Statuant sur le pourvoi formé par :- M. Julien X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 6e section, en date du 4 juin 2013, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de recel de violation du secret professionnel, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 2 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la chambre de l'instruction a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure ;
"aux motifs que, sur la nullité de la procédure en raison
de la violation des dispositions du secret des sources des journalistes ; que
l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 dispose qu'il ne peut être porté
atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif
prépondérant d'intérêt public le justifie et si les
mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées
au but légitime poursuivi ;
qu'il convient de rappeler que le procureur de la République de Paris
était informé le 15 octobre 2009 par la direction centrale de
la police judiciaire de la prochaine parution dans la presse de deux photos
de surveillance de M. B... évadé de la maison d'arrêt d'Auxerre
extraites de l'instruction suivie à Auxerre contre lui du chef d'évasion
; qu'il était précisé dans la note d'information qu'à
plusieurs reprises, il avait été permis de constater que des informations
contenues dans la procédure avaient été portées
à la connaissance de journalistes, le déroulement de l'enquête
en étant gravement perturbé ; que les mentions dont étaient
assorties les photos ainsi publiées faisaient état de ce que l'assassin
présumé échappait aux recherches depuis son évasion,
il y a six semaines ;
que des actes d'investigation étaient alors diligentés visant
notamment M. X..., investigations téléphoniques, exploitation
de matériels informatiques, réquisitions bancaires ; qu'effectivement,
le 2 décembre 2009, une perquisition avait lieu au domicile de l'intéressé
à l'occasion de laquelle une clé USB, un ordinateur, la carte
mémoire d'un appareil photo étaient saisis, un des enquêteurs
procédant en outre au relevé de l'ensemble des numéros
enregistrés sur le téléphone portable personnel de M. X...
; que le magistrat instructeur assistait à la perquisition et avait préalablement
précisé aux enquêteurs que celle ci avait pour unique but
de retrouver les éléments pouvant se rapporter à sa délégation
;
que cette perquisition étant réalisée dans le cadre de
l'instruction, l'assentiment de M. X... n'était pas nécessaire
; que l'objet de l'enquête initiée en octobre 2009 était
de détecter d'où provenaient les fuites qui s'étaient produites
dans l'affaire de l'évasion de M. B... ; que dans la mesure où
il était suspecté que ces fuites aient une origine policière,
l'IGPN et la DCPJ étaient saisies conjointement ;
que donc, contrairement à ce qui est exposé dans la requête en nullité, ce n'est pas la simple parution d'un article de journal qui a entraîné l'ouverture de l'enquête préliminaire pour violation du secret professionnel ;
que la recherche et la découverte du ou des policiers qui avaient pu, en communiquant à des journalistes des informations sur l'affaire B..., se rendre coupable de violation du secret professionnel correspondait bien à l'impératif prépondérant d'intérêt public visé tant par l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 que par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le secret des sources des journalistes ; que l'intérêt public nécessite en effet que les enquêteurs ne commettent aucune violation du secret qui les lie et que si une telle violation est suspectée, toutes mesures d'investigation utiles soient mises en oeuvre pour en rechercher les auteurs ;que les mesures d'investigation prises dans le cadre de l'enquête à l'égard de M. X..., journaliste, ci-dessus détaillées, n'étaient pas disproportionnées en considération des objectifs recherchés ; donc qu'il ne saurait y avoir lieu à nullité de ce chef et annulation d'un quelconque acte de procédure ;
"alors que, la seule recherche de l'auteur d'une violation du secret professionnel ne peut justifier de multiples mesures d'enquête et d'instruction portant atteinte au secret des sources des journalistes ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction était saisie d'une demande d'annulation de différents actes d'instruction coercitifs pris à l'encontre d'un journaliste (investigations téléphoniques, exploitation de matériels informatiques, réquisitions bancaires, perquisition ayant conduit à la saisie d'une clé USB, d'un ordinateur, de la carte mémoire d'un appareil photo, et d'un relevé de numéros présents dans le répertoire d'un téléphone) qui était poursuivi pour avoir publié des photographies d'une personne accusée d'assassinat et évadée de prison, lesquelles s'inscrivaient nécessairement dans le cadre d'un débat d'intérêt public ; qu'en se bornant, pour refuser d'y faire droit, à invoquer la nécessité de rechercher les auteurs de la violation du secret professionnel, la chambre de l'instruction n'a pas justifié que les mesures litigieuses représentaient des moyens raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces
de la procédure qu'à la suite de la publication, les 16 et 17
octobre 2009, par le journal Le Figaro, de clichés de surveillance qui
représentaient M. Jean-Pierre B..., évadé de la maison
d'arrêt d'Auxerre, et qui étaient issus du dossier de l'instruction
menée pour tenter de l'appréhender, une enquête, confiée
à l'inspection générale de la police nationale, a mis à
jour des relations entre des fonctionnaires de police et M. X..., journaliste
; qu'une information a été ouverte le 23 novembre 2009 des chefs
de violation du secret professionnel, complicité, et recel de violation
du secret professionnel ; qu'une perquisition a été pratiquée
le 2 décembre 2009 au domicile de M. X..., permettant la saisie de matériels
informatiques, et le relevé des numéros enregistrés sur
son téléphone portable, et que des réquisitions ont été
adressées à des établissements bancaires pour obtenir des
informations sur les mouvements de son compte; que M. X..., mis en examen, a,
au terme de l'information, déposé une requête en annulation
des pièces de la procédure, en soutenant notamment que les investigations
le concernant avaient porté atteinte au principe du respect du secret
des sources des journalistes ;
Attendu que, pour rejeter cette requête, et dire n'y avoir lieu à
annulation, l'arrêt retient qu'à plusieurs reprises, il avait été
constaté que des informations contenues dans la procédure avaient
été portées à la connaissance de journalistes, et
que le déroulement de l'enquête en avait été gravement
perturbé, que la recherche et la découverte des policiers qui
avaient pu, en communiquant à des journalistes des informations sur l'affaire,
se rendre coupables de violation du secret professionnel correspondaient bien
à l'impératif prépondérant d'intérêt
public visé tant par l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 que par
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le secret
des sources des journalistes ; que les juges ajoutent que l'intérêt
public nécessite que les enquêteurs ne commettent aucune violation
du secret qui les lie, et que si une telle violation est suspectée, toutes
mesures d'investigation utiles soient mises en oeuvre pour en rechercher les
auteurs ;que la cour d'appel conclut que les mesures d'investigation prises
au cours de l'enquête à l'égard de Julien X..., journaliste,
n'étaient pas disproportionnées en considération des objectifs
recherchés ;
Mais attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans démontrer que les ingérences litigieuses procédaient d'un impératif prépondérant d'intérêt public, et que d'autres mesures que la perquisition et les saisies opérées au domicile de l'intéressé auraient été insuffisantes pour rechercher l'existence d'une éventuelle violation du secret professionnel, et en identifier les auteurs, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 4 juin 2013 , et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
Publication : Bulletin criminel 2014, n° 54