Cour de Cassation Chambre commerciale
Audience publique du 24 janvier 2006 Rejet.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2001),
que la société BNP Paribas (la banque) a consenti des crédits
à la société Bankco diffusion aux droits de laquelle est
venue la Compagnie nouvelle de grande distribution (la société)
; que M. X..., (la caution), dirigeant de la société Bankco, société
mère, s'est porté caution à concurrence d'un certain montant
; que pour pallier les difficultés financières de la société,
un protocole de restructuration est intervenu le 30 octobre 1995 prévoyant,
notamment, en faveur de la banque, le nantissement de stocks avec dessaisissement
et la réitération du cautionnement ; que les concours de la banque
ont été dénoncés le 5 mars 1996 et exigés
le 10 mai suivant ; qu'un jugement du 3 juillet 1997, assorti de l'exécution
provisoire, a condamné solidairement la société et la caution
au paiement d'une certaine somme et ordonné l'attribution judiciaire
du gage à la banque ; que la caution et la société ont
relevé appel en invoquant, la première, notamment, le caractère
disproportionné de son engagement, pour en demander la nullité
; que la société a été mise en liquidation judiciaire
le 9 septembre 1999 ; que sur requête de la banque, le juge-commissaire
a, le 25 mai 2000, ordonné la vente des marchandises nanties aux enchères
publiques ; que le produit de la vente a été séquestré
entre les mains de la banque ; que Mme Y..., liquidateur judiciaire de la société,
est intervenue en cause d'appel, pour réclamer des dommages-intérêts
à la banque, en soutenant que le protocole de restructuration avait été
résilié de manière abusive et que la banque avait perdu
ses droits sur le gage ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté
sa demande tendant à la condamnation de la banque en réparation
du préjudice résultant de la rupture abusive de ses concours bancaires
en violation de l'article C.2.3 du protocole de restructuration du 30 octobre
1995, alors, selon le moyen :
1 ) que la résiliation d'un protocole à durée indéterminée
peut, même si un préavis est respecté, revêtir un
caractère abusif en raison des circonstances qui accompagnent la rupture
; qu'en l'espèce, le liquidateur faisait expressément valoir qu'aux
termes de l'article C.2.3 du protocole de restructuration du 30 octobre 1995,
la banque s'était engagée à poursuivre ses relations avec
la société dès lors que la documentation comptable de l'exercice
1995 confirmerait l'effet des mesures de redressement initiales et, dans ce
but, à faire le point avec les dirigeants dans le délai de parution
des comptes sociaux ; que le liquidateur soutenait que le 29 février
1996, la société avait communiqué à la banque les
éléments comptables arrêtés au 30 janvier 1996 confirmant
les prévisions de redressement annoncées, mais que la banque,
sans même examiner la situation de sa cliente avec les dirigeants de celle-ci,
avait rompu unilatéralement ses concours dès le 5 mars 1996, en
violation de l'article C.2.3 du protocole de restructuration ; que dans ces
conditions, en ne s'interrogeant pas, comme elle y était invitée,
sur le caractère abusif de cette rupture, intervenue sans concertation
préalable, alors que la banque venait d'être informée de
l'effet positif des mesures de redressement prises et que conformément
aux engagements pris par la banque, la société pouvait légitimement
espérer le maintien de ses concours bancaires, la cour d'appel a privé
sa décision de base légale au regard de l'article 1134, alinéa
3, du Code civil ;
2 ) que dans ses conclusions d'appel, le liquidateur soutenait que la rupture
fautive du protocole de restructuration imputable à la banque avait entraîné
le retrait d'autres établissements bancaires accordant leurs concours
à la société et une réaction défavorable
de ses fournisseurs, lui refusant désormais tout délai de paiement
; qu'il en était résulté une perte de marge brute de 10
500 000 francs, outre le coût des licenciements auxquels elle avait dû
procéder ; que dès lors, en omettant de répondre à
ce moyen, pourtant de nature à établir le rapport de causalité
entre la faute contractuelle commise par la banque et le préjudice subi,
la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure
civile ;
3 ) que la faute de la victime, si elle ne constitue pas la cause unique du
dommage, ne peut totalement exonérer de sa responsabilité contractuelle
