Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 8 juillet 2010
N° de pourvoi: 09-12623
Publié au bulletin
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu que Mme X... et Mme Y... vivent en couple depuis 1989 et ont conclu
le 21 mai 2002 un pacte civil de solidarité ; que le 5 octobre 1998,
Mme X... a mis au monde une fille, Eloïse X... , qu'elle a seule reconnue
; que le 10 novembre 2003, Mme Y... a mis au monde un garçon, Esteban
Y... , qu'elle a seule reconnu ; que par requête conjointe du 28 juin
2006, Mme X... a saisi le juge aux affaires familiales d'une demande de délégation
d'autorité parentale sur Eloïse au profit de Mme Y... et celle-ci
d'une demande aux mêmes fins sur Esteban au profit de Mme X... ; qu'un
jugement du 11 décembre 2007 a accueilli cette requête et dit que
Mmes X... et Y... partageront l'exercice de l'autorité parentale sur
les deux enfants Eloïse et Esteban ;
Attendu que Mmes X... et Y... font grief à l'arrêt attaqué
(Douai, 11 décembre 2008), d'avoir infirmé ce jugement alors,
selon le moyen, que :
1° / qu'une mère seule titulaire de l'autorité parentale peut
en déléguer une partie de l'exercice à la femme avec laquelle
elle vit en union stable et continue, dès lors que les " circonstances
" l'exigent et que la mesure est conforme à l'intérêt
supérieur de l'enfant ; que le premier de ces deux critères est
suffisamment caractérisé lorsque l'absence de filiation paternelle
laisse craindre qu'en cas d'événement accidentel plaçant
la mère dans l'incapacité d'exprimer sa volonté, sa compagne
se heurte à une impossibilité juridique de tenir le rôle
éducatif qu'elle a toujours eu aux yeux de l'enfant, une telle impossibilité
pouvant survenir quand bien même nul n'aurait tenté jusqu'alors
de s'opposer à ce qu'elle tienne ce rôle ; qu'en décidant
que la délégation d'autorité parentale n'était pas
justifiée si la mère ne démontrait pas être exposée
à un risque d'accident supérieur à la moyenne et, en outre,
avoir rencontré des difficultés pour imposer aux tiers le rôle
éducatif joué par sa compagne, la cour d'appel a violé
l'article 377 alinéa 1er du code civil, ensemble les articles 8 et 14
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales et 3. 1 de la convention internationale des droits
de l'enfant ;
2° / que si l'enfant s'épanouit pleinement au sein du foyer harmonieux
que sa mère biologique a construit depuis de nombreuses années
avec une autre femme, et si des liens fraternels l'unissent avec le propre enfant
de cette dernière, la délégation partielle d'autorité
parentale, en ce qu'elle permet de préserver ce bénéfice,
sert nécessairement l'intérêt de l'enfant ; qu'en l'espèce,
pour refuser de prononcer la délégation partielle d'autorité
parentale, la cour d'appel a retenu que chacun des deux enfants était
déjà pleinement épanoui au sein de foyer commun ; qu'en
s'abstenant de rechercher si, précisément, la délégation
parentale n'était pas justifiée par la nécessité
de consolider ce bénéfice, et plus particulièrement encore
par la nécessité de préserver la fratrie en cas d'impossibilité
pour l'une des deux mères de s'exprimer, la cour d'appel a privé
sa décision de base légale au regard de l'article 377 alinéa
1er du code civil, ensemble les articles 8 et 14 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et
3. 1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
Mais attendu que si l'article 377, alinéa 1er, du code civil ne s'oppose
pas à ce qu'une mère seule titulaire de l'autorité parentale
en délègue tout ou partie de l'exercice à la femme avec
laquelle elle vit en union stable et continue, c'est à la condition que
les circonstances l'exigent et que la mesure soit conforme à l'intérêt
supérieur de l'enfant ; qu'ayant relevé, d'une part, que si Mmes
X... et Y... démontraient qu'elles avaient une vie commune stable depuis
1989 et que les enfants étaient bien intégrés dans leur
couple et dans la famille de chacune d'elles et qu'elles s'occupaient aussi
bien de leur propre enfant que de celui de l'autre sans faire de différence
entre eux, elles ne rapportaient pas la preuve de circonstances particulières
qui imposeraient une délégation d'autorité parentale dès
lors que les déplacements professionnels qu'elles invoquaient n'étaient
qu'exceptionnels, que le risque d'accidents n'était qu'hypothétique
et semblable à celui auquel se trouvait confronté tout parent
qui exerçait seul l'autorité parentale, d'autre part, que les
requérantes admettaient elles-mêmes qu'elles ne s'étaient
pas heurtées à des difficultés particulières pour
pouvoir jouer auprès des tiers ou de leur entourage familial le rôle
de parents qu'elles entendaient se reconnaître mutuellement, assistant
indifféremment l'une ou l'autre, voire toutes les deux, aux réunions
d'école et allant l'une ou l'autre chercher les enfants après
la classe et, enfin, que Mmes X... et Y... ne démontraient pas en quoi
l'intérêt supérieur des enfants exigeait que l'exercice
de l'autorité parentale soit partagé entre elles et permettrait
