CEDH, 14 février 2006, Le Carpentier et autre c/ France, req. no 67847/01
2. Sur l’existence d’une ingérence et la règle applicable
1. La loi litigieuse a entraîné une ingérence dans l’exercice
des droits que les requérants pouvaient faire valoir en vertu de la loi
et de la jurisprudence en vigueur et, partant, de leur droit au respect de leurs
biens.
2. La Cour relève que, dans les circonstances de l’espèce,
cette ingérence s’analyse en une privation de propriété
au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er
du Protocole no 1 à la Convention.
Il lui faut donc rechercher si l’ingérence dénoncée
se justifie sous l’angle de cette disposition.
3. Sur la justification de l’ingérence
« Pour cause d’utilité publique »
3. En l’espèce, le Gouvernement affirme que l’article 87
de la loi du 12 avril 1996 procède d’un motif d’intérêt
général : sauvegarder l’équilibre financier du système
bancaire, afin de ne pas mettre en péril l’activité économique
en général.
4. La Cour rappelle également qu’en principe un motif financier
ne permet pas à lui seul de justifier une telle intervention législative
(voir, notamment, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres, précité,
même §). En tout état de cause, dans les faits de l’espèce,
aucun élément ne vient étayer l’argument selon lequel
l’impact aurait été d’une telle importance que l’équilibre
du secteur bancaire et l’activité économique en général
auraient été mis en péril. Les sénateurs eux-mêmes,
semble-t-il, n’ont pas reçu d’informations précises
à ce sujet (paragraphe 25 ci-dessus). Outre l’absence d’évaluation
crédible du coût virtuel des procédures en cours et futures,
lesquelles n’ont pas davantage été recensées, force
est de constater que la question ne concernait que certaines banques, à
savoir celles qui n’avaient pas respecté l’obligation prévue
par l’article L. 312-8 du code de la consommation. Par ailleurs, lesdites
banques n’étaient pas directement exposées à un paiement
de dommages-intérêts ou de pénalités, mais principalement
à un remboursement de sommes préalablement perçues de leurs
clients. De fait, si les bénéfices des établissements concernés
auraient pu souffrir de l’absence de la loi, il n’est pas établi
que leur survie et, a fortiori, l’équilibre général
de l’économie nationale, auraient été menacés.
5. Compte tenu de ce qui précède, l’intervention législative
litigieuse, qui réglait définitivement, de manière rétroactive,
le fond du litige opposant des particuliers devant les juridictions internes,
n’était pas justifiée par d’impérieux motifs
d’intérêt général, ainsi que l’exige,
notamment, le principe de la prééminence du droit (Zielinski et
Pradal et Gonzalez et autres, précité, § 57).
6. Dans ces conditions, la Cour a des doutes sur le point de savoir si l’ingérence
dans les biens des requérants servait une « cause d’utilité
publique ».
7. En tout état de cause, la Cour rappelle qu’une mesure d’ingérence
dans le droit au respect des biens doit ménager un juste équilibre
entre les exigences de l’intérêt général de
la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux
de l’individu (voir, parmi d’autres, Sporrong et Lönnroth c.
Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26,
§ 69) et qu’un rapport raisonnable de proportionnalité entre
les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une
personne de sa propriété doit exister (Pressos Compania Naviera
S.A. et autres, précité, § 38).
8. Or, dans les circonstances de l’espèce, l’article 87 de
la loi du 12 avril 1996 a définitivement réglé le fond
du litige en donnant raison à l’une des parties, privant les requérants
d’une « valeur patrimoniale » préexistante et faisant
partie de leurs « biens », dont ils pouvaient légitimement
espérer obtenir le remboursement.
9. De l’avis de la Cour, la mesure litigieuse a fait peser une «
charge anormale et exorbitante » sur les requérants (voir, mutatis
mutandis, Lallement c. France, arrêt du 11 avril 2002, § 24) et l’atteinte
portée à leurs biens a revêtu un caractère disproportionné,
rompant le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt
général de la communauté et les impératifs de la
sauvegarde des droits fondamentaux des individus.
10. Partant, il y a eu violation de l’article 1er du Protocole no 1.