Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 19 février 1997
N° de pourvoi: 96-82377
Publié au bulletin
Rejet
REJET du pourvoi formé par :
- X... Alain,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, du
6 mars 1996, qui, dans la poursuite pour homicide involontaire
suivie notamment contre lui, l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement
avec sursis et à 20 000 francs d'amende, a reçu les parties civiles
en leur constitution au soutien de l'action publique et prononcé sur
les demandes présentées au titre de l'article 475-1 du Code de
procédure pénale.
Sur le moyen de cassation pris de la violation des articles 319 ancien du Code
pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut
et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain
X... coupable d'homicide involontaire à raison de sa décision
d'extuber et d'arrêter la réanimation de Carole Y... prise le 2
juillet à 19 heures ;
" aux motifs que le docteur Alain X... ne conteste pas ce fait, en désaccord
avec toute logique et toute éthique médicale et contraire aux
règles consacrées par la pratique, ce qui caractérise au
moins une imprudence pénalement répréhensible constitutive
d'ailleurs d'une erreur de diagnostic selon les expertises ci-dessus rappelées,
dans la mesure où il n'a pas cru devoir attendre de vérifier le
diagnostic avancé de lésions bulbaires ; qu'il ressort clairement
du rapport du premier collège d'experts que la décision d'extubation
et d'arrêt de la réanimation prise par le docteur Alain X... le
2 juillet 1989 à 19 heures est une des causes du décès
de Carole Y... ;
qu'ils ajoutent, cependant, qu'à ce moment, la blessée n'avait
plus de chance de guérison, ce qui est confirmé par le deuxième
collège d'experts, qui pense que l'évolution fatale était
alors irréversible en raison de la persistance d'une hémorragie
infra-abdominale et des quantités massives de sang transfusé ;
que, toutefois, la décision d'extubation et l'arrêt de la réanimation
a, en toute hypothèse, hâté le décès de Carole
Y... et interdit toute nouvelle intervention chirurgicale ;
que cette décision est donc constitutive d'une faute par imprudence engageant
la responsabilité pénale du docteur Alain X... ; que chaque faute
commise a rendu inéluctable et irréversible le processus mortel
se développant ; qu'ainsi est établi le lien de causalité
entre les fautes reprochées aux docteurs Z... et Alain X... et le décès
de Carole Y... ;
" alors que, d'une part, les atteintes à l'intégrité
physique d'autrui causées par imprudence et négligence, telles
qu'incriminées par les articles 319 et 320 anciens du Code pénal,
aujourd'hui 221-6 et suivants du nouveau Code, exigeant l'existence d'un lien
de causalité certain entre la faute et le dommage, la " Cour "
qui a ainsi relevé que les 2 collèges d'experts avaient formellement
conclu qu'au moment de la décision prise par Alain X... d'extuber et
d'arrêter la réanimation de Carole Y..., cette blessée n'avait
plus de chance de guérison, l'évolution fatale étant alors
irréversible, n'a pas, dès lors, en l'état de ses énonciations
établissant que l'acte reproché à Alain X... n'avait eu
aucune incidence sur la survenance du décès de Carole Y..., devenu
alors inéluctable, légalement justifié sa décision
déclarant établie la prévention d'homicide involontaire
à l'encontre d'Alain X... ;
" alors que, d'autre part, la Cour ayant ainsi constaté que, abstraction
faite du geste du docteur Alain X..., le décès de Carole Y...
