24 juin 2014
CE, 24 juin 2014, Mme F…I…et autres
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux sur le rapport de la 2ème
sous-section de la section du contentieux
Séance du 20 juin 2014 - Lecture du 24 juin 2014
Vu la décision, en date du 14 février 2014 (voir
infra), par laquelle le Conseil d’Etat, statuant au contentieux,
avant de statuer sur les requêtes de Mme F… I…, enregistrée
sous le n° 375081, de M. L… I…, enregistrée sous le n°
375090, et du centre hospitalier universitaire de Reims, enregistrée
sous le n° 375091, tendant à l’annulation du jugement n°
1400029 du 16 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Châlons
en Champagne, statuant sur le fondement de l’article L. 521 2 du code
de justice administrative, a suspendu l’exécution de la décision
du 11 janvier 2014 de mettre fin à l’alimentation et à l’hydratation
artificielles de M. J… I…et au rejet de la demande présentée,
sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative,
devant le juge des référés du tribunal administratif de
Châlons en Champagne par M. E… I…, Mme K… I…,
M. C… N… et Mme A… G…, a, d’une part, ordonné
qu’il soit procédé, par un collège de trois médecins,
à une expertise en vue de déterminer la situation médicale
de M. I… et, d’autre part, invité, en application de l’article
R. 625-3 du code de justice administrative, l’Académie nationale
de médecine, le Comité consultatif national d’éthique
et le Conseil national de l’Ordre des médecins ainsi que M. B…
P…à présenter des observations écrites de caractère
général de nature à l’éclairer utilement sur
l’application des notions d’obstination déraisonnable et
de maintien artificiel de la vie au sens de l’article L.1110 5 du code
de la santé publique, en particulier à l’égard des
personnes qui sont dans un état pauci relationnel ;
...
Vu le mémoire, enregistré sous les trois numéros le 10
juin 2014, présenté pour l’Union nationale des associations
de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés
; elle fait valoir qu’au regard de l’article L. 1110-5 du code de
la santé publique, l’appréciation du caractère déraisonnable
d’un traitement ne peut se faire de la même façon selon que
le patient est ou non en fin de vie ; que le fait de maintenir la vie d’un
patient par alimentation et hydratation artificielles constitue des soins de
base qui ne peuvent relever d’une obstination déraisonnable que
lorsque le pronostic vital du patient est engagé ; que l’alimentation
et l’hydratation artificielles de M. J… I…ne sauraient être
regardées comme un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant
d’autre effet que le maintien artificiel de la vie ; que seule la personne
concernée est à même de se prononcer sur le caractère
artificiel de son maintien en vie ; que décider de l’arrêt
de l’alimentation et de l’hydratation artificielles pour autrui
revient à se prononcer sur l’utilité de cette vie ; que
la vie d’un patient ne peut être considérée comme
maintenue artificiellement, au seul motif qu’il ne dispose plus d’un
pouvoir relationnel suffisant, en ce que cela conduirait à opérer
une distinction entre les patients en état pauci-relationnel et ceux
qui sont en état végétatif chronique et reviendrait à
considérer que tous les patients en état végétatif
chronique sont maintenus artificiellement en vie ; que le critère de
l’irréversibilité des lésions et de l’absence
de perspective d’amélioration de l’état clinique n’est
pas davantage pertinent pour apprécier la notion de maintien artificiel
de la vie du fait de la portée qu’aurait le recours à un
tel critère qui pourrait s’appliquer à toutes les personnes
en état végétatif chronique et à toutes les personnes
poly-handicapées ; que l’appréciation du caractère
du maintien artificiel de la vie se fait en fonction des volontés du
patient exprimées sans ambiguïté et de son éventuelle
souffrance ; que M. J…I…n’est pas en mesure d’exprimer
sa volonté actuelle ; qu’à supposer qu’il ait exprimé
oralement, en présence de certains membres de sa famille, son souhait
de ne pas être maintenu en vie dans un état de grande dépendance,
cette expression informelle émanait d’une personne valide qui n’était
pas confrontée aux conséquences immédiates de la situation
envisagée ; qu’il ne pourrait être tenu compte de cette expression
informelle que si la famille était unanime pour prêter de tels
souhaits à M.I… ; que la décision d’arrêt ne
relève pas du pouvoir exclusif et discrétionnaire du médecin
; qu’elle entérine un consensus familial et médical que
la procédure collégiale a pour objet de faire émerger,
avec l’aide, le cas échéant, d’un tiers, voire d’un
médiateur ; qu’en l’absence d’un tel consensus familial,
la décision ne peut être prise ; qu’en l’espèce,
la possibilité de déterminer avec certitude la volonté
de M. J… I…faisant défaut et en présence de l’opposition
de certains membres de la famille, la décision de cessation de traitement
ne pouvait être prise sans méconnaître l’esprit de
la loi du 22 avril 2005 ;
Vu le mémoire, enregistré sous les trois numéros le 10
juin 2014, présenté pour le centre hospitalier universitaire de
Reims, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens
; il fait valoir qu’il prend acte des examens réalisés au
cours des opérations d’expertise et du diagnostic médical
posé à l’issue de celles-ci ; il relève que les experts
ont estimé avoir eu accès à tous les moyens humains et
matériels propres à leur permettre de mener à bien leur
mission ;
Vu le mémoire, enregistré sous les trois numéros le 10
juin 2014, présenté pour M. L… I… et Mme O…
I…, qui reprennent les conclusions de la requête présentée
pour M. L… I… et les mêmes moyens ; ils font valoir que la
décision d’arrêt de traitement respecte le droit de M. I…à
ne pas subir, contre sa volonté exprimée, peu de temps avant l’accident,
un traitement le maintenant en vie ; que la procédure collégiale,
nécessaire selon l’avis de l’Académie nationale de
médecine, a été parfaitement suivie ; que le centre hospitalier
universitaire de Reims a, à bon droit, pris en compte la volonté
exprimée en connaissance de cause par M. J… I… de ne pas
être maintenu en état de grande dépendance ; que ces propos
n’ont pas été contestés ; que la circonstance qu’une
partie de la famille se soit opposée à la décision médicale
prise par le Dr H… est inopérante ; que l’état clinique
de M. J… I… s’est détérioré, dès
lors qu’il est dorénavant dans un état végétatif
chronique, que les lésions cérébrales sont irréversibles
et le pronostic clinique mauvais ; que la poursuite de l’alimentation
et de l’hydratation artificielles constitue une obstination déraisonnable,
au sens de la loi du 22 avril 2005, en ce qu’elle est inutile et disproportionnée
car elle n’apporte aucun bénéfice au malade et qu’elle
ne tend qu’au maintien artificiel de la vie de M. J… I… ;
Vu le mémoire en défense, enregistré sous les trois numéros
le 11 juin 2014, présenté pour M. E… I…, Mme K…
I…, M. C… N…et Mme A… I…, épouseG…,
qui reprennent les conclusions de leurs précédents mémoires
et les mêmes moyens ; ils font valoir, en outre, que les mesures d’instruction
ordonnées par le Conseil d’Etat dans sa décision du 14 février
2014 démontrent que la décision médicale du Dr. H…
du 11 janvier 2014 procède d’une expertise insuffisante et qu’elle
est entachée d’une illégalité manifeste ; qu’alimenter
et hydrater artificiellement un patient en état pauci-relationnel ou
en état végétatif chronique qui n’est pas en fin
de vie, n’a exprimé aucun avis personnel et n’est pas en
état de souffrance chronique manifeste ne saurait être regardé
comme relevant d’une obstination déraisonnable au sens de l’article
L.1110-5 du code de la santé publique ; que l’appréciation
du caractère déraisonnable d’un traitement ne peut se faire
de la même façon selon que le patient est ou non en fin de vie
; que M. I…ne reçoit plus de soins de stimulation et de kinésithérapie
depuis octobre 2012 ; que la décision d’arrêter l’alimentation
et l’hydratation d’un patient en état pauci relationnel ou
végétatif est contraire à la loi du 22 avril 2005 ainsi
qu’aux stipulations des articles 2 et 8 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
; que M. I…a partiellement retrouvé le réflexe de déglutition
; que mettre fin à l’alimentation et à l’hydratation
artificielles de patients dans une situation similaire à celle de M.
