Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du jeudi 11 mai 2006

N° de pourvoi: 05-84837
Publié au bulletin Cassation partielle

Statuant sur le pourvoi formé par :- X... Antoine,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 8 juin 2005, qui, pour détention d'images de mineurs présentant un caractère pornographique, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt confirmatif attaqué et des pièces de procédure qu'à la demande de policiers de la brigade des mineurs, Thierry Y... s'est connecté, sur le réseau internet, à un site de rencontre homosexuel en se faisant passer pour un adolescent de 14 ans ; qu'il est entré en contact avec Antoine X... qui a accepté de lui transmettre des images de mineurs à caractère pornographique ; que les deux hommes ont pris rendez-vous ; que les renseignements fournis par Thierry Y... aux policiers leur ont permis d'interpeller Antoine X... au lieu fixé pour la rencontre ; qu'aucune image illicite n'a été trouvée en possession de l'intéressé ; qu'Antoine X... a reconnu avoir conservé dans la mémoire de son ordinateur les images qu'il avait transmises à Thierry Y... ; qu'il a été cité directement devant le tribunal correctionnel pour détention, diffusion et transmission en vue de leur diffusion d'images de mineurs présentant un caractère pornographique ; que, par l'arrêt confirmatif attaqué, la cour d'appel a constaté l'irrégularité des poursuites engagées des chefs de diffusion et de transmission en vue de leur diffusion d'images de mineurs présentant un caractère pornographique et rejeté les autres exceptions de nullité soulevées par le prévenu ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, des droits de la défense, des articles 53, 56, 76, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande d'annulation des poursuites en ce qui concerne le délit de détention ou représentation d'images d'un mineur présentant un caractère pornographique ;

"aux motifs, propres et adoptés, qu'Antoine X... explique que le procès-verbal d'audition de Thierry Y... porte, en marge, une référence se rapportant à une procédure concernant "Eric Z..." et révélant l'existence d'actes antérieurs non versés aux débats dont le prévenu n'a pas été mis en mesure d'apprécier la régularité, notamment au regard des dispositions relatives à la flagrance ; que, cependant, il apparaît que les déclarations de Thierry Y... sont à l'origine des poursuites contre Antoine X..., et ne se rattachent à aucun fait mettant en cause Eric Z... ; que, même si l'enquête visant Antoine X... faisait suite à la découverte de faits nouveaux dans une précédente enquête visant ledit Eric Z..., les actes des présentes poursuites resteraient étrangers à cette enquête, et il ne résulte d'aucune disposition légale que la procédure Z... doive être, à peine de nullité, versée dans la procédure incidente ;

"alors que le droit à un procès équitable et au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des correspondances imposent que le prévenu puisse bénéficier d'un contrôle effectif et efficace de la régularité d'une procédure de flagrant délit à l'occasion de laquelle des actes de perquisition et fouille sont menés, hors son assentiment exprès ; que, par suite, la cour d'appel, qui ne conteste pas que le procès-verbal d'audition de Thierry Y... porte, en marge, une référence se rapportant à une procédure concernant un certain "Eric Z...", révélant ainsi l'existence d'actes antérieurs non versés aux débats, avait l'obligation de se faire communiquer ces actes et de vérifier, au regard de ces actes, la régularité de la procédure de flagrance poursuivie contre le prévenu" ;

Attendu que, pour écarter l'exception de nullité prise du défaut de versement aux débats d'une procédure d'enquête initiale mettant en cause un nommé Eric Z..., l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les actes de la procédure engagée contre le prévenu sont étrangers à la première enquête ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, et dès lors que la procédure de flagrance mise en oeuvre contre Antoine X... résultait des seules déclarations de Thierry Y..., la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, des droits de la défense, du principe de loyauté de la preuve, des articles 53, 54, 56, 76, 78-2, 427, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande d'annulation des poursuites en ce qui concerne le délit de détention ou représentation d'images d'un mineur présentant un caractère pornographique commis courant décembre 2002 ;

