Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 21 septembre 2004

N° de pourvoi: 03-85510
Publié au bulletin
Rejet
REJET des pourvois formés par X... David, la Compagnie Axa Assurances, partie intervenante, contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 4 avril 2003, qui, pour blessures involontaires, a condamné le premier à huit mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

Sur le moyen unique de cassation, proposé par la société civile professionnelle Waquet, Farge et Hazan, pour David X..., et pris de la violation des articles 121-3, 222-19 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le docteur David X... coupable du délit de blessures involontaires ;

" alors, d'une part, que le délit de blessures involontaires suppose l'existence d'un lien de causalité certain entre la faute reprochée au prévenu et les blessures ; que le seul fait d'avoir causé à la victime une perte de chance de guérison ne peut dès lors constituer le délit ; que la cour d'appel ne pouvait retenir la culpabilité du docteur David X... à raison de fautes commises dans la préparation et la réalisation de l'opération chirurgicale de la hernie discale dont souffrait Nicole Y... sans constater qu'une opération correctement préparée et réalisée aurait permis, de manière certaine, d'éviter la paraplégie ;

" alors, d'autre part, qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt que la hernie discale qu'il s'agissait d'extraire était enclavée dans la moelle et que la paraplégie totale et irréversible dont a été victime la patiente a été le résultat de la légère traction sur la moelle épinière que le chirurgien a été contraint d'effectuer pour suturer la dure-mère qui s'était rompue au moment de l'extraction d'un fragment discal lors d'une seconde opération, pratiquée quelques jours après l'échec de la première ; que, dans son rapport d'expertise, expressément visé sur ce point dans le jugement de relaxe entrepris, le professeur Z... concluait : "une brèche durale s'est produite à l'extraction de la hernie mais cela n'est pas dû à un accident opératoire mais bien à la lésion qui a effectivement aminci cette dure-mère, voire l'a perforée pour s'enclaver dans sa face antérieure" ; que cet expert poursuivait : "le chirurgien a ensuite traité cette ouverture de la méninge par suture et application de colle de Fibrine, ce qui est le traitement habituel" ; que, dans son jugement, le tribunal avait encore relevé qu'aucune des expertises ordonnées par le juge d'instruction n'imputait à faute la rupture de la dure-mère et la fuite du liquide rachidien et retenu que cette perforation se serait produite dès la première opération ; que la cour d'appel, qui n'a pas remis en cause la nécessité d'opérer la hernie au regard de l'état fonctionnel de la victime ni jugé que l'ablation du fragment discal enclavé dans la moelle épinière était, en l'espèce, et quelle que soit la voie opératoire choisie, contre-indiquée, ne pouvait retenir une quelconque faute du chirurgien causale de la paraplégie définitive et irréversible dont fut victime la patiente à la suite de la rupture de la dure-mère sans rechercher si le risque réalisé n'était pas inhérent à la lésion opérée, quelle que soit l'urgence, les examens pré et peropératoires réalisés, l'information recueillie, l'absence d'erreur de repérage lors de la première intervention, la voie opératoire choisie et les précautions prises lors de la manoeuvre d'extraction ;

" alors, de troisième part, que l'absence d'artériographie, destinée au repérage de l'artère d'Adamkiewicz qu'il s'agit de respecter au cours de l'intervention et qui l'a effectivement été, comme l'absence d'examen préopératoire ou peropératoire autres que l'IRM réalisée le 15 avril 1995, sont sans lien de causalité avec le dommage dû, selon les propres constatations de l'arrêt, à la manoeuvre d'extraction, réalisée au cours de la seconde opération, d'un fragment discal dont la cour d'appel retient que l'IRM pratiquée avait suffit à révéler qu'il était calcifié et enchâssé dans la moelle épinière (arrêt, page 9, alinéa 2, et 10, alinéa 2) ;