J… I… serait incompatible avec les exigences résultant du
principe de dignité ; que les critères de l’obstination
déraisonnable ne sont pas remplis ; que M. I…est en mesure de digérer
et d’assimiler les aliments ; qu’au surplus, la finalité
de l’alimentation qui est de nourrir, est remplie ; qu’elle n’entraîne
aucune souffrance ; que l’appréciation du caractère artificiel
du maintien de la vie se fonde sur un critère méconnaissant le
principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la
loi, les articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales et le principe
de dignité ; que la vie d’un patient ne peut être considérée
comme maintenue artificiellement au seul motif qu’il ne dispose plus d’un
pouvoir relationnel suffisant, en ce que cela conduirait à opérer
une distinction entre les patients en état pauci-relationnel et ceux
qui sont en état végétatif chronique ; que cela méconnaîtrait
l’exigence de consentement et de discernement posé par la Cour
européenne des droits de l’homme ; que la détérioration
d’une situation de santé peut résulter des conditions dans
lesquelles le patient a été traité ; que le critère
de l’irréversibilité des lésions et de l’absence
de perspective d’amélioration de l’état clinique n’est
pas davantage pertinent pour apprécier la notion de maintien artificiel
de la vie du fait de la portée qu’aurait le recours à un
tel critère qui pourrait s’appliquer à toutes les personnes
en état végétatif chronique et à toutes les personnes
poly-handicapées ; que l’obstination déraisonnable ne pourrait
être retenue à propos de l’alimentation et de l’hydratation
artificielles que dans le cas d’un état de souffrance chronique
manifeste ou en présence d’une volonté qu’aurait exprimée
antérieurement le patient, ce qui n’est pas le cas en l’espèce
; que les souhaits que M. J… I… aurait exprimés ne constituent
pas des directives anticipées au sens de la loi du 22 avril 2005 ; que,
si le Dr. H… s’est fondé sur les affirmations de l’épouse
de M. J… I… et de son frère I… , les autres frères
et sœurs se sont contentés de suppositions ; que Mme F…I…a
varié dans ses déclarations et a fait part tardivement des prétendus
souhaits de son mari ; que ces souhaits sont contestés ; qu’aucune
preuve n’est donnée quant aux conditions dans lesquelles les propos
de M. J… I… auraient été tenus, ni quant à
leurs termes ; qu’à supposer que M. I… les ait tenus, ils
remontent à de lointaines années ; que c’est à tort
que le Dr. H… a pu faire état d’une certitude quant à
la volonté passée du patient ; qu’il n’y a pas eu
de concertation collégiale, alors que la prise de décision doit
relever d’un accord de la famille et de l’équipe soignante
; que l’article R. 4127-37 du code de la santé publique est contraire
aux articles 2 et 6 combinés de la convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que M. J…
I… doit être transféré dans une unité de soins
spécialisée et adossée à une unité de vie
;
Vu le mémoire, enregistré sous les trois numéros le 16
juin 2014, présenté pour Mme F…I…, qui reprend les
conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle fait valoir
qu’elle entend faire siennes les observations développées
dans le mémoire présenté pour M. L…I…et Mme
O… I… ; qu’elle prend acte des examens réalisés
au cours des opérations d’expertise et du diagnostic médical
posé à l’issue de celles-ci ; que le traitement de M. J…I…constitue
une obstination déraisonnable, en ce que l’alimentation et l’hydratation
artificielles apportées à M. J…I…a pour objet de le
maintenir artificiellement en vie, dès lors qu’aucune amélioration
de son état n’est sérieusement envisageable ; que la loi
du 22 avril 2005 n’a pas imposé la condition d’un consensus
familial ; qu’il ne saurait être reproché à Mme F…I…de
n’avoir attesté par écrit des propos de son mari que dans
le cadre de la procédure alors que seule cette procédure a exigé
cette production ; que les souhaits antérieurement exprimés par
M. J…I…doivent être pris en compte au regard du principe de
dignité ; que les défendeurs ne donnent aucune raison pour laquelle
les propos rapportés par l’épouse et le frère de
M. I…n’auraient pu avoir été tenus par lui ; que la
loi ne méconnaît pas la convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le mémoire, enregistré sous les trois numéros le 18
juin 2014, présenté pour M. L… I… et Mme O…
I…, qui reprennent les conclusions de la requête présentée
pour M. L… I… et les mêmes moyens ; ils font valoir, en outre,
que l’expertise ordonnée par le Conseil d’Etat a eu pour
seul but d’actualiser les pièces du dossier médical de M.
J… I… ; que la question de l’interprétation à
donner aux manifestations comportementales de M. J… I…n’a
plus d’objet du fait de la dégradation de son état de santé
; que l’application de la loi du 22 avril 2005 n’a pas pour but
d’opérer une distinction entre les personnes en fonction de leur
état de santé ; que l’éventuelle récupération
de la fonction de déglutition de M. J… I… n’indique
pas que son état se soit amélioré ; que l’alimentation
et l’hydratation artificielles constituent un traitement inutile dès
lors qu’il a pour seul but, en l’espèce, de maintenir artificiellement
la vie ; que les bénéfices attendus de la poursuite du traitement
de M. J… I… sont inexistants puisque les lésions sont irréversibles
et que l’état de santé de M. I…s’est détérioré,
de telle sorte que cette poursuite est disproportionnée ; que le critère
du seul maintien artificiel de la vie n’introduit pas d’atteinte
au principe d’égalité, dès lors que tous les patients
sont soumis aux mêmes critères constitutifs de l’obstination
déraisonnable ; que la référence à l’existence
d’une « vie biologique » pour définir le critère
du seul maintien artificiel de la vie entre dans les prévisions de la
loi et correspond aux avis de M.P…, de l’Académie nationale
de médecine et du Conseil national de l’Ordre des médecins
; que la suggestion du Comité consultatif national d’éthique
selon laquelle l’alimentation et l’hydratation ne pourraient être
arrêtées qu’en cas de souffrance chronique manifeste ou de
volonté antérieurement exprimée par le patient consiste
en une proposition d’amendement de la loi du 22 avril 2005 ; que toute
douleur du patient ne peut être exclue avec certitude ; que les consorts
I…n’établissent pas que M. J… I…leur aurait fait
part de sa volonté de continuer à vivre dans une situation similaire
à sa situation actuelle ; que sept de ses proches ont considéré
que M. J… I… ne l’aurait pas voulu ; que la loi du 22 avril
2005 est conforme aux articles 2 et 4 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
;
Vu le nouveau mémoire, enregistré sous les trois numéros
le 19 juin 2014, présenté pour M. E… I…, Mme K…
I…, M. C… N…et Mme A… I…, épouse G…,
qui reprennent les conclusions de leurs précédents mémoires
et les mêmes moyens ; ils font valoir que la question de l’alimentation
et de l’hydratation artificielles n’a pas été tranchée
définitivement par la décision du Conseil d’Etat du 14 février
2014 ; que si l’alimentation parentérale vise « à
assurer de façon artificielle les fonctions vitales du patient »,
ce n’est pas le cas de l’alimentation entérale qui ne vise
pas à pallier la fonction vitale de digestion et d’assimilation
par le corps des nutriments ; que les sociétés savantes soulignent
la difficulté à distinguer l’état végétatif
de l’état de conscience minimale ; que ces états sont traités
de la même manière ; que la vie de M. J…I…ne se résume
pas à une vie biologique ; qu’il suit ses proches du regard et
communique avec son entourage ; que la dégradation de son état
est due à une carence dans les soins qui lui sont prodigués ;
qu’il peut être rééduqué à l’alimentation
naturelle ; que l’alimentation et l’hydratation artificielles de
M. J…I…sont utiles et proportionnées ; que la loi du 22 avril
2005 ne fait pas de l’état de conscience un critère du maintien
artificiel de la vie, ainsi que l’ont souligné les trois experts,
l’Académie de médecine, le Comité consultatif national
d’éthique et les sociétés de soins spécialisées
; qu’en l’absence de directives anticipées, seule la volonté
du patient justifie l’engagement d’une procédure collégiale
; que les affirmations de Mme F…I…et de M. D…I…quant
aux prétendus souhaits de M. J… I… sont contradictoires et
incohérentes ; que, si aux termes de la loi du 22 avril 2005, seules
les directives anticipées écrites depuis moins de trois ans sont
prises en compte avec une valeur relative, des directives orales rapportées
ne sauraient l’être ; que lors de la procédure collégiale
le Dr H… a fait preuve de partialité et a refusé de prendre
en compte les oppositions à l’arrêt des soins émis
par une partie de la famille de M. J… I…; que la loi du 22 avril
2005 n’est pas claire et précise, d’une part, et n’est
pas compatible avec les articles 2 et 8 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
d’autre part ; que l’éthique est au cœur de l’appréciation
de l’obstination déraisonnable, ainsi que l’ont relevé
les trois experts ;
...