"aux motifs qu'il apparaît que les déclarations de Thierry Y... sont à l'origine des poursuites contre Antoine X... ( ) ; qu'il résulte des débats, et notamment du témoignage de Thierry Y..., que celui-ci a agi à la demande de la brigade des mineurs pour se présenter, sur des sites de rencontres homosexuels, comme un adolescent de 14 ans intéressé par des relations sexuelles, afin de piéger des pédophiles et permettre leur identification puis, éventuellement, leur interpellation par la police ; que la provocation et la participation simulée à des actions illicites, qu'elles soient commises par des policiers ou par le truchement de tiers agissant en concertation avec eux, vicient une procédure lorsqu'elles déterminent la personne intéressée à commettre l'infraction poursuivie ; qu'en l'espèce, la brigade des mineurs a utilisé un stratagème, par le truchement de Thierry Y..., pour obtenir d'Antoine X... qu'il lui envoie des images illicites ; qu'ainsi, les poursuites, en ce qu'elles concernent les délits de diffusion et de transmission en vue de leur diffusion d'images de mineurs à caractère pornographique, sont irrégulières ;

qu'en revanche, le principe de loyauté n'est pas méconnu quand l'intervention des policiers ou des tiers a eu pour seul effet de permettre la constatation d'infractions déjà commises et d'y mettre fin, ce qui est le cas pour le délit de détention d'images de mineurs présentant un caractère pornographique, puisque cette détention était antérieure à l'intervention de Thierry Y..., Antoine X... ayant précisé dans ses conclusions écrites qu'il possédait des photographies depuis l'année 2000 ; ( ) que les faits rapportés aux policiers par Thierry Y... ont constitué des indices apparents révélant l'existence d'agissements délictueux de détention d'images pornographiques illicites déjà commis justifiant, en application des articles 53 et 78-2 du Code de procédure pénale, le contrôle d'identité d'Antoine X... sur le lieu du rendez-vous convenu avec Thierry Y... ( ) ; qu'il ressort (du procès-verbal d'audition du 17 décembre 2002) qu'Antoine X... s'était présenté spontanément au commissariat de police afin de compléter l'enquête, principalement sur les éléments de personnalité, et l'officier de police judiciaire avait toute latitude pour décider de ne pas placer cette fois-ci Antoine X... en garde à vue, alors même qu'avaient été révélés à son encontre des indices de participation à une infraction, suffisants pour justifier un placement en garde à vue quelques jours auparavant ; que c'est le prévenu lui-même qui a déclaré aux services de police qu'il détenait des images, cette détention était antérieure à l'intervention de Thierry Y..., en conséquence de l'ensemble de ces éléments, il convient de déclarer irrégulières les poursuites engagées pour diffusion et transmission, en vue de leur diffusion, d'images de mineurs à caractère pornographique, et de rejeter la demande d'annulation des poursuites pour l'infraction de détention de ces images ;

"alors, d'une part, que le fait, pour la police, d'utiliser un stratagème, par le truchement d'un tiers qui n'est pas soumis à la même obligation de loyauté que les fonctionnaires de police, qui a pour but et pour effet de déterminer un délinquant éventuel à commettre les délits de diffusion et transmission d'images illicites et, par ce biais, le fait d'obtenir des indices apparents d'un délit de détention de ces mêmes images déjà commis ou en train de se commettre, permettant ainsi d'ouvrir une enquête de flagrance hautement coercitive et de contrôler l'identité du prévenu, élude les règles de procédure, compromet les droits de la défense et entraîne la nullité de toute la procédure, y compris en ce qu'elle vise des faits de détention d'images illicites ;

"alors, d'autre part, que constitue une violation du droit à un procès équitable et du principe de loyauté de la preuve entraînant la nullité de toute la procédure, y compris en ce qu'elle vise les faits de détention d'images illicites, l'utilisation, par la police, d'un stratagème, qui n'a pas eu, selon les propres constatations de l'arrêt, pour seul effet de révéler de tels faits mais a déterminé le prévenu à commettre les délits de diffusion et transmission d'images illicites et, ce faisant, permis d'obtenir des indices de détention de ces mêmes images ;

