Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 17 février 2009

N° de pourvoi: 09-80558
Publié au bulletin Rejet

Statuant sur le recours en annulation formé par :- X... Serge,
- LA SOCIÉTÉ GRANDE PAROISSE,
contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de TOULOUSE, en date du 15 janvier 2009, autorisant l'enregistrement audiovisuel des audiences de leur procès pour homicides et blessures involontaires qui s'ouvrira le 23 février 2009 devant le tribunal correctionnel de TOULOUSE ;

Vu les articles L. 221-1 et suivants du code du patrimoine et le décret du 15 janvier 1986 ;

...

Attendu que Serge X... et la société Grande Paroisse sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Toulouse des chefs, notamment, d'homicides et de blessures involontaires ; que, saisi en application des articles L. 221-1 et suivants du code du patrimoine par plusieurs parties civiles d'une demande tendant à l'enregistrement audiovisuel des audiences publiques consacrées au jugement de cette affaire, le premier président de la cour d'appel de Toulouse a, par l'ordonnance déférée, fait droit à la requête ;

...

Sur le deuxième moyen d'annulation, pris de la violation des articles 6 § 1 et 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 221-1, L. 221-3, L. 222-1 du code du patrimoine, préliminaire du code de procédure pénale, 9-1 du code civil, ensemble le principe du contradictoire et la présomption d'innocence ;

"en ce que le premier président de la cour d'appel a ordonné l'enregistrement audiovisuel des débats des audiences du tribunal correctionnel de Toulouse saisi de la procédure du chef d'homicides et de blessures involontaires contre Serge X... et la SA Grande Paroisse ;

"aux motifs qu'il importe de noter que la loin *1985-699 du 11 juillet 1985, devenue ensuite les articles L. 221-1 à L. 222-3 du code du patrimoine, complétée par le décret du 15 janvier 1986 et dont l'application est demandée, n'a pour but que de permettre la constitution d'archives audiovisuelles de la justice ; que, destinées uniquement à donner les moyens de constituer une mémoire vivante de la justice, ces dispositions législatives ne permettent ni de diffuser immédiatement les images enregistrées, ni même de les consulter librement ; qu'ainsi, considérant l'importance des délais nécessaires pour la diffusion des images (50 ans), le risque de "surenchère à la médiatisation" soulevé par des opposants ne saurait être retenu ; que, de même, cette loi, exception à l'interdiction d'enregistrement audiovisuel des débats dans une salle d'audience, ne constitue aucun obstacle ni au bon déroulement des débats ni à l'exercice des droits de la défense dès lors que le président du tribunal continue de disposer de l'autorité nécessaire pour assurer la police de l'audience et même arrêter, si nécessaire, l'enregistrement ; qu'en conséquence, doit être également écarté le risque de "restriction de la liberté de parole ou de diminution de la qualité du témoignage" ; qu'enfin, cette loi limite le droit à l'image des personnes ou des professionnels participant ou assistant aux audiences, en sorte que leur souhait de "ne pas être filmé" ne saurait être retenu» ;

"alors que l'article L. 222-1 du code du patrimoine a été modifié parla loin º2008-696 du 15 juillet 2008 et prévoit désormais que la communication de l'enregistrement est de droit dès que l'instance a pris fin par une décision définitive, tandis que sa diffusion et reproduction sont possibles, dans les mêmes délais, sur autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris ou un juge délégué ; que, pour rejeter le moyen développé par les prévenus et le ministère public tiré des risques de «surenchère à la médiatisation», le premier président a retenu que les dispositions législatives ne permettent ni de diffuser immédiatement les images enregistrées ni même de les consulter librement; qu'il s'est, ce faisant, pour apprécier l'un des éléments déterminants de sa décision, fondé sur un texte qui n'était alors plus en vigueur, privant ainsi son ordonnance de toute base légale" ;

Sur le troisième moyen d'annulation, pris de la violation des articles 6 § 1 et 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 221-1, L. 221-3, L. 222-1 du code du patrimoine, préliminaire du code de procédure pénale, 9-1 du code civil, ensemble le principe du contradictoire et la présomption d'innocence ;