1.Considérant que Mme F…I…, M. L… I…et le centre
hospitalier universitaire de Reims ont relevé appel du jugement du 16
janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne,
statuant en référé sur le fondement de l’article
L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l’exécution
de la décision du 11 janvier 2014 du médecin, chef du pôle
Autonomie et santé du centre hospitalier universitaire de Reims, de mettre
fin à l’alimentation et à l’hydratation artificielles
de M. J… I…, hospitalisé dans ce service ;
2.Considérant que, par une décision du 14 février 2014,
le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, après avoir joint les
trois requêtes et admis l’intervention de l’Union nationale
des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés,
a, avant de se prononcer sur les requêtes, d’une part, ordonné
qu’il soit procédé, par un collège de trois médecins,
disposant de compétences reconnues en neurosciences, désignés
par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat
sur la proposition, respectivement, du président de l’Académie
nationale de médecine, du président du Comité consultatif
national d’éthique et du président du Conseil national de
l’Ordre des médecins, à une expertise en vue de déterminer
la situation médicale de M.I…, d’autre part, invité,
en application de l’article R. 625-3 du code de justice administrative,
l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif
national d’éthique et le Conseil national de l’Ordre des
médecins ainsi que M. B… P…à lui présenter
des observations écrites de caractère général de
nature à l’éclairer utilement sur l’application des
notions d’obstination déraisonnable et de maintien artificiel de
la vie au sens de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique,
en particulier à l’égard des personnes qui sont dans un
état pauci-relationnel ;
3.Considérant que le collège des experts, désigné
ainsi qu’il vient d’être dit, après avoir procédé
aux opérations d’expertise et adressé aux parties, le 5
mai 2014, un pré-rapport en vue de recueillir leurs observations, a déposé
devant le Conseil d’Etat le rapport d’expertise définitif
le 26 mai 2014 ; qu’en réponse à l’invitation faite
par la décision du Conseil d’Etat, statuant au contentieux, l’Académie
nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique,
le Conseil national de l’Ordre des médecins et M. B… P…ont,
pour leur part, déposé des observations de caractère général
en application de l’article R. 625-3 du code de justice administrative
;
Sur l’intervention :
4.Considérant que Mme O…I…justifie d’un intérêt
de nature à la rendre recevable à intervenir devant le Conseil
d’Etat ; que son intervention doit, par suite, être admise ;
Sur les dispositions applicables au litige :
5.Considérant qu’en vertu de l’article L. 1110-1 du code
de la santé publique, le droit fondamental à la protection de
la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles
au bénéfice de toute personne ; que l’article L. 1110-2
énonce que la personne malade a droit au respect de sa dignité
; que l’article L. 1110-9 garantit à toute personne dont l’état
le requiert le droit d’accéder à des soins palliatifs qui
sont, selon l’article L. 1110-10, des soins actifs et continus visant
à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à
sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son
entourage ;
6.Considérant qu’aux termes de l’article L. 1110-5 du même
code, tel que modifié par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits
des malades et à la fin de la vie : « Toute personne a, compte
tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions
que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés
et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité
est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire
au regard des connaissances médicales avérées. Les actes
de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état
des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés
par rapport au bénéfice escompté. / Ces actes ne doivent
pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils
apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre
effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus
ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la
dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant
les soins visés à l’article L. 1110-10. / (…) Toute
personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur.
Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée,
prise en compte et traitée. / Les professionnels de santé mettent
en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à
chacun une vie digne jusqu’à la mort (…) » ;
7.Considérant qu’aux termes de l’article L. 1111-4 du code
de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la
loi du 22 avril 2005 : « Toute personne prend, avec le professionnel de
santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il
lui fournit, les décisions concernant sa santé. / Le médecin
doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée
des conséquences de ses choix. (…) / Aucun acte médical
ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement
libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être
retiré à tout moment. / Lorsque la personne est hors d’état
d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne
peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité,
sans que la personne de confiance prévue à l’article L.
1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été
consulté. / Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer
sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible
de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir
respecté la procédure collégiale définie par le
code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance
prévue à l’article L. 1111-6 ou la famille ou, à
défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives
anticipées de la personne, aient été consultés.
