Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 27 février 1996

N° de pourvoi: 95-81366
Publié au bulletin Rejet

REJET des pourvois formés par :- le procureur général près la cour d'appel de Paris,- X... Didier,
partie civile, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 8 février 1995, qui, dans la procédure suivie contre Jean-Pierre Y..., des chefs d'extorsion de fonds et trafic d'influence, a prononcé la nullité d'actes et de pièces de la procédure, ordonné la restitution de scellés, et prescrit le retour du dossier au ministère public pour être requis par lui ce qu'il appartiendra.

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 15 décembre 1994, Didier X..., conseiller régional d'Ile-de-France, conseiller général des Hauts-de-Seine, a été entendu, à sa demande, au conseil général, en présence du directeur central de la police judiciaire, par des fonctionnaires de ce service auxquels il a révélé que Jean-Pierre Y..., médecin psychiatre, l'avait invité à le rencontrer à deux reprises, en octobre 1994, à l'hôpital américain de Neuilly ; qu'à ses dires, pour partie confirmés par plusieurs témoins, Jean-Pierre Y... lui aurait offert d'intervenir auprès de son gendre, M. Eric Z..., juge d'instruction à Créteil, pour éviter que celui-ci ne l'implique, avec d'autres personnalités, dans une affaire de fausses factures qu'il instruisait ; qu'en contrepartie de cette intervention, Jean-Pierre Y... aurait sollicité un " dédommagement " personnel à déterminer, et un avancement de carrière pour son gendre et sa fille, elle aussi magistrat ;

Que Didier X... aurait décidé de faire appel aux autorités à la suite d'une perquisition dans les locaux d'une association, qui éditait un journal soutenant sa candidature aux élections municipales de Clichy, effectuée le 13 décembre 1994 par M. Z... et relatée par la presse ;

Attendu que, les 17 et 18 décembre 1994, à la demande expresse de Didier X..., les enquêteurs ont procédé, dans le bureau du directeur de cabinet du maire de Levallois-Perret, à l'enregistrement, " par apposition d'un dispositif relié au combiné de l'appareil ", puis à la transcription de 2 conversations téléphoniques qui auraient abouti à un accord avec Jean-Pierre Y... sur l'intervention à réaliser, et sur son prix, un biscuit de 1 million de francs à lui remettre à l'aéroport de Roissy, le 20 décembre suivant ;

Attendu qu'à cette date, les enquêteurs ont assisté à la remise, par Didier X... à Jean-Pierre Y..., d'un sac contenant la somme convenue et ont procédé à l'interpellation de ce dernier ;

Attendu que, par réquisitoire introductif du 21 décembre 1994, le procureur de la République de Paris a requis l'ouverture d'une information, contre Jean-Pierre Y..., des chefs d'extorsion de fonds et trafic d'influence, ainsi que, simultanément, la saisine de la chambre d'accusation afin qu'il soit statué sur la validité des 2 procès-verbaux de retranscription de conversation téléphonique des 17 et 18 décembre 1994 ;

Attendu que, par requête en date du 23 décembre 1994, le juge d'instruction a saisi à cette fin la chambre d'accusation, en application de l'article 173, alinéa premier, du Code de procédure pénale ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation proposé par le procureur général et pris de la violation par fausse application de l'article 100 du Code de procédure pénale :

" en ce que la chambre d'accusation, après avoir constaté que des écoutes téléphoniques illicites avaient été pratiquées lors de l'enquête préliminaire, a annulé lesdites écoutes et les actes subséquents ;

" aux motifs que seul le juge d'instruction peut prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par voie de télécommunication et que les enregistrements de conversations par des fonctionnaires de police, agissant en enquête préliminaire, même réalisés avec l'accord de l'un des correspondants, constituent une écoute illicite et sont donc, ainsi que leur transcription, entachés de nullité ;

" alors qu'en statuant de la sorte, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée du texte visé au moyen ;

" qu'en effet, ce texte, destiné à protéger le secret des correspondances télécommuniquées, ne s'applique qu'aux écoutes réalisées à l'insu du titulaire ou de l'utilisateur de la ligne dont les communications sont captées ;

" que, dès lors, ne saurait constituer l'interception prohibée par la loi l'audition de conversations téléphoniques par des fonctionnaires de police en dehors de leurs locaux, à la demande expresse de l'un des correspondants qui, prétendant être la victime d'une infraction, les prie de vérifier ainsi le bien-fondé de ses allégations ;