" alors, encore, que le lien de causalité entre la paraplégie totale et irréversible dont a souffert la victime et les fautes qui auraient consisté pour le docteur David X... à ne pas s'être interrogé sur la pertinence de l'opération envisagée et à avoir choisi une voie opératoire non adaptée à la situation, n'est pas caractérisé en l'absence de tout constat que l'ablation de la hernie était, en l'espèce, contre-indiquée et qu'une autre voie eût permis d'extraire le fragment discal enchâssé dans la moelle sans rupture de la dure-mère ;

" alors, enfin, que le préjudice consécutif à un défaut d'information sur les risques opératoires ne pouvait s'analyser qu'en une perte de chance de ne pas courir le risque réalisé ; qu'un tel préjudice ne réalise pas le résultat requis pour la constitution du délit " ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé par Me Copper-Royer pour la compagnie Axa assurances, et pris de la violation des articles 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3, 222-19 du Code pénal, 388, 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la Cour de Grenoble a déclaré le docteur David X... coupable de blessures involontaires, sur l'action publique, l'a condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis et, sur l'action civile, l'a condamné in solidum avec la compagnie Axa Assurances à payer à Nicole Y... la somme de 320 842 euros et à la CPAM de la Drôme la somme de 115 516,82 euros ;

" aux motifs que des avis concordants des deux rapports d'expertise, d'un collège d'experts, praticiens particulièrement expérimentés et du professeur A..., il résulte que le docteur David X... a, contrairement aux conclusions par lui déposées, commis des fautes avant et pendant les interventions chirurgicales en cause ;
qu'en effet, avant l'opération chirurgicale, le docteur David X... n'a pas procédé au repérage de l'artère d'Adamkiewicz, précaution estimée indispensable par les deux rapports susvisés, malgré l'IRM effectuée ; qu'il n'a pas davantage effectué l'examen peropératoire recommandé par le collège expertal, ni pris les précautions susvisées telles que préconisées dans le rapport du professeur A..., "quelle que soit l'habileté du chirurgien" ; qu'il a ainsi pu commettre une erreur de localisation de la hernie discale, due à une carence de précautions, dont les conséquences sur l'état ultérieur de la patiente sont patentes, aux dires mêmes du rapport Z... dont il argue pour s'exonérer ;
que, contrairement à ses affirmations, devant la Cour et dans ses conclusions, l'urgence dans ce type d'affection n'est pas telle qu'il faille agir dans la précipitation préjudiciable au patient, alors qu'un chirurgien habitué à ce type de chirurgie, normalement prudent et diligent, sait parfaitement, selon le professeur A..., que si une hernie discale volumineuse et calcifiée, telle que finalement révélée, peut être vue en urgence, elle ne doit "sûrement pas être opérée en urgence du fait de la dangerosité de l'entreprise", urgence essentiellement critiquable en ce qu'elle est source d'impréparation et d'imprévision ; qu'ainsi, l'état fonctionnel de Nicole Y... n'imposait pas, selon le collège d'experts, une intervention en urgence un jour férié, le lundi de Pâques, empêchant le concours de toutes les spécialités requises ; que la gravité de l'intervention chirurgicale et de ses conséquences corporelles en cas d'erreur est telle qu'il appartient à un chirurgien de s'entourer préalablement de toute précaution, pour ne prendre sa décision qu'au terme de tous les examens ou avis nécessaires ; que tel n'a pas été le cas en l'espèce, d'autant qu'il est avéré, notamment par les débats à l'audience, que Nicole Y... n'a été ni examinée ni vue par le docteur David X... avant la première intervention ; qu'il ne peut être valablement soutenu que l'urgence ait pu être appréciée par le docteur B... et dictée par celui-ci au docteur X..., seul compétent pour une telle décision ; qu'au demeurant, la hâte du docteur David X... à intervenir ne l'a conduit qu'à l'erreur l'obligeant à une seconde intervention dont l'issue a été extrêmement préjudiciable à la patiente ;