La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement
est inscrite dans le dossier médical. (…) » ;
8.Considérant qu’aux termes de l’article L. 1111-6 du même
code, tel que modifié par la loi du 22 avril 2005 : « Toute personne
majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un
parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée
au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer
sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à
cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable
à tout moment (…) » ; que l’article L. 1111-11 du même
code prévoit que toute personne majeure peut rédiger des directives
anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état
d’exprimer sa volonté, lesquelles indiquent ses souhaits relatifs
à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt
de traitement et dont le médecin doit tenir compte pour toute décision
de traitement à condition qu’elles aient été établies
moins de trois ans avant l’état d’inconscience ;
9.Considérant que l’article R. 4127-37 du code de la santé
publique énonce, au titre des devoirs envers les patients, qui incombent
aux médecins en vertu du code de déontologie médicale :
« I.- En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer
de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à
son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de
toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique
et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent
inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou
effet que le maintien artificiel de la vie. / II.- Dans les cas prévus
au cinquième alinéa de l’article L. 1111-4 et au premier
alinéa de l’article L. 1111-13, la décision de limiter ou
d’arrêter les traitements dispensés ne peut être prise
sans qu’ait été préalablement mise en œuvre
une procédure collégiale. Le médecin peut engager la procédure
collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire au vu des
directives anticipées du patient présentées par l’un
des détenteurs de celles-ci mentionnés à l’article
R. 1111-19 ou à la demande de la personne de confiance, de la famille
ou, à défaut, de l’un des proches. Les détenteurs
des directives anticipées du patient, la personne de confiance, la famille
ou, le cas échéant, l’un des proches sont informés,
dès qu’elle a été prise, de la décision de
mettre en œuvre la procédure collégiale. / La décision
de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin
en charge du patient, après concertation avec l’équipe de
soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin,
appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien
de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et
le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant
est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime
utile. / La décision de limitation ou d’arrêt de traitement
prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés,
en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé,
l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée
ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de
ses proches. (…) / La décision de limitation ou d’arrêt
de traitement est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens
des concertations qui ont eu lieu au sein de l’équipe de soins
ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du
patient. La personne de confiance, si elle a été désignée,
la famille ou, à défaut, l’un des proches du patient sont
informés de la nature et des motifs de la décision de limitation
ou d’arrêt de traitement. / III.- Lorsqu’une limitation ou
un arrêt de traitement a été décidé en application
de l’article L. 1110-5 et des articles L. 1111-4 ou L. 1111-13, dans les
conditions prévues aux I et II du présent article, le médecin,
même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée
du fait de son état cérébral, met en œuvre les traitements,
notamment antalgiques et sédatifs, permettant d’accompagner la
personne selon les principes et dans les conditions énoncés à
l’article R. 4127-38. Il veille également à ce que l’entourage
du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien
nécessaire » ;
10.Considérant qu’en adoptant les dispositions de la loi du 22
avril 2005, insérées au code de la santé publique, le législateur
a déterminé le cadre dans lequel peut être prise, par un
médecin, une décision de limiter ou d’arrêter un traitement
dans le cas où sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable
; qu’il résulte des dispositions précédemment citées,
commentées et éclairées par les observations présentées,
en application de la décision du Conseil d’Etat, statuant au contentieux
du 14 février 2014, par l’Académie nationale de médecine,
le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil national
de l’Ordre des médecins et M. B…P…, que toute personne
doit recevoir les soins les plus appropriés à son état
de santé, sans que les actes de prévention, d’investigation
et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés
par rapport au bénéfice escompté ; que ces actes ne doivent
toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable
et qu’ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris
lorsqu’ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n’ayant
d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient
soit ou non en fin de vie ; que, lorsque ce dernier est hors d’état
d’exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d’arrêter
un traitement au motif que sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable
ne peut, s’agissant d’une mesure susceptible de mettre sa vie en
danger, être prise par le médecin que dans le respect des conditions
posées par la loi, qui résultent de l’ensemble des dispositions
précédemment citées et notamment de celles qui organisent
la procédure collégiale et prévoient des consultations
de la personne de confiance, de la famille ou d’un proche ; que si le
médecin décide de prendre une telle décision en fonction
de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder
en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser
des soins palliatifs ;
Sur la compatibilité des dispositions
des articles L. 1110-5, L. 1111-4 et R. 4127-37 du code de la santé publique
avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales :
11.Considérant qu’il est soutenu que les dispositions des articles
L. 1110-5, L. 1111-4 et R. 4127-37 du code de la santé publique méconnaissent
le droit à la vie tel que protégé par l’article 2
de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, l’article 8 de la même convention
ainsi que le droit à un procès équitable et l’exigence
de prévisibilité de la loi résultant des articles 6 et
7 de la même convention ;
12.Considérant qu’eu égard à l’office particulier
qui est celui du juge des référés lorsqu’il est saisi,
sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative,
d’une décision prise par un médecin en application du code
de la santé publique et conduisant à interrompre ou à ne
pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination
déraisonnable et que l’exécution de cette décision
porterait de manière irréversible une atteinte à la vie,
il lui appartient, dans ce cadre, d’examiner un moyen tiré de l’incompatibilité
des dispositions législatives dont il a été fait application
avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales ;
13.Considérant, d’une part, que les dispositions contestées
du code de la santé publique ont défini un cadre juridique réaffirmant
le droit de toute personne de recevoir les soins les plus appropriés,
le droit de voir respectée sa volonté de refuser tout traitement
et le droit de ne pas subir un traitement médical qui traduirait une
obstination déraisonnable ; que ces dispositions ne permettent à
un médecin de prendre, à l’égard d’une personne
hors d’état d’exprimer sa volonté, une décision
de limitation ou d’arrêt de traitement susceptible de mettre sa
vie en danger que sous la double et stricte condition que la poursuite de ce
traitement traduise une obstination déraisonnable et que soient respectées
les garanties tenant à la prise en compte des souhaits éventuellement
exprimés par le patient, à la consultation d’au moins un
autre médecin et de l’équipe soignante et à la consultation
de la personne de confiance, de la famille ou d’un proche ; qu’une
telle décision du médecin est susceptible de faire l’objet
d’un recours devant une juridiction pour s’assurer que les conditions
fixées par la loi ont été remplies ;
14.Considérant ainsi que, prises dans leur ensemble, eu égard
à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles doivent être
mises en œuvre, les dispositions contestées du code de la santé
publique ne peuvent être regardées comme incompatibles avec les
stipulations de l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes
desquelles « le droit de toute personne à la vie est protégé
par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement
(…) » ainsi qu’avec celles de son article 8 garantissant le
droit au respect de la vie privée et familiale ;
15.Considérant, d’autre part, que le rôle confié au
médecin par les dispositions en cause n’est, en tout état
de cause, pas incompatible avec l’obligation d’impartialité
qui résulte de l’article 6 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
; que les stipulations de l’article 7 de la même convention, qui
s’appliquent aux condamnations pénales, ne peuvent être utilement
invoquées dans le présent litige ;
Sur l’application des dispositions du code
de la santé publique :
16.Considérant que si l’alimentation et l’hydratation artificielles
sont au nombre des traitements susceptibles d’être arrêtés
lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable, la seule
circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible
d’inconscience ou, à plus forte raison, de perte d’autonomie
la rendant tributaire d’un tel mode d’alimentation et d’hydratation
ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle
la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du
refus de l’obstination déraisonnable ;
17.Considérant que, pour apprécier si les conditions d’un
arrêt d’alimentation et d’hydratation artificielles sont réunies
s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales
graves, quelle qu’en soit l’origine, qui se trouve dans un état
végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant
hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien
en vie dépend de ce mode d’alimentation et d’hydratation,
le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments,
médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être
prédéterminé et dépend des circonstances particulières
à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation
dans sa singularité ; qu’outre les éléments médicaux,
qui doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés
collégialement et porter notamment sur l’état actuel du
patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance
de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic
clinique, le médecin doit accorder une importance toute particulière
à la volonté que le patient peut avoir, le cas échéant,
antérieurement exprimée, quels qu’en soient la forme et
le sens ; qu’à cet égard, dans l’hypothèse