" qu'il s'ensuit que l'enregistrement, également sollicité par l'intéressé, et la transcription des propos échangés au cours desdites conversations sont eux-mêmes licites " ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par Didier X... et pris de la violation des articles 14, 100, 172, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a annulé divers actes d'une information qui a été ouverte, à la demande de M. le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, pour extorsion de fonds et trafic d'influence, et qui a donné lieu à la mise en examen de Jean-Pierre Y... ;

" aux motifs que " aux termes de l'article 100 du Code de procédure pénale, seul le juge d'instruction peut, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par voie de télécommunication ", ces opérations étant effectuées sous son autorité et sous son contrôle (cf. arrêt attaqué p. 10, 2o considérant) ; " que, par référence à l'article 32 du Code des postes et télécommunications, toutes interceptions de correspondances émises ou reçues sur un appareil téléphonique entrent dans le champ d'application de ce texte " (cf. arrêt attaqué, p. 10, 3o considérant) ; " qu'il s'ensuit que les enregistrements par des fonctionnaires de police, agissant en enquête préliminaire, de conversations par apposition d'un dispositif relié au combiné de l'appareil, même réalisés avec l'accord de l'un des correspondants, constituent une écoute illicite, et sont donc, ainsi que leur transcription, entachés de nullité " (cf. arrêt attaqué, p. 10, 4o considérant) ; " qu'en opérant ainsi, les fonctionnaires de police ont prêté de manière active leur assistance à une provocation organisée par le plaignant, qui était destinée, non pas à constater un délit sur le point de se commettre, mais à inciter un délinquant en puissance, inactif depuis 2 mois, contre lequel il n'avait pas cru devoir, à l'époque, porter plainte, à commettre des faits pénalement répréhensibles, et à organiser une " souricière " (terme employé par le rédacteur du procès-verbal de synthèse d'enquête préliminaire) destinée à le faire interpeller " (cf. arrêt attaqué, p. 10, 5o considérant) ; " que pareil stratagème, qui résulte, d'une part, des écoutes illicites et de leur transcription, d'autre part, de la relation volontairement tronquée qu'en a faite Didier X... par procès-verbal à l'issue des communications téléphoniques devant les fonctionnaires de police qui avaient entendu les propos qu'il tenait à Jean-Pierre Y..., a vicié, de manière substantielle, toute la procédure subséquente " (cf. arrêt attaqué, p. 10, 6o considérant) ;

" 1o Alors que le dispositif de l'article 100 du Code de procédure pénale n'est pas applicable dans le cas où des fonctionnaires de police judiciaire, agissant soit en exécution d'une enquête préliminaire, soit en exécution d'une enquête de flagrant délit, procèdent à une écoute téléphonique et à son enregistrement, non pas de leur propre chef ou initiative, mais à la demande, et avec le libre consentement d'une des parties à la communication écoutée et enregistrée, laquelle entend établir, de la sorte, la preuve de l'infraction dont elle estime être la victime ; qu'en décidant le contraire, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés ;

" 2o Alors que, comme c'est à la partie publique, à la juridiction d'instruction ou aux fonctionnaires de police agissant soit sous l'autorité de la première, soit en vertu de la délégation qu'ils ont reçue de la seconde, qu'il revient de réunir et d'administrer la preuve, le principe qui veut que les preuves soient recueillies, ou administrées, sans artifice ni stratagème, n'est pas applicable à la victime ou à la partie civile, qui sont toujours libres de produire tous les instruments de preuve propres à établir des charges contre les personnes que ces instruments de preuve visent ; qu'il appartient simplement aux juridictions répressives d'apprécier, en fonction des règles relatives à l'administration de la preuve des infractions, la valeur des preuves ainsi produites, lesquelles ne constituent pas des actes de l'information susceptibles d'être annulés en application de l'article 172 du Code de procédure pénale ; qu'en annulant l'écoute téléphonique à laquelle il a été procédé dans l'espèce, parce qu'elle résulte d'une provocation ou d'un stratagème de Didier X..., la chambre d'accusation a violé les textes susvisés " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'en prononçant, par les motifs reproduits aux moyens, la nullité des écoutes et des enregistrements de conversations téléphoniques effectués par les officiers de police judiciaire, ainsi que la nullité de leur transcription, la chambre d'accusation a fait l'exacte application des textes visés aux moyens ;

Qu'en effet, les articles 100 à 100-7 du Code de procédure pénale confèrent au juge d'instruction le pouvoir exclusif d'ordonner que soit pratiquée l'interception des correspondances émises par la voie des télécommunications, ce pouvoir n'étant, en aucun cas, attribué aux officiers de police judiciaire agissant, comme en l'espèce, en enquête préliminaire et accomplissant des actes de la procédure, au sens de l'article 170 dudit Code ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