aux enfants d'avoir de meilleures conditions de vie ou une meilleure protection
quand les attestations établissaient que les enfants étaient épanouis,
la cour d'appel a pu déduire de ces énonciations et constatations
qu'il n'y avait pas lieu d'accueillir la demande dont elle était saisie
; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... et Mme Y... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre
civile, et prononcé par le président en son audience publique
du huit juillet deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils pour Mme
X... et Mme Y...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté
Madame X... de sa demande de délégation d'autorité parentale
sur Eloïse au profit de Madame Y... et d'avoir débouté Madame
Y... de sa demande de délégation d'autorité parentale sur
Esteban au profit de Madame X... ;
AUX MOTIFS QUE : « l'article 377 du code civil permet effectivement au
père et à la mère ensemble ou séparément
de déléguer tout ou partie de l'exercice de l'autorité
parentale à un tiers lorsque les circonstances l'exigent ; qu'il en résulte,
comme l'a dit le conseiller rapporteur dans l'arrêt de la cour de cassation
du février 2006 cité par les parties « qu'une délégation
d'autorité parentale, qui aboutit à un abandon de tout ou partie
des droits et devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant,
ne saurait intervenir pour des raisons de simple commodité, mais pour
des motifs d'une certaine gravité » ; qu'il faut donc que la délégation
d'autorité parentale ait un caractère indispensable et réponde
à l'intérêt de l'enfant ; que Francine X... et Patricia
Y... démontrent qu'elles forment un couple stable depuis 1989, que les
enfants sont épanouis, bien intégrés non seulement dans
leur couple mais aussi dans la famille de chacune d'entre elles, que chacune
d'elles s'occupe aussi bien de son propre enfant que de celui de l'autre, et
ne fait aucune différence entre eux, comme les enfants n'en font aucune
entre elles et parlent de leurs deux mamans ; qu'en revanche si elles invoquent,
comme l'exige le texte précité, des circonstances particulières
qui imposeraient une telle délégation d'autorité parentale,
force est de constater cependant qu'elles ne rapportent pas la preuve de ces
circonstances particulières ; qu'en effet, elles font état des
déplacements professionnels qu'elles sont appelées à effectuer
et qui les tiendraient éloignées de leur domicile commun, obligeant
ainsi la compagne à accomplir au bénéfice des enfants des
actes que seule la détention de l'autorité parentale leur permet
d'exercer ; mais que d'une part leurs déplacements ne sont qu'exceptionnels
et non quotidiens au vu des exemples qu'elles en donnent ; que d'autre part
mis à part le cas d'urgence médicale, dans lequel les médecins
seraient en tout état de cause dans l'obligation d'agir, elles n'allèguent
pas de situations particulières qui nécessitent des décisions
dans une urgence telle qu'il n'est pas possible soit d'attendre le retour de
la mère biologique pour les prendre soit tout simplement de la contacter
pour recueillir son autorisation, alors que l'éloignement professionnel
n'a vraiment rien d'exceptionnel dans notre société et que les
moyens modernes de communications permettent désormais de contacter instantanément
une personne où qu'elle soit dans le monde, soit encore d'attendre que
la mère retenue par ses activités professionnelles ait pu s'en
libérer, pour procéder comme elles en citent l'exemple à
des inscriptions à l'école, à des activités sportives
; que le fait qu'elles pourraient l'une ou l'autre être victimes d'accident,
que ce soit d'ailleurs à l'occasion desdits déplacements professionnels
ou de leur activité quotidienne, ne saurait constituer de telles circonstances
particulières, dès lors qu'il s'agit d'éléments
hypothétiques et auquel se trouve confronté tout parent qui exerce
seul l'autorité parentale par suite de décès de l'autre
parent ou d'un lien unique de filiation ; qu'il n'y a dans le cas d'espèce
soumis à la cour pas de circonstances qui ne soient pas communes à
de nombreuses familles monoparentales ; que le fait que l'exécution provisoire
dont le jugement était assorti ait pu leur permettre d'accomplir ainsi
des actes de la vie courante au bénéfice des enfants ne saurait
être un argument, sous peine de vider toute procédure d'appel de
son objet, car dans cette thèse dès lors que le jugement a été
assorti de l'exécution provisoire cela militerait pour sa confirmation
; que Francine X... et Patricia Y... elles-mêmes admettent qu'elles sont
perçues par leur entourage comme les deux parents d'Eloïse et d'Esteban
et de fait les attestations produites montrent que tant leur entourage familial
que celui des enfants à l'école, notamment les traitent comme
tels ; qu'elles ne démontrent pas s'être déjà heurtées
à des difficultés particulières pour pouvoir jouer auprès
des tiers le rôle de parents qu'elles entendent se reconnaître mutuellement
; que notamment, elles assistent indifféremment l'une ou l'autre, voire
toutes les deux, aux réunions d'école, peuvent aller chercher