où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être
présumée comme consistant en un refus du patient d’être
maintenu en vie dans les conditions présentes ; que le médecin
doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance,
dans le cas où elle a été désignée par le
patient, des membres de sa famille ou, à défaut, de l’un
de ses proches, en s’efforçant de dégager une position consensuelle
; qu’il doit, dans l’examen de la situation propre de son patient,
être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance
à son égard ;
Sur la conformité aux dispositions du
code de la santé publique de la décision de mettre fin à
l’alimentation et à l’hydratation artificielles de M. J…
I… :
18.Considérant qu’il résulte de l’instruction, ainsi
qu’il a été dit dans les motifs de la décision du
14 février 2014 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux, que
M. J… I…, né en 1976, infirmier en psychiatrie, a été
victime, le 29 septembre 2008, d’un accident de la circulation qui lui
a causé un grave traumatisme crânien ; qu’après cet
accident, il a été hospitalisé pendant trois mois dans
le service de réanimation du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne
; qu’il a été ensuite transféré dans le service
de neurologie de ce centre, avant d’être accueilli pendant trois
mois, du 17 mars au 23 juin 2009, au centre de rééducation de
Berck-sur-Mer dans le département des blessés crâniens ;
qu’après ce séjour, il a été hospitalisé
au centre hospitalier universitaire de Reims, où, en raison de son état
de tétraplégie et de complète dépendance, il est
pris en charge pour tous les actes de la vie quotidienne et est alimenté
et hydraté de façon artificielle par voie entérale ;
19.Considérant que M. I… a été admis en juillet 2011
au Coma Science Group du centre hospitalier universitaire de Liège pour
un bilan diagnostique et thérapeutique ; qu’après avoir
pratiqué des examens approfondis, ce centre a conclu que M. I…
était dans un « état de conscience minimale plus »,
avec une perception de la douleur et des émotions préservées,
notant que l’essai de contrôle volontaire de la respiration mettait
en évidence une réponse à la commande et recommandant d’envisager
la mise en place d’un code de communication avec le patient ; qu’après
le retour de M. I… au centre hospitalier universitaire de Reims, quatre-vingt-sept
séances d’orthophonie ont été pratiquées pendant
cinq mois, du 6 avril au 3 septembre 2012, pour tenter d’établir
un code de communication ; que ces séances ne sont pas parvenues à
mettre en place un code de communication du fait de la non-reproductibilité
des réponses ;
20.Considérant que, au cours de l’année 2012, des membres
du personnel soignant ont constaté des manifestations comportementales
chez M. I… dont ils ont pensé qu’elles pouvaient être
interprétées comme une opposition aux soins de toilette traduisant
un refus de vie ; qu’à la suite de ces constats et se fondant sur
l’analyse qu’il faisait de l’absence d’évolution
neurologique favorable du patient, le Dr. H…, chef du pôle Autonomie
et santé du centre hospitalier universitaire de Reims et responsable
du service de médecine palliative et soins de support – soins de
suite et de réadaptation spécialisé « Gériatrique
» prenant en charge le patient, a engagé la procédure collégiale
prévue par l’article R. 4127-37 du code de la santé publique
afin d’apprécier si la poursuite de l’alimentation et de
l’hydratation artificielles de M. I… était constitutive d’une
obstination déraisonnable au sens de l’article L. 1110-5 du même
code ; que, le 10 avril 2013, ce médecin a décidé d’arrêter
l’alimentation artificielle et de diminuer l’hydratation de M. I…
; que, saisi par les parents de M. I…, l’un de ses demi-frères
et l’une de ses sœurs, le juge des référés du
tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, par une ordonnance du
11 mai 2013, a enjoint de rétablir l’alimentation et l’hydratation
artificielles au motif que la procédure prévue par l’article
R. 4127-37 du code de la santé publique avait été méconnue,
dès lors que seule l’épouse de M. I…, lequel n’avait
pas rédigé de directives anticipées ni désigné
de personne de confiance, avait été informée de la mise
en œuvre de la procédure, associée à son déroulement
et informée de la décision d’arrêt de traitement prise
par le médecin ;
21.Considérant que le Dr. H…a engagé une nouvelle procédure
en septembre 2013 ; qu’il a consulté l’épouse de M.
I…, ses parents et ses huit frères et sœurs lors de deux réunions
tenues les 27 septembre et 16 novembre 2013 ; que, le 9 décembre 2013,
il a tenu une réunion à laquelle ont participé deux autres
médecins du centre hospitalier universitaire de Reims qui s’occupent
de M. I…et presque toute l’équipe soignante en charge du
patient ; qu’ont été associés à cette réunion
quatre médecins consultants extérieurs au service, dont l’un
a été désigné par les parents de M.I… ; que
les médecins du centre hospitalier universitaire de Reims, l’équipe
soignante, trois sur quatre des médecins consultants, l’épouse
de M. I…et plusieurs des frères et sœurs de ce dernier se
sont déclarés favorables à l’arrêt de traitement
envisagé ; qu’au terme de cette procédure, le Dr. H…a
décidé, le 11 janvier 2014, de mettre fin à l’alimentation
et l’hydratation artificielles du patient à compter du lundi 13
janvier 2014 à 19 heures, l’exécution de cette décision
devant toutefois être différée en cas de saisine du tribunal
administratif ;
22.Considérant que, pour estimer que la poursuite de l’alimentation
et de l’hydratation artificiellement administrées à M. I…,
n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie
du patient, traduisait une obstination déraisonnable au sens de l’article
L. 1110-5 du code de la santé publique, le Dr. H…s’est fondé,
d’une part, sur l’état de santé de M. I…, qu’il
a caractérisé par la nature irréversible des lésions
cérébrales dont il est atteint, l’absence de progrès
depuis l’accident et la consolidation du pronostic fonctionnel, d’autre
part, sur la certitude que « J… I…ne voulait pas avant son
accident vivre dans de telles conditions » ; qu’il a également
fait état de ce que la procédure collégiale avait été
engagée à partir des constatations faites au cours de l’année
2012 par des membres du personnel soignant sur les manifestations comportementales
de M. I… ;
23.Considérant qu’il revient au Conseil d’Etat de s’assurer,
au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire et de l’ensemble
des éléments versés dans le cadre de l’instruction
contradictoire menée devant lui, en particulier du rapport de l’expertise
médicale qu’il a ordonnée, que la décision prise
le 11 janvier 2014 par le Dr. H… a respecté les conditions mises
par la loi pour que puisse être prise une décision mettant fin
à un traitement dont la poursuite traduit une obstination déraisonnable
;
24.Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction
que la procédure collégiale menée par le Dr. H…,
chef du service prenant en charge M. I…, préalablement à
l’intervention de la décision du 11 janvier 2014, s’est déroulée
conformément aux prescriptions de l’article R. 4127-37 du code
de la santé publique et a comporté, alors que les dispositions
de cet article exigent que soit pris l’avis d’un médecin
et, le cas échéant, d’un second, la consultation de six
médecins ; que le Dr. H…n’était pas légalement
tenu de faire participer à la réunion du 9 décembre 2013
un second médecin désigné par les parents de M. I…,
lesquels en avaient déjà désigné un premier ; qu’il
ne résulte pas de l’instruction que certains membres du personnel
soignant auraient été délibérément écartés
de cette réunion ; que le Dr. H…était en droit de s’entretenir
avec M. L… I…, neveu du patient ; que les circonstances que le Dr.
H…se soit opposé à une demande de récusation et au
transfert de M. I… dans un autre établissement et qu’il se
soit publiquement exprimé ne traduisent pas, eu égard à
l’ensemble des circonstances de l’espèce, de manquement aux
obligations qu’implique le principe d’impartialité, auxquelles
il a satisfait ; qu’ainsi, contrairement à ce qui était
soutenu devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, la procédure
préalable à l’adoption de la décision du 11 janvier
2014 n’a été entachée d’aucune irrégularité
;
25.Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort, d’une
part, des conclusions des experts que « l’état clinique actuel
de M. I… correspond à un état végétatif »,
avec « des troubles de la déglutition, une atteinte motrice sévère
des quatre membres, quelques signes de dysfonctionnement du tronc cérébral
» et « une autonomie respiratoire préservée »
; que les résultats des explorations cérébrales structurales
et fonctionnelles effectuées du 7 au 11 avril 2014 au centre hospitalier
universitaire de la Pitié-Salpêtrière de l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris sont compatibles avec un tel état végétatif
et que l’évolution clinique, marquée par la disparition
des fluctuations de l’état de conscience de M. I… qui avaient
été constatées lors du bilan effectué en juillet
2011 au Coma Science Group du centre hospitalier universitaire de Liège,
ainsi que par l’échec des tentatives thérapeutiques actives
préconisées lors de ce bilan, suggère « une dégradation
de l’état de conscience depuis cette date » ;
26.Considérant qu’il ressort, d’autre part, des conclusions
du rapport des experts que les explorations cérébrales auxquelles
il a été procédé ont mis en évidence des
lésions cérébrales graves et étendues, se traduisant
notamment par une « atteinte sévère de la structure et du
métabolisme de régions sous-corticales cruciales pour le fonctionnement
cognitif » et par une « désorganisation structurelle majeure
des voies de communication entre les régions cérébrales
impliquées dans la conscience » ; que la sévérité
de l’atrophie cérébrale et des lésions observées
conduisent, avec le délai de cinq ans et demi écoulé depuis
l’accident initial, à estimer les lésions cérébrales
irréversibles ;
27.Considérant, en outre, que les experts ont conclu que « la longue
durée d’évolution, la dégradation clinique depuis
2011, l’état végétatif actuel, la nature destructrice
et l’étendue des lésions cérébrales, les résultats
des tests fonctionnels ainsi que la sévérité de l’atteinte
motrice des quatre membres » constituaient des éléments
indicateurs d’un « mauvais pronostic clinique » ;
28.Considérant, enfin, que si les experts
ont relevé que M. I… peut réagir aux soins qui lui sont
prodigués et à certaines stimulations, ils ont indiqué
que les caractéristiques de ces réactions suggèrent qu’il
s’agit de réponses non conscientes et n’ont pas estimé
possible d’interpréter ces réactions comportementales comme
témoignant d’un « vécu conscient de souffrance »
ou manifestant une intention ou un souhait concernant l’arrêt ou
la poursuite du traitement qui le maintient en vie ;
29.Considérant que ces conclusions, auxquelles les experts ont abouti
de façon unanime, au terme d’une analyse qu’ils ont menée
de manière collégiale et qui a comporté l’examen
du patient à neuf reprises, des investigations cérébrales
approfondies, des rencontres avec l’équipe médicale et le
personnel soignant en charge de ce dernier ainsi que l’étude de
l’ensemble de son dossier, confirment celles qu’a faites le Dr.