qu'en l'état du dossier de la procédure, le docteur David X... ne peut valablement soutenir comme il l'a fait devant le juge d'instruction, avoir ignoré la gravité et la particularité de la hernie, dont il reconnaît lui-même le caractère exceptionnel, présentée par Nicole Y..., alors qu'il ressort des documents médicaux que la calcification discale a été relevée par radio le 28 mars 1995 et que l'IRM antérieure à l'intervention chirurgicale critiquée fait état d'une hernie discale calcifiée médiane, refoulant la moelle et enchâssée dans la moelle ;
qu'une telle intervention suppose, de l'avis concordant de tous les experts, que le patient soit clairement informé des risques d'aggravation de son état encourus afin de lui laisser toute latitude du choix, alors que tel n'a pas été le cas dans la présente espèce ; que, préalablement à cette décision, le chirurgien doit même s'interroger sur la pertinence d'une telle intervention, d'autant que, selon le professeur A..., il est bien connu que les hernies discales les plus volumineuses sont très souvent calcifiées adhérentes et quasi indissociables de la dure-mère voire à la face antérieure de la moelle ; qu'un chirurgien spécialisé en cette matière ne peut ignorer que, dans un pareil cas, les chirurgiens n'interviennent plus aujourd'hui que lorsque la symptomatologie neurologique est très menaçante, et qu'ils n'hésitent pas devant une hernie discale calcifiée à laisser en place la coque calcifiée adhérente à la dure-mère et à la moelle pour ne pas créer de dégâts neurologiques irrémédiables ;
qu'en effet, une intervention chirurgicale ne peut être envisagée, contre sa finalité curative, lorsque la résorption d'une telle hernie discale n'apparaît pas possible sans créer des dommages corporels irréversibles ;
que le docteur David X... n'a manifestement pas eu une telle interrogation, que la carence de sa préparation ne lui permettait d'ailleurs pas ; qu'au temps de l'opération, le docteur David X... a choisi la voie d'abord postérieure par laminectomie dont les deux rapports concordants susvisés soulignent tout à la fois les extrêmes dangers susmentionnés et, corrélativement, le caractère obsolète aux yeux de la communauté des neurochirurgiens ;
que les professeurs C..., D... et E... ont relevé que l'existence d'un fragment discal calcifié incarcéré à la face antérieure de la moelle épinière est une notion habituelle dans les hernies thoraciques calcifiées, que son ablation n'autorise pas la mobilisation médullaire, celle-ci étant fixée de manière proximale, distale et latérale par les nerfs intercostaux, que l'ablation du fragment discal se fait habituellement par un abord postéro-latéral ou par un abord antérieur pour éviter la mobilisation médullaire et que le compte rendu opératoire mentionne l'existence d'une brèche durale traduisant bien la difficulté de l'opérateur pour réaliser l'ablation du fragment par un abord postérieur isolé contre-indiqué dans ce type de "chirurgie" ;
qu'ils avaient préalablement noté que l'erreur commise dans la première intervention chirurgicale par la libération au niveau inférieur de la compression a été un facteur d'aggravation à l'origine de la survenue d'une lésion médullaire par "lésion du collet" ; que sa hâte à intervenir chirurgicalement a privé le docteur David X... des concours de certains confrères spécialisés qui, au temps de l'intervention, lui ont fait défaut ; qu'ainsi, il ressort de ses propres déclarations, confirmées devant la Cour, qu'il ne pouvait pendant le week-end de Pâques, être assisté d'un chirurgien thoracique, ce qui lui a interdit de choisir la voie de l'abord antérieur ; que, dès lors, il ne peut sérieusement prétendre avoir fait le choix de la voie antérieure (lire postérieure) afin de pratiquer l'acte chirurgical le moins agressif possible, alors que la gravité du cas de Nicole Y... impliquait un seul choix, celui de la voie la plus adaptée à la résorption de la hernie, à la guérison de la patiente et, à tout le moins, à éviter des séquelles irréversibles ; qu'un tel choix raisonné et conscient lui a été interdit par l'absence, susvisée, de