Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 17 septembre 1997

N° de pourvoi: 96-84972
Publié au bulletin
Cassation partielle
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse, du 11 juin 1996, qui, dans la procédure suivie pour homicide involontaire et non-assistance à personnes en péril contre D..., E..., Z..., F... et Y... a confirmé l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction en faveur des 4 premiers, infirmé cette ordonnance en ce qu'elle avait renvoyé Y... devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'homicide involontaire, et constaté la prescription de l'action publique en ce qui concerne le délit de non-assistance à personnes en péril.

Sur les faits et la procédure :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que X... a été opéré de la prostate le 27 octobre 1986 par le docteur Y... et a subi à cette occasion plusieurs transfusions de sang ; qu'un test pratiqué au cours d'une hospitalisation a révélé le 12 août 1988 qu'il avait été contaminé par le virus V.I.H ; qu'il est décédé du sida le 27 juin 1989 ;

Que, le 19 janvier 1990, les consorts X... ont déposé plainte avec constitution de partie civile pour homicide involontaire, dénonçant, outre des maladresses du chirurgien et de l'équipe médicale, des transfusions massives injustifiées, le caractère contaminé du sang transfusé ainsi que l'absence de contrôle, après les transfusions, de la séropositivité du patient alors que celui-ci présentait des complications médicales ;

Que l'expert commis par le juge d'instruction a souligné que le chirurgien Y... et le médecin anesthésiste Z... avaient été informés en juillet 1987, par le centre régional de transfusion sanguine, de la contamination du sang transfusé à X... sans en avertir ce dernier, lequel n'avait pu ainsi commencer de traitement retardant l'issue fatale ; qu'à la suite de cette révélation, le procureur de la République, le 29 janvier 1992, a requis d'informer supplétivement contre personne non dénommée pour non-assistance à personnes en péril ;

Que, parmi les cinq médecins mis en examen pour homicide involontaire et non-assistance à personnes en péril, seul Y... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention unique d'homicide involontaire, les autres bénéficiant d'une ordonnance de non-lieu ;

Que le ministère public a relevé appel de cette décision ;

En cet état :

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 575, alinéa 2-6° du Code de procédure pénale, des articles 319 et 320 du Code pénal ancien, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a infirmé l'ordonnance entreprise ayant renvoyé le docteur Y... devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire ;
" aux motifs que : "le renvoi du docteur Y... pour homicide involontaire tel que rédigé dans l'ordonnance du 16 novembre 1995 ne peut recevoir confirmation puisque les faits de négligence réels soulignés par le juge d'instruction n'ont pas causé la mort du patient, laquelle est survenue suite à une transfusion contaminante, dont le caractère funeste n'était pas connu, à la date de la transfusion, par les différents protagonistes de l'affaire" ;

" alors que la chambre d'accusation n'a pas recherché si les faits de négligence ou d'inattention caractérisés par un défaut d'information et de soins du malade postérieurement à la transfusion contaminante, dénoncés par la partie poursuivante, n'étaient pas de nature, en l'état actuel de la science, à avoir participé à l'évolution mortelle de l'état du patient, dont le sida ne se serait peut-être pas déclaré s'il avait immédiatement reçu, dès la connaissance de sa séropositivité, le traitement approprié ; qu'en cet état, l'arrêt attaqué ne saurait donc satisfaire aux conditions essentielles de son existence légale " ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que pour infirmer l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction et dire n'y avoir lieu à suivre contre Y... du chef d'homicide involontaire, la chambre d'accusation, après avoir exposé les faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire des parties civiles, a énoncé les motifs de fait et de droit pour lesquels elle a estimé qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre lui d'avoir commis l'infraction reprochée ;

Que le moyen, qui se borne à contester ces motifs, ne comporte aucun des griefs que l'article 575 du Code de procédure pénale autorise la partie civile à formuler à l'appui de son seul pourvoi contre l'arrêt de la chambre d'accusation en l'absence de recours du ministère public ;

D'où il suit que ce moyen est irrecevable ;

Mais sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 6, 8, 80, 86, 176, 575 alinéa 2-3° du Code de procédure pénale, 63 du Code pénal (223-6 nouveau du Code pénal), 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a constaté, en ce qui concerne le délit de non-assistance à personnes en péril, la prescription de l'action publique ;
" aux motifs que le délit de non-assistance à personnes en danger est un délit instantané ; que la connaissance de la contamination du sang par les docteurs X... et Y... et, partant, l'obligation de révélation était acquise, au plus tard, en juillet 1987 ; que la plainte du 19 janvier 1990 visant le seul homicide involontaire n'a pu avoir d'effet interruptif ; que le réquisitoire supplétif pour faits nouveaux du 29 janvier 1992 (...) est intervenu plus de trois ans après juillet 1987 ; que les faits de non-assistance à personnes en péril sont donc prescrits ; qu'ils le sont également même si l'on considère que les médecins auraient pu révéler la contamination du sang transfusé et le risque couru jusqu'à la révélation de la contamination de X... le 12 août 1988 (prescription acquise le 12 août 1991 avant le réquisitoire supplétif) ;

