seuls les frais exposés
en appel sur le fond et contre l’Etat pour responsabilité du fait
des lois devraient être accordés aux requérants, soit 5
600 EUR.
136. Quant aux frais exposés devant la Cour, le Gouvernement reconnaît
que les requérants ont recouru aux services d’un avocat et que
l’affaire présentait une certaine complexité. Il s’en
remet à la sagesse de la Cour pour apprécier le montant pouvant
être dû à ce titre, tout en considérant qu’il
ne devrait pas dépasser 7 500 EUR.
137. S’agissant de la procédure devant les juridictions internes,
la Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention,
elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant
les juridictions nationales « pour prévenir ou faire corriger par
celles-ci ladite violation » (voir, par exemple, Hertel c. Suisse, arrêt
du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63, et Carabasse c.
France, no 59765/00, § 68, 18 janvier 2005).
En l’espèce, la violation retenue concernant l’intervention
de la loi du 4 mars 2002, la Cour considère que les requérants
sont en droit de solliciter le remboursement des frais relatifs aux procédures
dans le cadre desquelles ils ont dû contester une telle intervention.
Tel est le cas des procédures engagées devant le tribunal administratif
de Paris dirigées contre l’AP-HP et l’Etat, des appels interjetés
et actuellement pendants devant la cour administrative d’appel de Paris,
ainsi que des pourvois en cassation concernant le référé-provision.
En ce qui concerne l’appel du référé-provision, la
Cour relève que, s’il a été interjeté par
l’AP-HP avant le 4 mars 2002, la loi litigieuse est toutefois intervenue
en cours de procédure, et les requérants en ont d’ailleurs
contesté l’applicabilité dans le cadre d’un de leurs
mémoires. Une partie des frais engagés par les requérants
dans cette procédure a donc été exposée pour prévenir
la violation de la Convention reconnue par la Cour.
138. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la
Convention, la Cour, au vu de ce qui précède, alloue aux requérants
la somme de 11 400 EUR, moins 5 000 EUR déjà perçus à
titre d’indemnités en exécution des différentes décisions
internes pertinentes, soit 6 400 EUR, toutes taxes comprises.
139. En ce qui concerne les frais afférents à la procédure
devant elle, la Cour constate que les requérants justifient leurs prétentions
par la production d’une note d’honoraires. Considérant que
les montants réclamés ne sont pas excessifs au vu de la nature
du litige, qui présentait incontestablement une certaine complexité,
la Cour fait entièrement droit aux demandes des requérants et
leur accorde la somme de 15 000 EUR, toutes taxes comprises.
C. Intérêts moratoires
140. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts
moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de
prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de
trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article
1er du Protocole no 1 à la Convention ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’est pas nécessaire
d’examiner le grief tiré de l’article 14 de la Convention
combiné avec l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention
;
3. Dit, par douze voix contre cinq, qu’il n’est pas nécessaire
d’examiner séparément le grief tiré de l’article
6 § 1 de la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation
de l’article 13 de la Convention ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’en admettant même
que l’article 8 de la Convention soit applicable, il n’y a pas eu
violation de cette disposition ;
6. Dit, à l’unanimité, que le grief tiré de l’article
14 de la Convention combiné avec l’article 8 sort du champ de son
examen ;
7. Dit, à l’unanimité, qu’en ce qui concerne la somme
à octroyer aux requérants pour tout dommage matériel ou
moral résultant de la violation constatée, la question de l’application
de l’article 41 ne se trouve pas en état et, en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par
écrit, dans les six mois à compter de la date de communication
du présent arrêt, leurs observations sur la question et, en particulier,
à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient parvenir
;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue
au président de la Cour le soin de la fixer au besoin ;
8. Dit, à l’unanimité,
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans
un délai de trois mois, la somme de 21 400 EUR (vingt et un mille quatre
cents euros) correspondant aux frais et dépens exposés jusqu’au
stade actuel de la procédure devant les juridictions nationales et la
Cour, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt
sur cette somme ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au
versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt
simple à un taux égal au taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
majoré de trois points de pourcentage ;
9. Rejette, à l’unanimité, la demande de frais et dépens
pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique
au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 6 octobre 2005.