préparation suffisante antérieurement à l'intervention ; qu'il résulte des déclarations susrelatées du docteur David X... qu'en toute hypothèse, au temps de l'intervention chirurgicale, il a perçu que le fragment exclu était attaché à la moelle en indiquant précisément qu'un choix s'offrait à lui, soit retirer le fragment "et, s'il venait, l'opération était terminée", soit ne pas pouvoir retirer le fragment exclu sans résistance et devoir alors passer par la voie antérieure ; que de telles affirmations ne sauraient valoir alors qu'il ressort des éléments susvisés qu'il connaissait cette réalité antérieurement à l'intervention et qu'il a lui-même reconnu que la localisation dudit fragment rendait nécessaire la voie antérieure ; que, par ailleurs, il ne peut sérieusement prétendre avoir décidé de tirer sur ce fragment aux fins de voir "s'il venait", alors qu'à raison de sa localisation, il ne pouvait ignorer les risques considérables d'une telle manoeuvre dont les effets ne pouvaient être perçus qu'à son terme, à un moment où ils étaient irréversibles ; qu'il ne peut davantage affirmer qu'il a pu retirer sans résistance ledit fragment, alors qu'il reconnaît lui-même que cette extraction a eu pour effet de rompre la dure-mère provoquant l'écoulement du liquide céphalorachidien et la suture qui, le contraignant à faire une "traction très légère sur la moelle épinière", a été, ainsi qu'il le reconnaît lui-même, directement à l'origine de la paraplégie dont souffre Nicole Y..., alors même qu'il avait perçu, comme il l'a reconnu, que la voie antérieure apparaissait nécessaire pour permettre une intervention optimale ; qu'une intervention, destinée à l'allègement de la souffrance sinon à la guérison, ne peut ainsi être, dans l'impréparation, livrée à l'aléa susceptible d'entraîner, chez le patient, des dommages irréversibles ;
qu'ainsi, constitue un ensemble de fautes, que n'aurait pas commises le praticien normalement prudent, diligent et avisé, le fait de ne pas avoir suffisamment préparé son intervention, de ne pas avoir sollicité toute l'information nécessaire et de ne pas avoir tenu compte suffisamment de l'information déjà détenue sur la gravité de l'hernie pour décider de la voie d'abord la plus adaptée à sa résorption, alors que l'extrême difficulté d'une telle intervention chirurgicale pour extraire le fragment et la mener à son terme, alors qu'il apercevait, une nouvelle fois, que la voie choisie n'était pas la bonne pour la meilleure manoeuvre d'extraction dont le caractère défectueux est patent ; qu'il n'est pas contestable que ces fautes présentent un rapport de causalité directe avec le dommage subi par Nicole Y..., en ce que la victime a subi directement les conséquences des fautes imputées au docteur David X... ; qu'ainsi, le collège expertal, corroboré dans ses conclusions par le docteur A... a considéré que la paraplégie totale et définitive dont souffre Nicole Y... est en rapport avec des fautes de nature médicale ; que le professeur Z..., souvent sollicité en sa faveur par le prévenu, a également conclu à une faute médicale dans la réalisation de la première intervention du 17 avril 1995 qui a laissé en place la compression de la moelle et de son axe vasculaire, prolongeant les conditions de la souffrance neurologique, ce qui a expliqué l'aggravation de sa paraplégie ; que d'ailleurs, le docteur X... a reconnu qu'il avait dû, pour suturer la dure-mère, opérer une traction très légère sur la moelle épinière et que cette manoeuvre avait provoqué la lésion irréversible dont souffre Nicole Y... ; que par leur caractère simple, les fautes suscaractérisées satisfont aux exigences de l'article 121-3 du Code pénal, tel que réformé par les dispositions de la loi du 10 juillet 2000 applicables aux faits de l'espèce, puisque plus favorables, alors qu'il ressort de l'examen de la procédure établi, que le docteur David X... n'a pas accompli les diligences normales compte tenu de la nature de ses fonctions, de ses compétences ainsi que des moyens dont il disposait ; qu'ainsi est caractérisé en tous ses éléments le délit de blessures involontaires poursuivi ;