"en ce que le premier président de la cour d'appel a ordonné l'enregistrement audiovisuel des débats des audiences du tribunal correctionnel de Toulouse saisi de la procédure du chef d'homicides et de blessures involontaires contre Serge X... et la SA Grande Paroisse ;

"aux motifs qu'il importe de noter que la loi n° 1985-699 du 11 juillet 1985, devenue ensuite les articles L. 221-1 à L. 222-3 du code du patrimoine, complétée par le décret du 15 janvier 1986 et dont l'application est demandée, n'a pour but que de permettre la constitution d'archives audiovisuelles de la justice ; que, destinées uniquement à donner les moyens de constituer une mémoire vivante de la justice, ces dispositions législatives ne permettent ni de diffuser immédiatement les images enregistrées ni même de les consulter librement ; qu'ainsi, considérant l'importance des délais nécessaires pour la diffusion des images (50 ans), le risque de "surenchère à la médiatisation" soulevé par des opposants ne saurait être retenu ; que, de même, cette loi, exception à l'interdiction d'enregistrement audiovisuel des débats dans une salle d'audience, ne constitue aucun obstacle ni au bon déroulement des débats ni à l'exercice des droits de la défense dès lors que le président du tribunal continue de disposer de l'autorité nécessaire pour assurer la police de l'audience et même arrêter, si nécessaire, l'enregistrement ; qu'en conséquence, doit être également écarté le risque de "restriction de la liberté de parole ou de diminution de la qualité du témoignage"; qu'enfin, cette loi limite le droit à l'image des personnes ou des professionnels participant ou assistant aux audiences, en sorte que leur souhait de "ne pas être filmé" ne saurait être retenu» ; que, s'il est constant que cette loi n'a reçu application que pour l'enregistrement de procès concernant des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, les débats préparatoires à son adoption font apparaître que le législateur, appuyé par l'interprétation du ministre de la justice, n'a pas souhaité en limiter l'application aux seuls procès présentant une dimension historique par leur nature et a envisagé de l'étendre "aux procès qui illustrent le fonctionnement quotidien de la justice et qui, un jour, pourront intéresser les historiens, ainsi que les magistrats ou les avocats des générations à venir" en souhaitant notamment que "la notion d'histoire soit entendue au sens très large et que la constitution de documents audiovisuels aide à la compréhension, par les générations futures, de ce que fut la nôtre" ; que des éléments de fait tirés de la procédure d'information et des documents retraçant l'organisation prévisible des audiences, il ressort que :
- sera évoquée, lors des débats, une des plus grandes catastrophes industrielles survenues en France au début du XXIe siècle avec une importante discussion sur ses causes, laquelle devrait nécessiter plusieurs semaines de débats et d'exposés par des experts judiciaires hautement spécialisés ;
- les habitants de Toulouse, ville dans laquelle les dégâts humains et matériels ont été considérables, seront certainement nombreux aux audiences et c'est d'ailleurs afin d'assurer la meilleure publicité des débats mais aussi l'accueil le plus convenable des victimes que l'organisation matérielle de ce procès en a tenu compte en prévoyant l'utilisation d'une très grande salle avec des structures annexes reliées par des liaisons vidéo et l'intervention d'équipes d'accueil ou de permanence juridique ;
- l'établissement industriel partiellement détruit par l'explosion et depuis totalement rasé existait dans le paysage toulousain depuis 1919 et, par sa présence physique, par l'importance de son personnel, par son volume de production, comme par sa réputation, participait à l'histoire de la ville de Toulouse, si bien que ses archives et autres documents ont été en partie reconstitués et déposés aux archives municipales ; qu'ainsi, il paraît nécessaire que soit conservée, grâce à des moyens audiovisuels, comme l'enregistrement des débats, la trace des discussions scientifiques sur les causes de la catastrophe industrielle, que puissent être expliquées aux historiens les modalités d'organisation et de déroulement d'un procès du début du XXIe siècles accueillant un grand nombre de victimes ou de spectateurs, et qu'enfin, l'histoire de Toulouse soit enrichie par une "mémoire vivante" évoquant la disparition d'une partie de son patrimoine industriel ; qu'en conséquence, faisant droit aux requêtes, l'enregistrement audiovisuel des débats sera ordonné » ;