était inéluctable, ne pouvait, sans violer le principe d'interprétation
stricte de la loi pénale, prétendre néanmoins retenir la
responsabilité pénale d'Alain X... en substituant à la
condition de résultat exigée par les articles 319 et 320 anciens
du Code pénal, autrement dit à l'existence d'un décès
ou de blessures occasionnées à autrui, le fait d'avoir accéléré
un processus irréversible ;
" et alors qu'enfin la Cour ne pouvait, sans davantage entacher sa décision
de contradiction de motifs, considérer que cette décision d'Alain
X..., en hâtant le décès de Carole Y..., aurait interdit
toute nouvelle intervention chirurgicale et, par là même, lui aurait
fait perdre une chance de survie dès lors que, faisant siennes les conclusions
des experts, elle avait dûment constaté qu'au moment de l'accomplissement
du geste reproché à Alain X... l'issue de la blessée, qui
ne présentait plus de chance de guérison, était fatale
" ;
Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 319
ancien du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale,
défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que, l'arrêt attaqué a déclaré Alain
X... coupable d'homicide involontaire à raison de l'absence de transfert
de Carole Y... vers le CHU de Rouen ;
" aux motifs que le transfert avait été envisagé par
le docteur Alain X... lors de son intervention sur les lieux de l'accident ;
que le plateau technique offert par le centre hospitalier de Dieppe était
manifestement insuffisant pour faire face à une situation déjà
lourde par elle-même mais aggravée par les urgences auxquelles
tout établissement de soins doit faire face en temps normal ; qu'il existait
entre les 2 praticiens une incompatibilité de diagnostic... imposant
le recours, soit à un médecin tiers, inexistant à Dieppe,
soit le transfert vers un établissement autre, ce dès que l'état
de Carole Y... l'aurait permis, ce qui fut fait dans la nuit du 1er au 2 juillet
; qu'il convient de constater que d'ordonner ce transfert, qui aurait par ailleurs
permis d'offrir à la blessée le plateau technique utile constitutif
de l'obligation de moyen prévue par les textes civils ; que, faute d'ordonner
ce transfert, le docteur Z... et le docteur Alain X... ont commis une imprudence
engageant leur responsabilité pénale ; que, chaque faute commise
a rendu inéluctable et irréversible le processus mortel se développant
; qu'ainsi est établi le lien de causalité entre cette faute et
le décès de Carole Y... ;
" alors que, d'une part, la cour d'appel, qui fait ainsi grief à
Alain X... de ne pas avoir décidé dans la nuit du 1er au 2 juillet
du transfert de Carole Y... vers le CHU de Rouen, sans aucunement s'expliquer
sur les raisons qui ont pu conduire ce médecin anesthésiste à
ne pas envisager ce transfert et rechercher si cette omission procédait
d'une négligence ou d'une imprudence, n'a pas, dès lors, caractérisé
l'existence d'une faute au sens de l'article 319 ancien du Code pénal,
d'autant que l'erreur de diagnostic sur l'état de santé d'un malade
ne saurait, en l'absence de toute autre circonstance, caractériser une
telle faute ;
" et alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui a ainsi affirmé
l'existence d'un lien de causalité entre cette omission et le décès
de Carole Y..., sans aucunement s'expliquer sur la nature des soins qui auraient
pu être utilement prodigués à cette blessée au CHU
de Rouen pour tenter de la sauver, n'a pas, en l'état de cette insuffisance
de motifs, légalement justifié sa décision "
;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, statuant, toutefois,
par défaut en ce qui concerne le chirurgien, que, le 1er juillet 1989,
Carole Y... a été blessée lors d'un accident de la circulation
; qu'admise à l'hôpital de Dieppe elle y a subi dans l'après-midi
une intervention chirurgicale pratiquée par le docteur Z... assisté
du docteur X..., anesthésiste, intervention suivie de 2 autres à
quelques heures d'intervalle ; que, le lendemain soir, Carole Y... est décédée
dans le service de réanimation du centre hospitalier ; qu'à l'issue
d'une information consécutive à ce décès le juge
d'instruction a renvoyé le chirurgien et l'anesthésiste, pour
homicide involontaire, devant le tribunal correctionnel qui a relaxé
le premier et condamné le second ; que l'arrêt attaqué a
retenu la culpabilité des 2 praticiens ;
Attendu que, pour statuer ainsi à l'égard d'Alain X..., la juridiction
du second degré relève notamment que les 2 prévenus se
sont abstenus d'ordonner le transfert de la victime au centre hospitalier universitaire
de Rouen dans la nuit du 2 juillet, alors que son état le permettait,
en dépit de l'insuffisance manifeste des possibilités techniques
de l'hôpital de Dieppe et de la divergence de leurs diagnostics rendant
nécessaire l'avis d'un médecin tiers, qui ne pouvait être
trouvé sur place ;
Que les juges ajoutent que la décision prise par l'anesthésiste
d'extuber et d'arrêter la réanimation de la patiente "
en désaccord avec toute logique et toute éthique médicale
et contraire aux règles consacrées par la pratique ", a,
selon les experts, " hâté le décès et interdit
toute nouvelle intervention chirurgicale ", " chaque faute commise
ayant rendu inévitable et irréversible le processus mortel "
;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction
et procédant de l'appréciation souveraine, par les juges, des
faits et circonstances de la cause, d'où il résulte qu'Alain X...
n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient compte tenu de
ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens
dont il disposait, la cour d'appel, qui a, en outre, caractérisé
le lien de causalité existant entre les manquements de ce prévenu
et le décès de Carole Y..., a justifié sa décision
au regard tant des articles 319 ancien et 221-6 nouveau du Code pénal
que de son article 121-3, en sa rédaction issue de la loi du 13 mai 1996
;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés
;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.
Publication : Bulletin criminel 1997 N° 67 p. 217