"alors, enfin, que la nullité, sanction de la violation du principe de loyauté de la preuve, frappe les actes de procédure qui procèdent de ce stratagème et s'étend à tous les actes subséquents ; que la nullité peut n'être que partielle et donne lieu, en ce cas, à retrait ou cancellation des seuls actes ou mentions litigieuses ;

qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui constate que la procédure est irrégulière et que l'annulation est encourue pour violation du principe de loyauté à raison d'un stratagème policier ayant déterminé le prévenu à commettre les faits de diffusion et transmission d'images illicites, était tenue de prononcer la nullité des actes de procédure procédant de ce stratagème, en premier lieu, de l'audition de Thierry Y... à l'origine de l'ensemble des poursuites, ce qui l'aurait nécessairement amenée à constater la nullité de toute la procédure subséquente, y compris en ce qu'elle visait des faits de détention d'images illicites" ;

Vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble le principe de la loyauté des preuves ;

Attendu que porte atteinte au principe de la loyauté des preuves et au droit à un procès équitable, la provocation à la commission d'une infraction par un agent de l'autorité publique ou par son intermédiaire ; que la déloyauté d'un tel procédé rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus ;

Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité des poursuites exercées pour détention d'images de mineurs présentant un caractère pornographique, l'arrêt, après avoir constaté que Thierry Y... avait, à l'instigation des policiers, incité le prévenu à lui transmettre de telles images, retient que les faits rapportés aux policiers par Thierry Y... ont constitué des indices apparents révélant l'existence d'agissements délictueux de détention d'images illicites déjà commis justifiant le contrôle d'identité d'Antoine X... sur le lieu du rendez-vous convenu ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, et alors que l'audition au cours de laquelle Antoine X... a reconnu détenir les images illicites était consécutive à la provocation ayant déterminé l'ensemble des poursuites, la cour d'appel a violé les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en ses dispositions concernant Antoine X..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 8 juin 2005, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi ;

Publication : Bulletin criminel 2006 N° 132 p. 482

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 1 octobre 2003

N° de pourvoi: 03-84142
Publié au bulletin Rejet

Statuant sur le pourvoi formé par :- X... Yves,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de POITIERS, en date du 3 juin 2003, qui, dans l'information suivie contre lui pour importation et détention d'images ou représentations pornographiques de mineurs, a rejeté sa requête en annulation d'actes de la procédure ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 53, 54, 56, 76, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué, dans l'information suivie contre Yves X... pour importation et détention d'images ou représentations pornographiques de mineurs, a rejeté sa requête en annulation d'actes de la procédure ;

"aux motifs que le 6 novembre 2002, les services de police interpellaient Yves X... sur le lieu du rendez-vous ; qu'ils perquisitionnaient à son domicile et découvraient dans le disque dur de son ordinateur et sur des disquettes une collection de plus de 80 000 photographies pour l'essentiel à caractère pornographique ;

"alors que, la chambre de l'instruction a laissé sans réponse aucune le moyen tiré de ce que l'interpellation de l'intéressé prétendument en flagrance, ainsi que la procédure subséquente étaient nulles, faute du moindre délit flagrant ; qu'en effet, la seule présence de l'intéressé n'était caractéristique d'aucune infraction flagrante, quelle qu'elle fût ; que pour être caractérisé, l'état de flagrance nécessite que des indices apparents d'un comportement délictueux révèlent l'existence d'une infraction qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre ; qu'en s'abstenant d'examiner ce moyen de nullité, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision" ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 53, 54, 56, 80, 81, 105, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué dans l'information suivie contre Yves X... pour importation et détention d'images ou représentations pornographiques de mineurs, a rejeté sa requête en annulation d'actes de la procédure ;

