Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 22 octobre 2013

N° de pourvoi: 13-81949
Publié au bulletin Cassation partielle

(...)

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 60-1, 60-2, 77-1, 77-1-1, 77-1-2, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité présentée par M. X...portant sur les réquisitions judiciaires aux fins de géolocalisation et suivi dynamique en temps réels de lignes téléphoniques ;

" aux motifs que sur les réquisitions judiciaires tendant à la localisation géographique des téléphones mobiles en temps réel et mise en place du suivi dynamique adressées :- Ie 23 février 2012 à l'opérateur Bouygues Telecom pour la géolocalisation en temps réel Deveryware de la ligne ..., du 23 février jusqu'au 23 mars 2012 inclus (D61),- le 23 février 2012 à la société Deveryware pour le suivi dynamique de la ligne ...du 23 février jusqu'au 23 mars 2012 inclus (D62),- Ie 08 mars 2012 à l'opérateur Bouygues Telecom pour la géolocalisation en temps réel de la ligne ..., nouvelle ligne semblant avoir été ouverte par Yohan X..., du 23 février jusqu'au 23 mars 2012 inclus (D95),- le 08 mars 2012 à la société Deveryware pour le suivi dynamique de la ligne ..., du 8 mars jusqu'au 08 avril 2012 inclus (D94), figurent les mentions : « Agissant en vertu des articles 75 et suivants du code de procédure pénale, Vu l'autorisation de monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris » ; qu'il convient de remarquer que, s'agissant de la ligne ..., les sociétés Bouygues et Deveryware étaient requises, le 8 mars 2012, de cesser la géolocalisation et le suivi dynamique en temps réel de cette ligne (D96, D97) ; que s'il n'existe pas de texte spécifique de procédure pénale concernant la possibilité de requérir des opérateurs de téléphonie afin de localiser en temps réel un téléphone mobile, les réquisitions à cette fin sont toutefois possibles en matière d'enquête préliminaire sur le fondement des textes généraux sur la police judiciaire, le procureur de la République et plus spécialement sur l'enquête préliminaire ; qu'il résulte des dispositions combinées des articles 12, 14 et 41 du code de procédure pénale que la police judiciaire est chargée de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte ; que le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale et qu'à cette fin il dirige l'activité des officiers et agents de la police judiciaire dans le ressort de son tribunal ; que les opérations contestées au titre de ce chef d'annulation (géolocalisation, suivi dynamique d'une ligne), qui peuvent être rapprochées des opérations de surveillances physiques et filatures traditionnelles, sont de simples actes d'investigations techniques ne portant pas atteinte à la vie privée et au secret des correspondances ; que ces opérations ne sont pas non plus caractérisées par la réalisation d'actes de contrainte ou de coercition ; qu'elles peuvent donc être exécutées, par les officiers de police judiciaire avec l'autorisation du procureur de la République tel que prévu par l'article 77-1-1 du code de procédure pénale ; en l'espèce, la géolocalisation et le suivi dynamique, autorisés par le procureur de la République et exécutés sous son contrôle, étaient proportionnés à la gravité des infractions qui faisaient l'objet de l'enquête préliminaire, soit un important trafic de stupéfiants et à la nécessité d'obtenir des informations sur la localisation des mis en cause à l'occasion des rendez-vous avec les clients ou fournisseurs ; que ces mesures étaient en outre limitées dans le temps tel que prévu dans toutes les réquisitions contestées ; qu'il ne peut donc être soutenu que les géolocalisation et suivi dynamique contestés sont intervenus en violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui prévoit lui-même les restrictions nécessaires au principe du respect de la vie privée et familiale ;

" 1°/ alors que toute ingérence dans la vie privée et familiale doit être prévue par une loi suffisamment claire et précise pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à de telles mesures ; que la géolocalisation et le suivi dynamique en temps réel d'une ligne téléphonique à l'insu de son utilisateur constitue une ingérence dans la vie privée et familiale qui n'est compatible avec les exigences de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qu'à la condition d'être prévue par une loi suffisamment claire et précise ; qu'en affirmant que les articles 12, 14 et 41 du code de procédure pénale qui ne prévoient ni les circonstances, ni les conditions dans lesquelles un tel dispositif peut être mis en place, constitueraient une base légale suffisante à cette ingérence, l'arrêt attaqué a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

" 2°/ alors que l'article 77-1-1 du code de procédure pénale ne permet que de se faire remettre des documents, issus d'un système informatique, mais n'autorise pas le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire à faire mettre en place par un opérateur privé un système technique de surveillance permanente des déplacements d'une personne physique ; qu'il ne peut mieux conférer une base légale à la mesure litigieuse ;

" 3°/ alors que l'ingérence de l'autorité publique dans la vie privée doit être effectuée sous le contrôle d'un juge garant des libertés individuelles ; qu'en l'espèce, les mesures de géolocalisation et suivi dynamique ont été placées sous le seul contrôle du Procureur de la République, qui n'est pas un magistrat indépendant, garant des libertés individuelles ; que l'arrêt attaqué a donc violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme " ;

Vu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu qu'il se déduit de ce texte que la technique dite de " géolocalisation " constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge ;

Attendu que, pour écarter le moyen de nullité pris du défaut de fondement légal de la mise en place, par les opérateurs de téléphonie, d'un dispositif technique, dit de géolocalisation, permettant, à partir du suivi des téléphones utilisés par M. X..., de surveiller ses déplacements en temps réel, au cours de l'enquête préliminaire, l'arrêt retient, notamment, que les articles 12, 14 et 41 du code de procédure pénale confient à la police judiciaire le soin de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs, sous le contrôle du procureur de la République ; que les juges ajoutent que les mesures critiquées trouvent leur fondement dans ces textes, qu'il s'agit de simples investigations techniques ne portant pas atteinte à la vie privée et n'impliquant pas de recourir, pour leur mise en oeuvre, à un élément de contrainte ou de coercition ;

Mais attendu qu'en se déterminant par ces motifs, la chambre de l'instruction a méconnu le texte conventionnel susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE

Publication : Bulletin criminel 2013, n° 197