" alors, d'une part, que le juge d'instruction étant saisi in rem, la plainte avec constitution de partie civile enregistrée le 19 janvier 1990 et suivie d'une consignation le 9 avril 1990 a nécessairement interrompu la prescription, eu égard à l'ensemble des faits dénoncés, quelle que soit la qualification pouvant finalement leur être donnée ; qu'en ce qui concerne la victime principale, X..., la plainte soulignait qu'après les transfusions " à aucun moment les médecins de la clinique de Y... n'ont pratiqué le test qui aurait permis de déterminer (s'il avait été fait dès après les transfusions) l'existence de l'infection et de ce fait une lutte plus efficace contre la maladie par le patient avec des chances de guérison (ou à tout le moins, de survie) beaucoup plus importantes " ; qu'ainsi de la plainte initiale, et dans le délai de la prescription était dénoncé l'abstention susceptible de caractériser l'omission de porter secours à personne en danger ; qu'ainsi la chambre d'accusation qui se borne à affirmer que la plainte initiale visait le seul homicide involontaire, sans se prononcer sur les faits eux-mêmes qui étaient dénoncés, a violé les textes susvisés ;

" alors, d'autre part, que la chambre d'accusation n'a considéré que le délit d'omission de porter secours à personnes en danger, concernant les proches de la victime visés par le réquisitoire supplétif, et non la victime elle-même, également concernée par la non-assisatance à personne en péril dans la mesure où, pendant plus d'un an, les soins nécessités par son état, connu des médecins dès juillet 1987, ne lui ont pas été prodigués ; qu'à cet égard, les faits constitutifs du délit d'homicide involontaire et de celui de non-assistance à personne en danger étaient en lien de connexité et d'interdépendance nécessaire ; que, dès lors, en déclarant l'action prescrite au regard du délit de non-assistance à personne en danger, sans s'interroger sur le point de savoir si la dégradation de l'état de santé du patient et son décès, liés au sida, n'étaient pas également la conséquence de l'abandon médical, juridiquement qualifié non-assistance, dont il avait été aussi la victime, la chambre d'accusation a privé sa décision de motifs ;

" alors, en toute hypothèse, que le réquisitoire introductif a mis en mouvement l'action publique et interrompu la prescription, non seulement pour les faits dont il a saisi le juge d'instruction, mais encore pour les infractions indivisibles ou connexes non visées au réquisitoire ; qu'il en résulte que, lorsque le juge est saisi par un réquisitoire supplétif des faits qui n'étaient pas visés par le réquisitoire introductif mais étaient connexes aux faits visés par celui-ci, la prescription concernant ces faits nouveaux a été interrompue par le réquisitoire introductif ; qu'en l'occurrence les faits de non-assistance à personnes en danger étant connexes à ceux d'homicide involontaire, comme étant indivisiblement liés aux manquements des médecins dénoncés lors du dépôt de la plainte, la prescription a donc nécessairement été interrompue pour l'ensemble de ces faits, qu'ils concernent X... directement ou plus largement son entourage ;
" alors, enfin, que, contrairement à ce qu'affirme la chambre d'accusation, le délit de non-assistance à personne en péril s'est perpétré tant que le docteur X... n'est pas intervenu pour donner à son malade les soins nécessités par son état ; qu'ainsi le délit ne se trouvait pas définitivement réalisé en juillet 1987, dans la mesure où c'est seulement à partir de cette date que le médecin aurait dû intervenir, et ne l'a pas fait, pendant de longs mois, l'abstention délictueuse n'ayant d'ailleurs jamais pris fin qu'avec la prise en charge du malade en août 1988, voire même à sa mort, dans la mesure où le médecin traitant ne s'est jamais manifesté sans en avoir été requis ; que c'est par conséquent à tort que la chambre d'accusation a déclaré prescrite l'action en omission de porter secours dont s'agit " ;

Vu lesdits articles ;
Attendu que, lorsque deux infractions sont connexes, un acte interruptif de prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre ;
Attendu que la chambre d'accusation, en ce qui concerne le délit de non-assistance à personnes en péril, n'a retenu aucune charge contre trois des médecins mis en examen et constaté, envers les deux autres, l'extinction de l'action publique par prescription ; qu'elle énonce à cet égard, après avoir rappelé que cette infraction présente un caractère instantané, que les docteurs X... et Y... avaient l'obligation de révéler, en juillet 1987, la contamination du sang transfusé à leur patient et que l'abstention délictueuse poursuivie a été commise à cette date ; qu'elle retient, cependant, que la plainte des parties civiles du 19 janvier 1990, visant le seul homicide involontaire, n'a pu avoir d'effet interruptif de prescription ; qu'elle en conclut qu'au jour du réquisitoire supplétif pour faits nouveaux, en janvier 1992, la prescription était acquise, même si l'on considère qu'elle n'a commencé à courir qu'en août 1988, date de la révélation de la contamination de la victime ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que les faits reprochés aux personnes mises en examen sous la qualification de non-assistance à personnes en péril présentent un lien de connexité avec ceux dénoncés dans la plainte des parties civiles, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée du principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a constaté la prescription de l'action publique concernant le délit de non-assistance à personne en péril poursuivi contre X... et Y..., l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse, en date du 11 juin 1996, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ;

Publication : Bulletin criminel 1997 N° 300 p. 1005