H… quant au caractère irréversible des lésions et
au pronostic clinique de M. I… ; que les échanges qui ont eu lieu
dans le cadre de l’instruction contradictoire devant le Conseil d’Etat
postérieurement au dépôt du rapport d’expertise ne
sont pas de nature à infirmer les conclusions des experts ; que, s’il
ressort du rapport d’expertise, ainsi qu’il vient d’être
dit, que les réactions de M. I… aux soins ne peuvent pas être
interprétées, et ne peuvent ainsi être regardées
comme manifestant un souhait concernant l’arrêt du traitement, le
Dr. H…avait indiqué dans la décision contestée que
ces comportements donnaient lieu à des interprétations variées
qui devaient toutes être considérées avec une grande réserve
et n’en a pas fait l’un des motifs de sa décision ;
30.Considérant, en troisième lieu, qu’il
résulte des dispositions du code de la santé publique qu’il
peut être tenu compte des souhaits d’un patient exprimés
sous une autre forme que celle des directives anticipées ; qu’il
résulte de l’instruction, en particulier du témoignage de
Mme F…I…, qu’elle-même et son mari, tous deux infirmiers,
avaient souvent évoqué, leurs expériences professionnelles
respectives auprès de patients en réanimation ou de personnes
polyhandicapées et qu’à ces occasions, M. I…avait
clairement et à plusieurs reprises exprimé le souhait de ne pas
être maintenu artificiellement en vie dans l’hypothèse où
il se trouverait dans un état de grande dépendance ; que la teneur
de ces propos, datés et rapportés de façon précise
par Mme F…I…, a été confirmée par l’un
des frères de M. I… ; que si ces propos n’ont pas été
tenus en présence des parents de M. I…, ces derniers n’allèguent
pas que leur fils n’aurait pu les tenir ou aurait fait part de souhaits
contraires ; que plusieurs des frères et sœurs de M. I…ont
indiqué que ces propos correspondaient à la personnalité,
à l’histoire et aux opinions personnelles de leur frère
; qu’ainsi, le Dr. H…, en indiquant, dans les motifs de la décision
contestée, sa certitude que M. I… ne voulait pas avant son accident
vivre dans de telles conditions, ne peut être regardé comme ayant
procédé à une interprétation inexacte des souhaits
manifestés par le patient avant son accident ;
31.Considérant, en quatrième lieu, que le médecin en charge
est tenu, en vertu des dispositions du code de la santé publique, de
recueillir l’avis de la famille du patient avant toute décision
d’arrêt de traitement ; que le Dr. H…a satisfait à
cette obligation en consultant l’épouse de M. I…, ses parents
et ses frères et sœurs lors des deux réunions mentionnées
précédemment ; que si les parents de M. I… ainsi que certains
de ses frères et sœurs ont exprimé un avis opposé
à l’interruption du traitement, l’épouse de M. I…et
ses autres frères et sœurs se sont déclarés favorables
à l’arrêt de traitement envisagé ; que le Dr. H…
a pris en considération ces différents avis ; que, dans les circonstances
de l’affaire, il a pu estimer que le fait que les membres de la famille
n’aient pas eu une opinion unanime quant au sens de la décision
n’était pas de nature à faire obstacle à sa décision
;
32.Considérant qu’il résulte de l’ensemble des considérations
qui précèdent que les différentes conditions mises par
la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du
patient, une décision mettant fin à un traitement n’ayant
d’autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite
traduirait ainsi une obstination déraisonnable peuvent être regardées,
dans le cas de M. J…I…et au vu de l’instruction contradictoire
menée par le Conseil d’Etat, comme réunies ; que la décision
du 11 janvier 2014 du Dr. H… de mettre fin à l’alimentation
et à l’hydratation artificielles de M. J… I…ne peut,
en conséquence, être tenue pour illégale ;
33.Considérant que si, en l’état des informations médicales
dont il disposait lorsqu’il a statué à très bref
délai sur la demande dont il avait été saisi, le tribunal
administratif de Châlons-en-Champagne était fondé à
suspendre à titre provisoire l’exécution de la décision
du 11 janvier 2014 du Dr. H… en raison du caractère irréversible
qu’aurait eu l’exécution de cette décision, les conclusions
présentées au juge administratif des référés
sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative,
tendant à ce qu’il soit enjoint de ne pas exécuter cette
décision du 11 janvier 2014, ne peuvent désormais, au terme de
la procédure conduite devant le Conseil d’Etat, plus être
accueillies ; qu’ainsi Mme F…I…, M. L… I…et le
centre hospitalier universitaire de Reims sont fondés à demander
la réformation du jugement du 16 janvier 2014 du tribunal administratif
de Châlons-en-Champagne et à ce que soient rejetées par
le Conseil d’Etat les conclusions présentées sur le fondement
de l’article L. 521-2 du code de justice administrative par M. E…I…,
Mme K…I…, M. C… N…et Mme A…G… ;
Sur les frais d’expertise :
34.Considérant que, dans les circonstances particulières de l’espèce,
il y a lieu de mettre les frais de l’expertise ordonnée par le
Conseil d’Etat à la charge du centre hospitalier universitaire
de Reims ;
D E C I D E :
Article 1er : L’intervention de Mme O…I…est admise.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. E…I…,
Mme K…I…, M. C… N…et Mme A…G…sur le fondement
de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, devant le tribunal
administratif de Châlons-en-Champagne et devant le Conseil d’Etat,
sont rejetées.
Article 3 : Le jugement du 16 janvier 2014 du
tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé
en ce qu’il a de contraire à la présente
décision.
Article 4 : Les frais d’expertise sont mis à la charge du centre
hospitalier universitaire de Reims.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à
Mme F…I…, à M. L… I…, au centre hospitalier universitaire
de Reims, à M. E… et à Mme K…I…, à M.
C… N…, à Mme A… I…épouse G…, à
l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens
et de cérébro-lésés, à Mme O…I…,
au président de l’Académie nationale de médecine,
au président du Comité consultatif national d’éthique,
au président du Conseil national de l’Ordre des médecins,
à M. B… P…et à la ministre des affaires sociales et
de la santé.
