Conseil d'Etat
statuant au contentieux
N° 136727 lecture du vendredi 27 octobre 1995
Vu la requête enregistrée le 24 avril 1992 au secrétariat
du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la commune de
Morsang-sur-Orge, représentée par son maire en exercice domicilié
en cette qualité en l'hôtel de ville ; la commune de Morsang-sur-Orge
demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 25 février 1992 par lequel le tribunal
administratif de Versailles a, à la demande de la société
Fun Production et de M. X..., d'une part, annulé l'arrêté
du 25 octobre 1991 par lequel son maire a interdit le spectacle de "lancer
de nains" prévu le 25 octobre 1991 à la discothèque
de l'Embassy Club, d'autre part, l'a condamnée à verser à
ladite société et à M. X... la somme de 10 000 F en réparation
du préjudice résultant dudit arrêté ;
2°) de condamner la société Fun Production et M. X... à
lui verser la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi n°
91- 647 du 10 juillet 1991 ;
(...)
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 131-2 du code des communes
: "La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté,
la sécurité et la salubrité publique" ;
Considérant qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir
de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte
à l'ordre public ; que le respect de la dignité de la personne
humaine est une des composantes de l'ordre public ; que l'autorité investie
du pouvoir de police municipale peut, même en l'absence de circonstances
locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au
respect de la dignité de la personne humaine ;
Considérant que l'attraction de "lancer de nain" consistant
à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser
comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique et présentée
comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte
à la dignité de la personne humaine ; que l'autorité investie
du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l'interdire même
en l'absence de circonstances locales particulières et alors même
que des mesures de protection avaient été prises pour assurer
la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait
librement à cette exhibition, contre rémunération ;
Considérant que, pour annuler l'arrêté du 25 octobre 1991
du maire de Morsang-sur-Orge interdisant le spectacle de "lancer de nains"
prévu le même jour dans une discothèque de la ville, le
tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur le fait qu'à
supposer même que le spectacle ait porté atteinte à la dignité
de la personne humaine, son interdiction ne pouvait être légalement
prononcée en l'absence de circonstances locales particulières
; qu'il résulte de ce qui précède qu'un tel motif est erroné
en droit ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat saisi par l'effet dévolutif
de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par la société
Fun Production et M. X... tant devant le tribunal administratif que devant le
Conseil d'Etat ;
Considérant que le respect du principe de la liberté du travail
et de celui de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle
à ce que l'autorité investie du pouvoir de police municipale interdise
une activité même licite si une telle mesure est seule de nature
à prévenir ou faire cesser un trouble à l'ordre public
; que tel est le cas en l'espèce, eu égard à la nature
de l'attraction en cause ;
Considérant que le maire de Morsang-sur-Orge ayant fondé sa décision
sur les dispositions précitées de l'article L. 131-2 du code des
communes qui justifiaient, à elles seules, une mesure d'interdiction
du spectacle, le moyen tiré de ce que cette décision ne pouvait
trouver sa base légale ni dans l'article 3 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni
dans une circulaire du ministre de l'intérieur, du 27 novembre 1991,
est inopérant ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède
que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif
de Versailles a prononcé l'annulation de l'arrêté du maire
de Morsang-sur-Orge en date du 25 octobre 1991 et a condamné la commune
de Morsang-sur-Orge à verser aux demandeurs la somme de 10 000 F ; que,
par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter leurs conclusions tendant
à l'augmentation du montant de cette indemnité ;
Sur les conclusions de la société Fun Production et de M. X...
tendant à ce que la commune de Morsang-sur-Orge soit condamnée
à une amende pour recours abusif :
Considérant que de telles conclusions ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article
75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991
: "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens
ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre
partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et
non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité
ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut
même d'office, pour des raisons tirées de ces mêmes considérations,
dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ; Considérant,
d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que la commune de
Morsang-sur-Orge, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante,
soit condamnée à payer à la société Fun Production
et M. X... la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux
et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances
de l'espèce, de faire application de ces dispositions au profit de la
commune de Morsang-sur-Orge et de condamner M. X... à payer à
cette commune la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui
et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de condamner
la société Fun Production à payer à la commune de
Morsang-sur-Orge la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par
elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 25 février
1992 est annulé.
Article 2 : Les demandes de la société Fun Production et de M.
X... présentées devant le tribunal administratif de Versailles
sont rejetées.
Article 3 : L'appel incident de la société Fun Production et de
M. X... est rejeté.
Article 4 : La société Fun production est condamnée à
payer à la commune de Morsang-sur-Orge la somme de 10 000
F en application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet
1991.
Article 5 : Les conclusions de la société Fun-Production
et de M. X... tendant à l'application de l'article 75-I de la loi
du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à
la commune de Morsang-sur-Orge, à la société
Fun Production, à M. X... et au ministre de l'intérieur.