Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 31 janvier 1996
N° de pourvoi: 95-81319
Publié au bulletin
Rejet
REJET des pourvois formés par :
- X... Christian, Y... Dominique, Z... Marie-Liesse, A... Isabelle, B... Matthieu,
C... Béatrice, D... Claire, épouse E...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle,
du 31 janvier 1995, qui, pour entrave à interruption volontaire de grossesse,
a condamné les 6 premiers à 3 mois d'emprisonnement avec sursis,
la dernière à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, a dit que la
mention de cette condamnation serait exclue du bulletin n° 2 du casier judiciaire
de Marie-Liesse Z... et d'Isabelle A... et a prononcé sur les intérêts
civils.
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, en début
de matinée, au centre hospitalier universitaire de Tours, 9 personnes
se sont introduites dans la salle d'intervention du service d'orthogénie
et se sont enchaînées au sol par les chevilles et par le cou à
l'aide d'antivols de motocyclette ; que les lieux ont été libérés
en début d'après-midi, après que les services de police
furent parvenus à faire ôter les entraves sans risque de blessures
; que pendant ce temps, un communiqué de presse était diffusé,
faisant état d'une opération menée " pour sauver avant
leur naissance des enfants dont la mort est programmée " ;
Que les membres du groupe sont poursuivis pour entrave à interruption
volontaire de grossesse, délit réprimé par l'article
L. 162-15 du Code de la santé publique, résultant de la loi du
27 janvier 1993 ; qu'ils ont, par l'arrêt attaqué, été
déclarés coupables de cette infraction, laquelle est exclue, par
son article 25, 23°, du bénéfice de la loi du 3 août
1995 portant amnistie ;
…
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles
162-15 du Code de la santé publique, 1382 du Code civil, 2, 5 et 593
du Code de procédure pénale, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a accueilli la constitution
de partie civile de Mlle Bougault, personne venue subir une IVG, de M. le professeur
F... et autres membres du centre d'orthogénie ;
" aux seuls motifs que ces personnes avaient subi un préjudice moral
résultant directement des agissements délictueux des prévenus
;
" alors que, la recevabilité de l'action civile devant la juridiction
répressive est subordonnée à l'existence d'un préjudice
directement causé par les faits objet des poursuites ; qu'en matière
d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, la recevabilité
de l'action civile des personnels médicaux et non médicaux travaillant
dans les établissements hospitaliers et celle des femmes venues y subir
une interruption volontaire de grossesse est subordonnée à l'existence
de menaces ou d'acte d'intimidation à l'encontre de ces personnes ; que
la simple perturbation de l'accès aux établissements ou de la
libre circulation des personnes à l'intérieur de l'établissement
ne cause aucun préjudice ni aux personnels médicaux et non médicaux
travaillant dans ces établissements, ni aux femmes venues y subir une
interruption volontaire de grossesse, qui ne peuvent, dès lors, s'en
prévaloir pour obtenir des réparations civiles ; qu'en l'espèce,
le tribunal avait relevé (jugement p. 19) que la prévention ne
reprochait aux prévenus aucun fait de menace ou d'intimidation ; qu'il
ne résulte, par ailleurs, d'aucune des énonciations de l'arrêt
attaqué que les prévenus aient exercé des menaces ou un
quelconque acte d'intimidation tant à l'encontre des médecins
et personnels de l'hôpital non plus qu'à l'encontre de la seule
femme venue pour subir une interruption volontaire de grossesse ; que, dès
lors, l'action des parties civiles constituées n'était pas recevable
et les réparations qui leur ont été accordées sont
illégales " ;
Attendu que, pour dire recevable et bien fondée la constitution de partie
civile du chef de service du centre d'orthogénie, des membres
du personnel de ce centre et d'une personne dont l'interruption volontaire de
grossesse a été retardée d'une semaine à
la suite du délit, l'arrêt attaqué énonce que cette
dernière a souffert d'un préjudice d'ordre psychologique
et que les premiers ont été victimes de perturbations dans leur
service et leur pratique professionnelle, en relation de causalité directe
avec les faits poursuivis ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application
de la loi ;
Que le moyen ne saurait, dès lors, être admis ;
Sur le cinquième moyen de cassation pris de la violation des articles
162-15, 1 du Code de la santé publique, 2, 5 et 593 du Code de procédure
pénale, défaut de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable
la constitution de partie civile du syndicat CFDT santé et a condamné
solidairement les prévenus à lui payer des dommages-intérêts
;
" alors qu'aux termes de l'article L. 162-15, 1 du Code de la santé
publique, seules peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile
en ce qui concerne les infractions prévues par l'article L. 162-15 lorsque
les faits ont été commis en vue d'empêcher ou de tenter
d'empêcher une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables
prévus par les articles L. 162-3 à L. 162-8, les associations
régulièrement déclarées depuis au moins 5 ans à
la date des faits dont l'objet statutaire comporte la défense des droits
des femmes à accéder à la contraception et à l'avortement
; qu'en l'espèce, il ne résulte ni de l'arrêt attaqué
ni du jugement qu'il confirme que le syndicat CFDT Santé ait eu pour
objet statutaire la défense des droits des femmes à accéder
à la contraception et à l'avortement ; qu'il s'ensuit que la condamnation
prononcée viole l'article L. 162-15, 1 du Code de la santé publique
" ;
Attendu que, pour dire le syndicat CFDT Santé recevable en sa constitution
de partie civile, l'arrêt se fonde non sur l'article L. 162-15, 1 du Code
de la santé publique, applicable aux seules associations, mais sur l'article
L. 411-11 du Code du travail, aux termes duquel les syndicats professionnels
peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés
à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice
direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession
qu'ils représentent ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le sixième moyen de cassation pris de la violation des articles
162-15, 1 du Code de la santé publique, 2, 5 et 593 du Code de procédure
pénale, défaut de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable
la constitution de partie civile du CHU Bretonneau et a condamné solidairement
les prévenus à lui payer des dommages-intérêts ;
" alors que seul le préjudice directement causé par l'infraction
peut justifier l'action civile devant la juridiction répressive ; qu'en
l'espèce, le fait que le CHU Bretonneau ait eu à payer aux membres
de son personnel des sommes correspondant aux salaires et charges patronales,
qui font de toute façon partie des charges pesant habituellement sur
l'établissement, ne constitue pas, à le supposer tel, un préjudice
directement causé par les faits reprochés aux prévenus
; qu'il s'ensuit que c'est à tort que la cour d'appel a reçu le
CHU en sa constitution de partie civile et lui a accordé des réparations
" ;
Attendu qu'en allouant une indemnité au centre hospitalier universitaire,
correspondant aux salaires versés aux membres de son personnel empêchés
de travailler pendant l'occupation des locaux, la cour d'appel a justifié
sa décision au regard de l'article 3 du Code de procédure pénale
;
Que le moyen doit, dès lors, être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.
Publication : Bulletin criminel 1996 N° 57 p. 147