le banquier fautif ; qu'en l'espèce, pour écarter les demandes
indemnitaires formées par le liquidateur en réparation de l'accroissement
du passif de la société liquidée dû à la rupture
fautive de ses concours par la banque, la cour d'appel s'est bornée à
affirmer que le gérant, condamné à supporter une partie
du passif, avait commis des fautes de gestion étrangères à
la banque qui ne pouvait être tenue pour responsable de la liquidation
judiciaire ; qu'en se déterminant de la sorte, sans rechercher, comme
l'y invitait le liquidateur, si la faute contractuelle de la banque ne s'était
pas ajoutée aux fautes de gestion du dirigeant pour conduire la société
à la déconfiture, la cour d'appel a privé sa décision
de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que le contrat comportait une
clause de "défaut croisé" aux termes de laquelle
la société s'engageait à respecter strictement les autorisations
données par la banque, soit une ligne d'avance en devises de
13 000 000 francs et une ligne d'escompte de 7 000 000 francs en anticipant
les recettes acquises en contrepartie de quoi la banque s'engageait
à maintenir les crédits à court terme à
durée indéterminée ; qu'il relève que la
société a manqué à ses obligations, en
n'apportant pas la couverture de ces avances en devises, leur montant échu
et impayé s'élevant à la clôture du compte, à
une somme de plus de 8 600 000 francs ; qu'en l'état de ces constations
et appréciations, la cour d'appel qui n'était pas tenue de répondre
à des conclusions ni d'effectuer une recherche que ses constatations
rendaient inopérantes, a pu en déduire que la résiliation
du protocole de restructuration intervenue quatre mois plus tard en
respectant le délai contractuel de préavis, n'avait
pas dégénéré en abus, la société
ne pouvant pas, dès lors qu'elle avait manqué à ses propres
obligations, légitimement croire au maintien des concours ;
que le moyen n'est pas fondé ; (…)
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;
Publication : Bulletin 2006 IV N° 15 p. 14
Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 20 juin 2006 Rejet
N° de pourvoi : 04-16238 Publié au bulletin
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 avril 2004), que la société
Centrale de réservation touristique internationale (la société
CRTI), initialement dénommée CRT, a obtenu du Crédit industriel
et commercial (la banque) une ouverture de crédit garantie par le cautionnement
de M. Y..., alors gérant ; que la banque a, le 10 septembre 1997, dénoncé
sans préavis ce crédit au motif que son client aurait produit
un compte de résultats non sincère ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société CRTI et M. Y... font grief à l'arrêt
de les avoir condamnés solidairement à payer à la banque
la somme de 15 244,90 euros et d'avoir condamné la société
CRTI au paiement de la somme supplémentaire de 20 351,05 euros, alors
selon le moyen :
1 / que ce n'est qu'en cas de comportement gravement répréhensible
du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation
de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise que
l'établissement de crédit peut réduire ou interrompre un
concours à durée déterminée ou indéterminée
; que commet une faute la banque qui dénonce brutalement à son
client ses concours au prétexte qu'il aurait produit un compte de résultat
non sincère, dès lors que celui-ci a dûment motivé
l'écriture litigieuse conformément aux dispositions de l'article
L. 123-14 du code de commerce ; qu'en l'espèce, après avoir octroyé
à la société CRTI un crédit "Confirmatic"
le 11 juin 1997, la banque l'a brusquement dénoncé le 10 septembre
suivant, en prenant prétexte de "la production non sincère
du compte de résultat" de l'exercice 1996 au motif qu'une écriture
portée en produit exceptionnel n'aurait pas été conforme
aux dispositions de l'article L. 123-21 du code de commerce ; que cependant,
ainsi que le tribunal de commerce l'a relevé, la société
CTRI avait dûment motivé cette écriture, conformément
aux dispositions de l'article L. 123-14, alinéa 2, du code de commerce
; qu'en considérant que la banque n'a commis aucune faute en interrompant
brutalement le crédit accordé trois mois plus tôt, la cour
d'appel a violé l'article L. 313-12 du code monétaire et financier
;
2 / que commet une faute la banque qui dénonce brutalement à son
client ses concours au prétexte qu'il aurait produit un compte de résultat