Conseil d'État
N° 375081
ECLI:FR:CEASS:2014:375081.20140624
Publié au recueil Lebon
Assemblée lecture
du vendredi 14 février 2014
Vu 1°, sous le n° 375081, la requête, enregistrée le 31 janvier 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme E... G..., demeurant... ; Mme G... demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement n° 1400029 du 16 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de la décision du 11 janvier 2014 par laquelle il a été mis fin à l'alimentation et à l'hydratation artificielles de M. H... G... ;
...
Sur les dispositions applicables au litige :
6. Considérant qu'en vertu de l'article L. 1110-1 du code de la santé publique, le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ; que l'article L. 1110-2 énonce que la personne malade a droit au respect de sa dignité ; que l'article L. 1110-9 garantit à toute personne dont l'état le requiert le droit d'accéder à des soins palliatifs qui sont, selon l'article L. 1110-10, des soins actifs et continus visant à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1110-5 du même code, tel que modifié par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de la vie : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. / Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. / (...) Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. / Les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort (...) " ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 avril 2005 : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. (...) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. (...) " ;
9. Considérant que l'article R. 4127-37 du code de la santé publique énonce, au titre des devoirs envers les patients, qui incombent aux médecins en vertu du code de déontologie médicale : " I.- En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l'assister moralement. Il doit s'abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n'ont d'autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie. / II.- Dans les cas prévus au cinquième alinéa de l'article L. 1111-4 et au premier alinéa de l'article L. 1111-13, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés ne peut être prise sans qu'ait été préalablement mise en oeuvre une procédure collégiale. Le médecin peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire au vu des directives anticipées du patient présentées par l'un des détenteurs de celles-ci mentionnés à l'article R. 1111-19 ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou, à défaut, de l'un des proches. Les détenteurs des directives anticipées du patient, la personne de confiance, la famille ou, le cas échéant, l'un des proches sont informés, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en oeuvre la procédure collégiale. / La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l'équipe de soins si elle existe et sur l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. / La décision de limitation ou d'arrêt de traitement prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s'il en a rédigé, l'avis de la personne de confiance qu'il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d'un de ses proches. (...) / La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l'équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. La personne de confiance, si elle a été désignée, la famille ou, à défaut, l'un des proches du patient sont informés de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. / III.-Lorsqu'une limitation ou un arrêt de traitement a été décidé en application de l'article L. 1110-5 et des articles L. 1111-4 ou L. 1111-13, dans les conditions prévues aux I et II du présent article, le médecin, même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, met en oeuvre les traitements, notamment antalgiques et sédatifs, permettant d'accompagner la personne selon les principes et dans les conditions énoncés à l'article R. 4127-38. Il veille également à ce que l'entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire " ;
10. Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique sont énoncées dans ce code au titre des droits garantis par le législateur à toutes les personnes malades ; que celles de l'article L. 1111-4 sont au nombre des principes généraux, affirmés par le code de la santé publique, qui sont relatifs à la prise en considération de l'expression de la volonté de tous les usagers du système de santé ; que l'article R. 4127-37 détermine des règles de déontologie médicale qui imposent des devoirs à tous les médecins envers l'ensemble de leurs patients ; qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions et des travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 22 avril 2005 qu'elles sont de portée générale et sont applicables à l'égard de M. G... comme à l'égard de tous les usagers du système de santé ;
11. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d'investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ; que ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et qu'ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu'ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que la personne malade soit ou non en fin de vie ; que, lorsque celle-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter un traitement au motif que sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable ne peut, s'agissant d'une mesure susceptible de mettre en danger la vie du patient, être prise par le médecin que dans le respect de la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et des règles de consultation fixées par le code de la santé publique ; qu'il appartient au médecin, s'il prend une telle décision, de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs ;
12. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions des articles L. 1110-5 et L. 1111-4 du code de la santé publique, éclairées par les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 22 avril 2005, que le législateur a entendu inclure au nombre des traitements susceptibles d'être limités ou arrêtés, au motif d'une obstination déraisonnable, l'ensemble des actes qui tendent à assurer de façon artificielle le maintien des fonctions vitales du patient ; que l'alimentation et l'hydratation artificielles relèvent de ces actes et sont, par suite, susceptibles d'être arrêtées lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable ;
Sur les appels :
13. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. H... G..., né en 1976, infirmier en psychiatrie, a été victime, le 29 septembre 2008, d'un accident de la circulation qui lui a causé un grave traumatisme crânien ; qu'après cet accident, il a été hospitalisé pendant trois mois dans le service de réanimation du centre hospitalier universitaire de Reims ; qu'il a été ensuite transféré dans l'unité spécialisée pour patients en état pauci-relationnel de ce centre hospitalier, avant d'être accueilli pendant trois mois, du 17 mars au 23 juin 2009, au centre de rééducation de Berck-sur-Mer dans le département des blessés crâniens ; qu'après ce séjour, il a été à nouveau hospitalisé à Reims, où, en raison de son état de tétraplégie et de complète dépendance, il est pris en charge pour tous les actes de la vie quotidienne et est alimenté et hydraté de façon artificielle par voie entérale ;
14. Considérant que M. G... a été admis en juillet 2011 au Coma Science Group du centre hospitalier universitaire de Liège pour un bilan diagnostique et thérapeutique ; qu'après avoir pratiqué des examens approfondis, ce centre a conclu que M. G... était dans un " état de conscience minimale plus ", avec une perception de la douleur et des émotions préservées, notant que l'essai de contrôle volontaire de la respiration mettait en évidence une réponse à la commande et recommandant d'envisager la mise en place d'un code de communication avec le patient ; qu'après le retour de M. G... au centre hospitalier universitaire de Reims, quatre-vingt-sept séances d'orthophonie ont été pratiquées pendant cinq mois, du 6 avril 2012 au 3 septembre 2012 pour tenter d'établir un code de communication ; que ces séances ne sont pas parvenues à mettre en place un code de communication du fait de la non-reproductibilité des réponses ;
15. Considérant que, au cours de l'année 2012, des membres du
personnel soignant ont constaté des manifestations comportementales
chez M. G... dont ils ont pensé qu'elles pouvaient être interprétées
comme traduisant une opposition aux soins de toilette pratiqués
; qu'à la suite de ces constats et se fondant sur l'analyse qu'il faisait
de l'absence d'évolution neurologique favorable du patient, le Dr Kariger,
chef du pôle Autonomie et santé du centre hospitalier universitaire
et, à ce titre, responsable du service prenant en charge le patient,
a engagé la procédure collégiale prévue
par l'article R. 4127-37 du code de la santé publique afin d'apprécier
si la poursuite de l'alimentation et de l'hydratation artificielles de M. G...
