Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 20 octobre 1998

N° de pourvoi: 97-84621
Publié au bulletin Rejet

REJET du pourvoi formé par :
- X...,
- la société Y..., civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 2 juillet 1997, qui, pour atteinte à l'intimité de la vie privée, a condamné le premier à une amende de 200 000 francs, a déclaré la seconde, civilement responsable, et a prononcé sur les intérêts civils.

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 226-1, 226-2, 226-6 du Code pénal, des articles 1er et 2, 591 à 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les exceptions d'irrecevabilité et de nullité présentées par X... et la société Y... ;

" aux motifs qu'il résultait de l'article 226-6 du Code pénal que l'action publique ne pouvait être exercée que sur la plainte de la victime, de son représentant légal ou de ses ayants droit ; que tel était le cas en l'espèce, une plainte ayant été déposée par la veuve et les enfants de F... Z..., qui étaient ses ayants droit ; que le ministère public avait régulièrement engagé la procédure à la suite de cette plainte ; que l'exigence d'une plainte devait être distinguée de la question de la réparation du préjudice allégué par les parties civiles comme de celle des éléments constitutifs (arrêt, pages 8 et 9) ;

" alors que, contrairement à ce qu'a énoncé la cour d'appel, la question de la validité de la plainte prévue par l'article 226-6 du Code pénal, condition de la régularité de l'action publique, ne peut être distinguée de la question de la qualité pour agir de la partie civile ; que l'action civile appartient à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par l'infraction ; que les dispositions de l'article 226-6 du Code pénal ne dérogent ni expressément, ni implicitement à ce principe ; que les ayants cause de la personne décédée n'ont donc pas qualité pour déposer plainte aux lieu et place de cette dernière, en alléguant une atteinte à l'intimité de sa vie privée, sauf à démontrer qu'ils exécutent ainsi la volonté du défunt " ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 111-4, 121-3, 132-24, 226-1, 226-2, 226-6 du Code pénal, des articles 591 à 593 du Code de procédure pénale, contradiction et insuffisance de motifs :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable du délit de publication de documents résultant d'une atteinte à l'intimité de la vie privée ;

" aux motifs que la matérialité de la publication des 2 clichés litigieux ne faisait pas débat ; que le fait que l'auteur de l'infraction prévue par l'article 226-1 du Code pénal n'ait pas été identifié n'était pas un obstacle à la constitution de cette infraction ; que le fait de prendre des photographies d'une dépouille mortelle portait incontestablement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui quelles que soient les analyses que l'on puisse faire sur le point de savoir si la notion d'autrui se rapportait au décédé ou à ses ayants droit ; que la notion d' "autrui" visait l'"autre" auquel le respect est dû en raison de sa condition d'être humain et ne se réduisait pas au point de savoir s'il pouvait ou non être porteur de droits privés après son décès ; que les photographies avaient été prises dans un lieu privé ; qu'il fallait que le prévenu apporte la preuve d'un consentement de la victime ; qu'on ne pouvait suivre la défense en ce qu'elle faisait valoir que le consentement de la victime devait être présumé, à défaut d'opposition de son vivant ; que ces motifs s'appliquaient non seulement à celui qui avait pris les photos, mais encore à X... qui les avait publiées ; que X... avait été, en outre, avisé de l'opposition de D... Z... à la publication des photos ; que le prévenu ne pouvait s'abriter derrière la notion d'intérêt historique des documents, ayant été plus animé par les intérêts de son journal ; que chacun a droit à la protection de sa vie privée, y compris un ancien président de la République ; que cette protection est particulièrement souhaitable en ce qui concerne la dépouille mortelle ; que le délit était donc constitué ; que les faits étaient particulièrement graves, s'agissant de la dépouille mortelle d'un ancien président de la République, parce qu'en violant la loi à son égard, le prévenu l'avait violé à l'égard de tous ;

" alors que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le délit prévu par l'article 226-2 du Code pénal n'est constitué que si le document publié a été obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 ; que la fixation de l'image d'une personne en un lieu privé n'est punissable que si elle a été effectuée sans le consentement de la personne représentée comme l'indique sans ambiguïté le texte de l'article 226-1 ; que le délit ne peut être constitué lorsque la personne représentée était décédée au moment où son image a été prise, sauf à supposer qu'elle se soit opposée, de son vivant, à ce que l'image de sa dépouille soit prise et divulguée ;

" et alors que, de toute manière, le délit de publication de documents portant atteinte à la vie privée (article 226-2 du Code pénal) n'a aucune autonomie puisqu'il n'est constitué que si le délit prévu par l'article 226-1 du Code pénal a été commis préalablement et si la personne publiant l'image a eu connaissance de son origine délictueuse ; qu'à défaut de constatation de l'intention délictueuse chez l'auteur des clichés litigieux, demeuré inconnu et ayant opéré dans des conditions qui n'ont jamais été élucidées, il ne pouvait être constaté l'existence d'un délit de sa part ; qu'il n'a pas davantage été constaté que le prévenu connaissait l'origine délictueuse des clichés reproduits ; que, partant, la cour d'appel n'a pas caractérisé le délit de publication de documents portant atteinte à l'intimité de la vie privée retenu contre le prévenu " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à la suite de la publication dans l'hebdomadaire "A..." de 2 photographies de F... Z... sur son lit de mort, le ministère public, après avoir reçu la plainte de ses ayants droit, a cité devant le tribunal correctionnel X..., directeur de la publication de ce magazine, pour atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, délit prévu et réprimé par les articles 226-1, 226-2 et 226-6 du Code pénal ;

Attendu que, pour rejeter l'exception d'irrecevabilité des poursuites et déclarer le prévenu coupable de cette infraction, les juges constatent que l'action publique a été exercée sur la plainte de la veuve et des enfants de F... Z..., conformément aux dispositions de l'article 226-6 du Code pénal et énoncent que le fait de prendre des photographies d'une dépouille mortelle porte incontestablement atteinte à la vie privée d'autrui, le respect étant dû à la personne humaine, qu'elle soit morte ou vivante, et quel que soit son statut ; qu'ils relèvent que les photographies ont été prises dans un lieu privé, à savoir la chambre de l'appartement dont l'accès était limité aux personnes autorisées et retiennent que le prévenu les a publiées en sachant qu'elles avaient été prises en violation des dispositions de l'article 226-1 du Code pénal, et sans avoir eu l'accord préalable de F... Z... avant son décès, ni celui de ses ayants droit puisqu'il avait, au contraire, été avisé, avant la sortie du journal, de l'opposition de D... Z... à la publication de ces clichés ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que, d'une part, la fixation de l'image d'une personne, vivante ou morte, sans autorisation préalable des personnes ayant pouvoir de l'accorder, est prohibée et que la diffusion ou la publication de ladite image sans autorisation entre nécessairement dans le champ d'application des articles 226-1, 226-2 et 226-6 du Code pénal ;

Que, d'autre part, si l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme reconnaît à toute personne la liberté de communiquer des informations au public, ce texte prévoit, en son second paragraphe, que l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, notamment pour la protection des droits d'autrui ; que tel est l'objet des dispositions du Code pénal suscitées, relatives à l'atteinte à l'intimité de la vie privée ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

Publication : Bulletin criminel 1998 N° 264 p. 765