non sincère, dès lors que celui-ci a dûment motivé
l'écriture litigieuse conformément aux dispositions de l'article
L. 123-14 du code de commerce ; qu'en l'espèce, après avoir octroyé
à la société CRTI un crédit "Confirmatic"
le 11 juin 1997, la banque l'a brusquement dénoncé le 10 septembre
suivant, en prenant prétexte de "la production non sincère
du compte de résultat" de l'exercice 1996 au motif qu'une écriture
portée en produit exceptionnel n'aurait pas été conforme
aux dispositions de l'article L. 123-21 du code de commerce ; que, cependant,
dans ses écritures d'appel, la société CRTI rappelait ainsi
que le tribunal de commerce l'avait lui-même relevé, qu'elle avait
dûment motivé cette écriture conformément aux dispositions
de l'article L. 123-14, alinéa 2, du code de commerce ; qu'en se bornant
à affirmer péremptoirement que l'écriture litigieuse était
contraire aux exigences de larticle L. 123-21 du code de commerce, sans rechercher
si la société CRTI ne pouvait pas bénéficier de
la dérogation dûment motivée, la cour d'appel a privé
sa décision de base légale au regard de l'article L. 123-14 du
code de commerce ;
3 / que ce n'est qu'en cas de comportement gravement répréhensible
du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation
de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise que
l'établissement de crédit peut réduire ou interrompre un
concours à durée déterminée ou indéterminée
; qu'en l'espèce, par lettre du 28 juillet 1998, la banque a cru pouvoir
dénoncer brutalement l'ouverture de crédit en compte courant qu'elle
avait accordé à la société CRTI, sans lui apporter
la moindre explication ou justification ; qu'en considérant cependant
que, ce faisant, la banque n'avait pas commis de faute au prétexte que
cette brusque rupture "ne peut s'analyser que comme la conséquence
logique de la dénonciation des concours" alors que la banque avait
dénoncé son crédit "Confirmatic" près
d'un an plut tôt, le 10 septembre 1997, la cour d'appel a violé
l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
4 / que l'objet du litige est déterminé par les prétentions
respectives des parties fixées par l'acte introductif d'instance ainsi
que par les conclusions ; que, dans ses écritures d'appel, la société
CRTI faisait valoir que le crédit d'investissement de 200 000 francs
accordé par la banque avait toujours été rentabilisé
en une seule saison d'hiver, que la rupture aussi inattendue qu'injustifiée
par la banque de son concours aurait inéluctablement entraîné
le dépôt de bilan et que les éléments objectifs du
préjudice subi par la société CRTI apparaissent très
clairement à la lecture des pièces produites aux débats
et notamment la pièce n° 6 qui détaillait longuement le préjudice
financier pour la société CRTI et la pièce 7, si bien que
la perte subie par la société justifiait l'allocation de 30 000
euros de dommages-intérêts ; qu'en considérant que "la
société CRTI, toujours in bonis, n'établit pas son préjudice
qu'elle fixe, sans aucune explication, à 30 000 euros, alors que précisément
la société CRTI détaillait son préjudice financier,
la cour d'appel a dénaturé les conclusions des parties et violé
l'article 4 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que la société CRTI avait comptabilisé dans son bilan 1996, sous la rubrique "produits exceptionnels sur opérations de gestion" une somme de 470 000 francs correspondant aux dommages-intérêts qu'elle réclamait à une société dans le cadre d'un procès en cours à la clôture de l'exercice et avoir exactement décidé qu'une espérance de dommages-intérêts ne constituait pas un produit susceptible d'être pris en compte dans les résultats de l'exercice, en application de l'article L.123-13 du code de commerce, ce dont il résultait que sa comptabilisation irrégulière en produit n'était pas susceptible de relever du régime spécifique du 3e alinéa de l'article L. 123-14 du même code, la cour d'appel, qui en a déduit que l'écriture litigieuse de la société CRTI faussait le résultat des comptes et attestait de la volonté de celle-ci de masquer auprès de la banque ses difficultés financières, a pu considérer que le comportement du bénéficiaire du crédit était gravement répréhensible et justifiait une résiliation sans préavis du crédit par la banque, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, et a légalement justifié sa décision ;