était le résultat d'une obstination déraisonnable au sens
de l'article L. 1110-5 du même code ; que, le 10 avril 2013, ce
médecin a décidé d'arrêter l'alimentation artificielle
et de diminuer l'hydratation de M. G... ;
que, saisi par les parents de M. G..., l'un de ses demi-frères
et l'une de ses soeurs, le juge des référés
du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, par une ordonnance
du 11 mai 2013, a enjoint de rétablir l'alimentation et l'hydratation
artificielles au motif que la procédure prévue par l'article
R. 4127-37 du code de la santé publique avait été méconnue,
dès lors que seule l'épouse de M. G..., lequel n'avait pas rédigé
de directives anticipées ni désigné de personne de confiance,
avait été informée de la mise en oeuvre de la procédure,
associée à son déroulement et informée de la décision
d'arrêt de traitement prise par le médecin ;
16. Considérant qu'après avoir engagé, en septembre 2013, une nouvelle procédure collégiale en y associant, outre l'épouse de M. G..., ses parents et ses frères et soeurs, le Dr Kariger a, au terme de cette procédure collégiale, décidé, le 11 janvier 2014, de mettre fin à l'alimentation et l'hydratation artificielles du patient à compter du lundi 13 janvier 2014 à 19 heures, l'exécution de cette décision devant toutefois être différée en cas de saisine du tribunal administratif ; que, saisi à nouveau, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, statuant en référé en formation collégiale par jugement du 16 janvier 2014, a suspendu l'exécution de la décision du 11 janvier 2014 ; que l'épouse de M. G..., un de ses neveux et le centre hospitalier universitaire de Reims relèvent appel de ce jugement ;
17. Considérant qu'à l'appui de ces appels, il est, en particulier, soutenu que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, la poursuite de l'alimentation et de l'hydratation artificiellement administrées à M. G..., n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie du patient, traduit une obstination déraisonnable au sens de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, ce qui est contesté en défense ;
18. Considérant qu'il revient au Conseil d'Etat, saisi de cette contestation, de s'assurer, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, qu'ont été respectées les conditions mises par la loi pour que puisse être prise une décision mettant fin à un traitement dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable ;
19. Considérant qu'il est nécessaire, pour que le Conseil d'Etat puisse procéder à cette appréciation, qu'il dispose des informations les plus complètes, notamment sur l'état de la personne concernée ; qu'en l'état des éléments versés dans le cadre de l'instruction, le bilan qui a été effectué par le Coma Science Group du centre hospitalier universitaire de Liège et qui a conclu, ainsi qu'il a été dit, à un " état de conscience minimale plus ", remonte à juillet 2011, soit à plus de deux ans et demi ; que les trois médecins dont l'avis, au titre de consultants extérieurs au centre hospitalier universitaire de Reims, a été sollicité dans le cadre de la procédure collégiale engagée, se sont principalement prononcés sur les aspects éthiques et déontologiques d'un arrêt de traitement et non sur l'état médical du patient qu'ils n'ont pas examiné ; qu'ainsi que cela a été indiqué lors de l'audience de référé, le dossier médical de M. G... n'a pas été versé dans son intégralité au cours de l'instruction de la demande de référé ; que des indications divergentes ont été données dans le cadre de l'instruction et au cours de l'audience de référé quant à l'état clinique de M. G... ;
20. Considérant, dans ces conditions, qu'il est, en l'état de l'instruction, nécessaire, avant que le Conseil d'Etat ne statue sur les appels dont il est saisi, que soit ordonnée une expertise médicale, confiée à des praticiens disposant de compétences reconnues en neurosciences, aux fins de se prononcer, de façon indépendante et collégiale, après avoir examiné le patient, rencontré l'équipe médicale et le personnel soignant en charge de ce dernier et pris connaissance de l'ensemble de son dossier médical, sur l'état actuel de M. G... et de donner au Conseil d'Etat toutes indications utiles, en l'état de la science, sur les perspectives d'évolution qu'il pourrait connaître ;
21. Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de prescrire
une expertise confiée à un collège de trois médecins
qui seront désignés par le président de la section du contentieux
du Conseil d'Etat sur la proposition, respectivement, du président de
l'Académie nationale de médecine, du président du Comité
consultatif national d'éthique et du président du Conseil national
de l'Ordre des médecins, avec pour mission, dans un délai de deux
mois à compter de la constitution du collège :
- de décrire l'état clinique actuel de M. G... et son évolution
depuis le bilan effectué en juillet 2011 par le Coma Science Group du
centre hospitalier universitaire de Liège ;
- de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions
cérébrales de M. G... et sur le pronostic clinique ;
- de déterminer si ce patient est en mesure de communiquer, de quelque
manière que ce soit, avec son entourage ;
- d'apprécier s'il existe des signes permettant de penser aujourd'hui
que M. G... réagit aux soins qui lui sont prodigués et, dans l'affirmative,
si ces réactions peuvent être interprétées comme
un rejet de ces soins, une souffrance, le souhait que soit mis fin au traitement
qui le maintient en vie ou comme témoignant, au contraire, du souhait
que ce traitement soit prolongé ;
22. Considérant, en outre, qu'en raison de l'ampleur et de la difficulté des questions d'ordre scientifique, éthique et déontologique qui se posent à l'occasion de l'examen du présent litige, il y a lieu, pour les besoins de l'instruction des requêtes, d'inviter, en application de l'article R. 625-3 du code de justice administrative, l'Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d'éthique et le Conseil national de l'Ordre des médecins ainsi que M. B... K...à présenter au Conseil d'Etat, avant la fin du mois d'avril 2014, des observations écrites d'ordre général de nature à l'éclairer utilement sur l'application des notions d'obstination déraisonnable et de maintien artificiel de la vie au sens de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, en particulier à l'égard des personnes qui sont, comme M. G..., dans un état pauci-relationnel ;
Sur les conclusions d'appel incident :
23. Considérant qu'il ne résulte d'aucun élément versé dans le cadre de l'instruction que les soins qui doivent être dispensés à M. G... ne seraient pas accomplis conformément aux exigences requises au sein du service où il est hospitalisé depuis plusieurs années ou que son maintien dans ce service mettrait désormais en cause sa sécurité ; qu'il n'y a, dès lors, pas lieu, en l'état de l'instruction, d'ordonner à titre de mesure de sauvegarde le transfert de M. G... dans un autre établissement ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention de l'Union nationale des associations de familles
de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés
(UNAFTC) est admise.
Article 2 : Avant de statuer sur les requêtes, il sera procédé
à une expertise confiée à un collège de trois médecins,
disposant de compétences reconnues en neurosciences, désignés
par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat sur la
proposition, respectivement, du président de l'Académie nationale
de médecine, du président du Comité consultatif national
d'éthique et du président du Conseil national de l'Ordre des médecins,
aux fins :
- de décrire l'état clinique actuel de M. G... et son évolution
depuis le bilan effectué en juillet 2011 par le Coma Science Group du
centre hospitalier universitaire de Liège ;
- de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions
cérébrales de M. G... et sur le pronostic clinique ;
- de déterminer si ce patient est en mesure de communiquer, de quelque
manière que ce soit, avec son entourage ;
- d'apprécier s'il existe des signes permettant de penser aujourd'hui
que M. G... réagit aux soins qui lui sont prodigués et, dans l'affirmative,
si ces réactions peuvent être interprétées comme
un rejet de ces soins, une souffrance, le souhait que soit mis fin au traitement
qui le maintient en vie ou comme témoignant, au contraire, du souhait
que ce traitement soit prolongé.
Article 3 : Les experts devront procéder à l'examen de M. H...
G..., rencontrer l'équipe médicale et le personnel soignant en
charge de ce dernier et prendre connaissance de l'ensemble de son dossier médical.
Ils pourront consulter tous documents, procéder à tous examens
ou vérifications utiles et entendre toute personne compétente.
Ils accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles
R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative et rendront leur
rapport dans un délai de deux mois à compter de leur désignation.
Article 4 : L'Académie nationale de médecine, le Comité
consultatif national d'éthique et le Conseil national de l'Ordre des
médecins ainsi que M. B... K...sont invités, en application de
l'article R. 625-3 du code de justice administrative, à présenter
au Conseil d'Etat, conformément aux motifs de la présente décision
et avant la fin du mois d'avril 2014, des observations écrites de caractère
général de nature à l'éclairer utilement sur l'application
des notions d'obstination déraisonnable et de maintien artificiel de
la vie au sens de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, en
particulier à l'égard des personnes qui sont, comme M. G..., dans
un état pauci-relationnel.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à
Mme E...G..., à M. J... G..., au centre hospitalier universitaire de
Reims, à M. D... et à Mme I...G..., à M. C... L..., à
Mme A... G...épouseF..., à l'Union nationale des associations
de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés,
au président de l'Académie nationale de médecine, au président
du Comité consultatif national d'éthique, au président
du Conseil national de l'Ordre des médecins, à M. B... K...et
à la ministre des affaires sociales et de la santé.