" alors que dans l'hypothèse où un dommage serait advenu en l'absence d'intervention chirurgicale, la faute du praticien qui n'a pu empêcher la réalisation des conséquences de la pathologie, est en relation causale indirecte avec le dommage ; qu'en l'état d'une paraplégie qui s'installait et serait devenue définitive en l'absence d'intervention chirurgicale, la faute du médecin qui a conduit à l'échec de l'intervention, est en relation causale indirecte avec la paraplégie dont est atteinte la patiente ; qu'étant incontesté que Nicole Y... serait devenue définitivement paraplégique en absence d'intervention, la cour d'appel ne pouvait retenir que les fautes imputables au docteur David X..., constituées par le fait d'avoir insuffisamment préparé l'intervention, de ne pas avoir choisi la voie d'abord la plus adaptée et d'avoir persévéré dans sa décision d'extraire le fragment de hernie, étaient en relation causale directe avec la paraplégie dont souffre Nicole Y... , sans violer les articles 121-3 et 222-9 du Code pénal dans leur rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000 ;

" que, subsidiairement, le juge ne peut statuer que sur les faits dont il est saisi ; que le docteur David X... était renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'avoir omis de "procéder à des contrôles ou à des repérages préopératoires et péropératoires et en commettant une erreur de repérage radiologique au niveau de la hernie", fautes résultant de la première intervention chirurgicale du 17 avril 1995 ; que la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 388 du Code de procédure pénale, retenir à l'encontre du prévenu des fautes relevant de la seconde intervention ;

" et que, très subsidiairement, seule la traction sur la dure-mère a conduit à l'écoulement du liquide encéphalo-rachidien et, partant, à la paraplégie ; que cette traction, imposée pour l'ablation de la hernie discale, non seulement n'était pas visée dans la prévention au titre des fautes imputables au docteur David X..., mais encore ne constituait nullement une faute selon les différents experts ; que la cour d'appel ne pouvait, sans violer les articles susvisés, retenir que les fautes imputables au docteur David X..., en particulier la décision d'opérer, étaient en relation causale avec la paraplégie " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Nicole Y..., opérée les 17 puis 20 avril 1995 par David X..., chirurgien orthopédiste, en raison d'une hernie discale dorsale avec compression médullaire, souffre, depuis ces interventions, d'une paraplégie totale et définitive ;

Attendu que, pour déclarer David X... coupable de blessures involontaires commises entre le 17 et le 20 avril 1995, l'arrêt retient notamment que le prévenu a pris la décision d'opérer seul, un lundi férié, bien que l'état de la patiente n'ait pas justifié une telle urgence, sans aviser celle-ci des risques encourus et sans l'assistance nécessaire d'un chirurgien thoracique ; que, n'ayant pas procédé au repérage artériel et aux contrôles radiologiques indispensables, il a commis une erreur de localisation de la hernie lors de la première intervention et provoqué une lésion médullaire ; qu'il a choisi une voie opératoire d'abord postérieure par laminectomie dont les experts soulignent les dangers et le caractère obsolète ; qu'il a, lors de la seconde intervention, bien que la voie choisie soit inadaptée, extrait le fragment discal attaché à la moelle, provoquant une rupture de la dure-mère ; que les juges ajoutent que ces fautes, que n'aurait pas commises un praticien normalement prudent, diligent et avisé, sont directement à l'origine de la paraplégie totale et définitive dont est atteinte Nicole Y... ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que David X... n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient compte tenu de la nature de sa mission et de sa fonction, de sa compétence ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait, la cour d'appel, qui a constaté, sans modifier la prévention, que le prévenu avait causé directement le dommage, a justifié sa décision au regard des articles 121-3 et 221-6 du Code pénal, tant dans leur rédaction antérieure à la loi du 10 juillet 2000 que dans leur rédaction issue de cette loi ;