les enfants de l'une ou de l'autre à l'école, dès lors
que chaque mère a prévenu l'école qu'elle en était
d'accord, comme le fait chaque parent qui confie ce rôle à un grand-parent
ou à une nourrice ; qu'il n'y a pas là les circonstances qui exigent
pour autant une délégation d'autorité parentale ; qu'en
ce qui concerne l'impossibilité pour celle qui n'est pas titulaire de
l'autorité parentale de sortir du territoire français seule avec
les enfants, même si l'autorité parentale était partagée
il lui faudrait en tout état de cause justifier de l'accord de l'autre
titulaire de l'autorité parentale car une décision de cette importance
ne peut être prise qu'avec le consentement des deux titulaires de l'exercice
de l'autorité parentale ; que Francine X... et Patricia Y... invoquent
ensuite l'intérêt d'Eloïse et d'Esteban, plus que celui des
autres enfants vivant en famille monoparentale, exige que la compagne de leur
mère partage avec cette dernière l'exercice de l'autorité
parentale ; qu'elles rappellent que tout enfant est en droit de bénéficier
des dispositions légales de nature à le protéger et à
assurer son bien être quels que soient sa conception et son mode de vie
familial, mais dans le même temps elles ne démontrent pas que le
bien être de chacun de leurs enfants n'est pas assuré, qu'il n'est
pas suffisamment protégé, alors que toutes leurs attestations
ont pour but de démontrer le contraire et notamment que les enfants sont
épanouis ; qu'elles ne montrent pas ce qu'avec une délégation
d'autorité parentale, elles auront de plus qu'avant dans leur relation
affective avec l'enfant de la compagne ; que dès lors, elles n'expliquent
pas en quoi la délégation d'autorité parentale permettrait
aux enfants (et non aux mères, puisqu'il n'est ici question que de l'intérêt
de l'enfant) d'avoir de meilleures conditions de vie ou une meilleure protection
; que toutes les deux admettent que la délégation d'autorité
parentale prend fin en cas de décès du titulaire d'origine de
l'autorité parentale, de sorte que la situation des enfants n'est pas
meilleure que l'autorité parentale soit déléguée
à l'autre parent ou qu'elle ne le soit pas ; que l'intérêt
de l'enfant ne peut être invoqué en pareille hypothèse ;
que Francine X... et Patricia Y... n'établissent donc pas en quoi les
circonstances particulières qui sont les leurs ou l'intérêt
supérieur des enfants exigent que chacune d'elles délègue
à sa compagne l'autorité parentale qu'elle détient pour
l'exercer conjointement ; que dans ces conditions, il ne saurait être
fait droit à la demande de Francine X... et de Patricia Y... et le jugement
déféré doit être réformé » ;
ALORS 1°) QUE : une mère seule titulaire de l'autorité parentale
peut en déléguer une partie de l'exercice à la femme avec
laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que les «
circonstances » l'exigent et que la mesure est conforme à l'intérêt
supérieur de l'enfant ; que le premier de ces deux critères est
suffisamment caractérisé lorsque l'absence de filiation paternelle
laisse craindre qu'en cas d'événement accidentel plaçant
la mère dans l'incapacité d'exprimer son volonté, sa compagne
se heurte à une impossibilité juridique de tenir le rôle
éducatif qu'elle a toujours eu aux yeux de l'enfant, une telle impossibilité
pouvant survenir quand bien même nul n'aurait tenté jusqu'alors
de s'opposer à ce qu'elle tienne ce rôle ; qu'en décidant
que la délégation d'autorité parentale n'était pas
justifiée si la mère ne démontrait pas être exposée
à un risque d'accident supérieur à la moyenne et, en outre,
avoir rencontré des difficultés pour imposer aux tiers le rôle
éducatif joué par sa compagne, la cour d'appel a violé
l'article 377 alinéa 1er du code civil, ensemble les articles 8 et 14
de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales et 3. 1 de la convention internationale des droits
de l'enfant ;
ET ALORS 2°) QUE : si l'enfant s'épanouit pleinement au sein du foyer
harmonieux que sa mère biologique a construit depuis de nombreuses années
avec une autre femme, et si des liens fraternels l'unissent avec le propre enfant
de cette dernière, la délégation partielle d'autorité
parentale, en ce qu'elle permet de préserver ce bénéfice,
sert nécessairement l'intérêt de l'enfant ; qu'en l'espèce,
pour refuser de prononcer la délégation partielle d'autorité
parentale, la cour d'appel a retenu que chacun des deux enfants était
déjà pleinement épanoui au sein du foyer commun ; qu'en
s'abstenant de rechercher si, précisément, la délégation
parentale n'était pas justifiée par la nécessité
de consolider ce bénéfice, et plus particulièrement encore
par la nécessité de préserver la fratrie en cas d'impossibilité
pour l'une des deux mères de s'exprimer, la cour d'appel a privé
sa décision de base légale au regard de l'article 377 alinéa
1er du code civil, ensemble des articles 8 et 14 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et
3. 1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Publication : Bulletin 2010, I, n° 158