"aux motifs que les interventions de Philippe Y... n'ont pas déterminé Yves X... à commettre des agissements délictueux à l'égard de mineurs, mais ont eu au contraire pour seule motivation de permettre la constatation d'infractions déjà commises et d'y mettre fin ; qu'il ressort en effet que Philippe Y..., navigant sur internet, a été choqué des découvertes qu'il a faites sur un site pédophile, et a voulu démasquer en se faisant passer pour un adolescent de 14 ans, les utilisateurs de ce site ; qu'il ne peut être reproché un manque de loyauté à une personne physique qui veut, par un stratagème, empêcher de nuire les délinquants sexuels utilisant un site constitué sur des crimes commis à l'égard de jeunes enfants ; que les faits ainsi dénoncés aux services de police doivent faire obligatoirement l'objet par ces derniers d'un signalement à l'autorité de poursuite, pouvant à la limite inclure le dénonciateur s'il a participé à une infraction ;

"alors que, si le principe de liberté de la preuve autorise la victime à se prévaloir devant le juge pénal d'éléments de preuve obtenus de façon illicite ou déloyale aux fins d'établir la réalité de l'infraction commise à son encontre, les principes de loyauté et de légalité s'opposent à ce qu'un tiers non victime puisse, sous couvert de la libre admissibilité de la preuve, provoquer une infraction puis prétendre rapporter la preuve de sa commission ; que du fait de la provocation, la preuve rapportée n'est pas alors simplement déloyalement obtenue, elle est déloyalement fabriquée ; qu'en refusant d'annuler l'ensemble des actes de la procédure, à commencer par l'interpellation d'Yves X..., tout en reconnaissant expressément qu'il y avait eu, de la part de Philippe Y..., provocation à agir et simulation d'une acceptation de proposition, de sorte que les éléments de preuve retenus contre le mis en examen avaient été déloyalement fabriqués par un tiers, et que la procédure n'avait été initiée qu'à l'occasion d'un stratagème monté par ce tiers, la chambre de l'instruction a gravement violé les droits de la défense" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Thierry Y..., âgé de 23 ans, s'est présenté au commissariat de police pour déclarer qu'en consultant un forum de discussion sur internet, il avait reçu des photographies de mineurs à caractère pornographique ; qu'ayant alors décidé de se faire passer pour un adolescent de quatorze ans, il avait été contacté sur ce site par un individu, se prénommant Yves, se disant retraité, qui lui avait indiqué qu'il possédait des photographies qu'il ne pouvait lui transmettre via internet en raison des risques ; qu'il lui avait toutefois communiqué les coordonnés de deux sites par lesquels Thierry Y... avait effectivement reçu des photographies de mineurs à caractère pornographique remises aux policiers ; qu'il a enfin indiqué aux enquêteurs qu'après une discussion à caractère sexuel, rendez-vous avait été pris, dans un centre commercial, avec le prénommé Yves ; que les policiers, après avoir constaté la présence aux lieu et heure convenus d'un individu correspondant au signalement donné et après avoir vérifié qu'il répondait au numéro de téléphone portable communiqué par leur informateur, ont interpellé Yves X..., lequel, au cours de sa garde à vue, a confirmé les déclarations de Thierry Y... et avoué qu'il détenait à son domicile des photographies de mineurs à caractère pornographique, qui ont été retrouvées lors d'une perquisition ultérieure, enregistrées par dizaines de milliers, sur les disques durs de son ordinateur et sur disquettes ;

Attendu qu'en prononçant par les motifs reproduits aux moyens, qui établissent que les faits rapportés aux policiers par Thierry Y... ont constitué, au sens de l'article 53 du Code de procédure pénale, des indices apparents révélant l'existence d'agissements délictueux déjà commis et en train de se commettre, que celui-ci n'a en rien déterminés mais qu'il a permis de constater, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Publication : Bulletin criminel 2003, n° 176, p. 703