"1) alors que l'enregistrement d'un procès ne présente un intérêt historique, au sens de l'article L. 221-1 du code du patrimoine, que lorsque son déroulement mérite de faire partie de la mémoire collective de la nation ; que, sauf à vider ce texte de sa substance et banaliser la notion d'intérêt historique retenu par la loi, l'explosion de l'usine AZF, en dépit de sa gravité, par la localisation de ses effets sur la seule ville de Toulouse, par son absence de portée nationale et d'enjeu historique, ne peut donner lieu à l'enregistrement audiovisuel d'un procès pour délits d'homicides, blessures involontaires et destruction de bien ;

"2) alors qu'ainsi, la discussion sur les causes de cette catastrophe industrielle, quand bien même nécessiterait-elle plusieurs semaines de débats et d'exposés par des experts judiciaires hautement spécialisés, ne caractérise aucun intérêt pour ce procès à faire partie de la mémoire collective de la nation ;

"3) alors qu'encore, est tout aussi inopérant le motif selon lequel les habitants de Toulouse seront certainement nombreux aux audiences, qu'elles se tiendront dans une très grande salle avec des structures annexes reliées par des liaisons vidéos, que des équipes d'accueil ou des permanences juridiques seront présentes ;

"4) alors qu'enfin, n'est pas plus de nature à donner une base légale à la décision, au regard des conditions de l'article L. 221-1 du code du patrimoine, la circonstance que l'établissement industriel disparu existait dans le paysage toulousain depuis 1919 et que, par sa présence physique, par l'importance de son personnel, par son volume de production comme sa réputation, il participait à l'histoire de la ville de Toulouse" ;

Sur le quatrième moyen d'annulation, pris de la violation des articles 6 § 1, 6 § 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 221-1, L. 221-3, L. 222-1 du code du patrimoine, préliminaire du code de procédure pénale, 9 et 9-1 du code civil, 226-1 du code pénal, ensemble la présomption d'innocence et le droit à l'oubli ;

"en ce que le premier président de la cour d'appel a ordonné l'enregistrement audiovisuel des débats des audiences du tribunal correctionnel de Toulouse saisi de la procédure du chef d'homicides et de blessures involontaires contre Serge X... et la SA Grande Paroisse ;

"aux motifs qu'il importe de noter que la loi nº 1985-699 du 11 juillet 1985, devenue ensuite les articles L. 221-1 à L. 222-3 du code du patrimoine, complétée par le décret du 15 janvier 1986 et dont l'application est demandée, n'a pour but que de permettre la constitution d'archives audiovisuelles de la justice ; que, destinées uniquement à donner les moyens de constituer une mémoire vivante de la justice, ces dispositions législatives ne permettent ni de diffuser immédiatement les images enregistrées ni même de les consulter librement ; qu'ainsi, considérant l'importance des délais nécessaires pour la diffusion des images (50 ans), le risque de "surenchère à la médiatisation" soulevé par des opposants ne saurait être retenu; que, de même, cette loi, exception à l'interdiction d'enregistrement audiovisuel des débats dans une salle d'audience, ne constitue aucun obstacle ni au bon déroulement des débats ni à l'exercice des droits de la défense dès lors que le président du tribunal continue de disposer de l'autorité nécessaire pour assurer la police de l'audience et même arrêter, si nécessaire, l'enregistrement ; qu'en conséquence, doit être également écarté le risque de "restriction de la liberté de parole ou de diminution de la qualité du témoignage" ; qu'enfin, cette loi limite le droit à l'image des personnes ou des professionnels participant ou assistant aux audiences, en sorte que leur souhait de "ne pas être filmé" ne saurait être retenu» ; que, s'il est constant que cette loi n'a reçu application que pour l'enregistrement de procès concernant des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, les débats préparatoires à son adoption font apparaître que le législateur, appuyé par l'interprétation du ministre de la justice, n'a pas souhaité en limiter l'application aux seuls procès présentant une dimension historique parleur nature et a envisagé de l'étendre "aux procès qui illustrent le fonctionnement quotidien de la justice et qui, un jour, pourront intéresser les historiens, ainsi que les magistrats ou les avocats des générations à venir" en souhaitant notamment que "la notion d'histoire soit entendue au sens très large et que la constitution de documents audiovisuels aide à la compréhension, par les générations futures, de ce que fut la nôtre" ; que, des éléments de fait tirés de la procédure d'information et des documents retraçant l'organisation prévisible des audiences, il ressort que :
- sera évoquée, lors des débats, une des plus grandes catastrophes industrielles survenues en France au début du XXIe siècle avec une importante discussion sur ses causes, laquelle devrait nécessiter plusieurs semaines de débats et d'exposés par des experts judiciaires hautement spécialisés ;
- les habitants de Toulouse, ville dans laquelle les dégâts humains et matériels ont été considérables, seront certainement nombreux aux audiences et c'est d'ailleurs afin d'assurer la meilleure publicité des débats mais aussi l'accueil le plus convenable des victimes que l'organisation matérielle de ce procès en a tenu compte en prévoyant l'utilisation d'une très grande salle avec des structures annexes reliées
par des liaisons vidéo et l'intervention d'équipes d'accueil ou de permanence juridique ;
- l'établissement industriel partiellement détruit par l'explosion et depuis totalement rasé existait dans le paysage toulousain depuis 1919 et, par sa présence physique, par l'importance de son personnel, par son volume de production comme par sa réputation, participait à l'histoire de la ville de Toulouse, si bien que ses archives et autres documents ont été en partie reconstitués et déposés aux archives municipales ; qu'ainsi, il paraît nécessaire que soit conservée, grâce à des moyens audiovisuels, comme l'enregistrement des débats, la trace des discussions scientifiques sur les causes de la catastrophe industrielle, que puissent être expliquées aux historiens les modalités d'organisation et de déroulement d'un procès du début du XXlème siècles accueillant un grand nombre de victimes ou de spectateurs, et qu'enfin l'histoire de Toulouse soit enrichie par une "mémoire vivante" évoquant la disparition d'une partie de son patrimoine industriel ;