Sur le second moyen de cassation proposé par le procureur général et pris de la violation des articles 174, 206 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs :

" en ce que la chambre d'accusation a notamment prononcé la nullité du rapport de synthèse d'enquête préliminaire adressé au parquet de Paris le 21 décembre 1994, des procès-verbaux d'enregistrement et de transcription des communications téléphoniques des 17 et 18 décembre 1994, des comptes rendus de ces enregistrements faits au parquet par la police judiciaire et de la procédure d'information subséquente ;

" aux motifs que les écoutes illicites et leur transcription ainsi que la relation volontairement tronquée qui en avait été faite par Didier X... à leur issue constituaient un stratagème qui avait vicié de manière substantielle toute la procédure subséquente ;

" alors qu'en ne précisant pas en quoi les procès-verbaux annulés étaient le support nécessaire de chacun des actes dont elle prononçait par voie de conséquence l'annulation, la chambre d'accusation n'a pas justifié sa décision " ;

Et sur le second moyen de cassation proposé par Didier X... et pris de la violation des articles 173, 174, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué, après avoir invalidé, dans l'information ouverte contre Jean-Pierre Y... du chef d'extorsion de fonds et de trafic d'influence, les procès-verbaux d'enregistrement et de transcription de communications téléphoniques cotés D 26 à D 35 et D 38 à D 44, a annulé toute la procédure subséquente (D 46 à D 141), dont le réquisitoire introductif de M. le procureur près le tribunal de grande instance de Paris (D 114) ;

" au motif que l'irrégularité qui affecte les procès-verbaux d'enregistrement et de transcription des écoutes téléphoniques " a vicié de manière substantielle toute la procédure subséquente " (cf arrêt attaqué, p. 10, 6o considérant) ;

" 1o Alors que l'annulation des procès-verbaux d'enregistrement et de transcription d'écoutes téléphoniques n'entraîne que l'annulation des actes subséquents qui y font référence ; qu'en annulant toute la procédure subséquente aux actes qu'elle a annulés, sur la seule considération de la gravité des vices dont ces actes sont affectés, et sans établir que tous les actes de cette procédure subséquente font référence aux actes qu'elle a annulés, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés ;

" 2o Alors que l'annulation du réquisitoire introductif, par voie de conséquence de l'annulation d'un acte antérieur, ne peut avoir lieu que si l'acte annulé est le support nécessaire du réquisitoire introductif ; que les procès-verbaux que la chambre d'accusation a annulés ne sont pas le support nécessaire du réquisitoire introductif ; qu'en annulant celui-ci, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour étendre la nullité des écoutes téléphoniques aux actes de la procédure qui les ont suivies, à l'exception d'un procès-verbal d'audition d'un témoin en date du 17 décembre 1994 (D 37), la chambre d'accusation relève que Didier X... avait, en présence des enquêteurs, pris l'initiative d'appeler Jean-Pierre Y..., dirigé la conversation, abordé le premier la question financière, fixé le montant de la rémunération et suscité un rendez-vous en vue de la remise des fonds ; qu'elle énonce que les fonctionnaires de police ont prêté, de manière active, leur assistance à une provocation, organisée par le plaignant, ayant pour objet, non pas de constater un délit sur le point de se commettre, mais d'inciter un délinquant en puissance, inactif depuis 2 mois, contre lequel il n'avait pas cru devoir à l'époque porter plainte, à commettre des faits pénalement répréhensibles, et de mettre en place une souricière en vue de son interpellation ; que, selon les juges, ce stratagème, qui résulte, d'une part, des écoutes illicites et de leur transcription, d'autre part, de la relation volontairement tronquée qu'en a faite Didier X..., par procès-verbal, a vicié de manière substantielle toute la procédure subséquente ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, établissant que l'interpellation de Jean-Pierre Y... a procédé d'une machination de nature à déterminer ses agissements délictueux et que, par ce stratagème, qui a vicié la recherche et l'établissement de la vérité, il a été porté atteinte au principe de la loyauté des preuves, la chambre d'accusation a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu'il ne saurait, notamment, lui être reproché d'avoir annulé le réquisitoire introductif, dès lors qu'en renvoyant le ministère public à se pourvoir, elle lui laisse le soin, au vu des pièces dont l'annulation n'est pas prononcée, antérieures aux écoutes téléphoniques, d'apprécier l'opportunité de mettre à nouveau en mouvement l'action publique ;

D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.

Publication : Bulletin criminel 1996 N° 93 p. 273
D. 1996, p. 436 note Guéry