"1) alors que toute personne poursuivie a le droit de ne pas être présentée comme coupable avant son jugement ; que la décision de procéder à l'enregistrement audiovisuel des audiences à venir devant le tribunal correctionnel soumet les demandeurs à une procédure exceptionnelle jusqu'alors mise en oeuvre pour Klaus A..., Paul B... et Maurice C..., accusés de crimes ou complicité de crimes contre l'humanité, lesquels avaient déjà été jugés coupables par l'Histoire des actes les plus odieux avant même leur comparution devant un tribunal ; que, ce faisant, le premier président impose à l'audience du «procès AZF» un formalisme de nature à faire grief aux prévenus qui, ipso facto, comparaîtront stigmatisés d'un préjugé particulièrement honteux, nourrissant le sentiment pour l'opinion de leur culpabilité et portant une atteinte disproportionnée et injustifiée au droit à la présomption d'innocence de ces derniers ;

"2)alors qu'il appartient à la chambre criminelle de consacrer un droit à l'oubli, lequel fait partie du socle des garanties attachées au respect de la vie privée consacrées par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 9 du code civil et 226-1 du code pénal ; qu'en l'espèce, en décidant l'enregistrement des débats et leur conservation permanente dans les archives nationales, sans justifier d'un intérêt historique suffisant, le premier président a porté une atteinte disproportionnée au droit de toute partie à un litige de voir, par l'écoulement du temps, une accusation prescriptible, dont il a fait l'objet, rendue au secret et à l'oubli" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour faire droit à la demande d'enregistrement audiovisuel des audiences, l'ordonnance relève que cet enregistrement présente un intérêt pour la constitution d'archives historiques de la justice ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, les griefs allégués ne sont pas encourus ;

Que l'atteinte aux droits à la présomption d'innocence et à l'oubli, alléguée par les demandeurs, pouvant résulter de l'enregistrement des débats et de leur conservation dans les archives nationales est justifiée par la loi sur le fondement de laquelle la décision critiquée a été prise ;

D'où il suit que les moyens, dont le deuxième critique des motifs erronés mais non déterminants de l'ordonnance attaquée, ne sauraient être accueillis ;

Par ces motifs :

REJETTE le recours en annulation ;

Publication : Bulletin criminel 2009, N° 40