D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Sur le second moyen de cassation, proposé par Me Copper-Royer pour la compagnie Axa assurances, et pris de la violation des articles 121-3, 222-19 du Code pénal, 2, 470-1, et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la Cour de Grenoble a déclaré le docteur David X... coupable de blessures involontaires, sur l'action publique, l'a condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis et, sur l'action civile, a déclaré recevable Nicole Y... et a condamné in solidum le docteur David X... avec la compagnie Axa assurances à lui payer la somme de 320 842 euros après déduction de la créance de la CPAM et à payer à la CPAM de la Drôme la somme de 115 516,82 euros ;

" aux motifs qu'il résulte du rapport d'expertise du docteur F..., en date du 31 janvier 1998 que l'état de Nicole Y... est consolidé depuis le 1er novembre 1996, date de son maintien par dérogation en service long séjour au centre hospitalier de Nyons, que son incapacité totale de travail a duré du 17 avril 1995 au 1er novembre 1996, que son incapacité permanente partielle est de 75 %, que le pretium doloris représenté par les interventions, la longueur de l'hospitalisation, la rééducation, peut être qualifié d'un degré six, en tenant compte des douleurs postérieures à la consolidation n'entraînant pas d'atteinte à l'intégrité psycho-physiologique, que le préjudice esthétique représenté par la cicatrice, la perte de la marche et la station debout, peut être qualifié d'un degré cinq, qu'enfin, il existe un préjudice sexuel du fait des troubles sphinctériens et de son préjudice ; que s'agissant de son préjudice professionnel, Nicole Y... peut opérer une reconversion professionnelle du fait de son niveau scolaire et linguistique ; que les séquelles de paraplégie dans le cadre d'une indépendance fonctionnelle mesurée à 99-126 rendent nécessaire le recours à une aide de tierce personne de substitution et de complément d'une durée d'une heure par jour, dimanches et fériés compris ; qu'au vu des conclusions de la CPAM de la Drôme, dont les demandes n'ont pas été contestées, des conclusions dudit rapport d'expertise, qu'elle fait partiellement siennes, de l'âge de la victime au temps de la consolidation, de sa situation personnelle, sociale et familiale ainsi que des débats à l'audience, des précisions et des documents à elle fournis, la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer ainsi qu'il suit le préjudice directement subi par la partie civile du fait de l'infraction dont elle a été victime ; qu'il convient, préalablement, de préciser qu'en l'état, seront réservés les postes relatifs aux frais d'aménagement du domicile et du véhicule de Nicole Y..., aux aides techniques et aux frais futurs médicaux et paramédicaux, à l'assistance d'une tierce personne, ainsi qu'au préjudice professionnel, toutes questions dont l'examen sera renvoyé à une prochaine audience ; que sur le préjudice soumis au recours de la sécurité sociale : frais de soins corporels et d'hospitalisation, déduction faite des frais futurs dont l'examen est renvoyé à une prochaine audience : 115 516,82 euros ; incapacité temporaire totale de travail : 10 697 euros ; incapacité permanente partielle de travail : 217 500 euros total : 343 713,82 euros ; qu'après déduction de la créance de la CPAM soit la somme de 115 516,82 euros, il restera dû à la partie civile au titre du préjudice soumis à recours la somme de 228 197 euros ;

que sur le préjudice non soumis à recours de la sécurité sociale :

préjudice d'agrément : 15 245 euros ; préjudice esthétique :
12 000 euros ; préjudice sexuel : 27 400 euros ; souffrances morales et physiques : 38 000 euros total : 92 645 euros ;

" qu'en cet état il convient de fixer l'indemnisation de Nicole Y..., déduction faite de la créance de la CPAM susvisée, à la somme totale, couvrant les préjudices patrimonial et extrapatrimonial, de 320 842 euros ; qu'il y a donc lieu de condamner in solidum David X... et la compagnie d'assurances AXA à payer, en quittances ou deniers, la somme de 320 842 euros à Nicole Y... et la somme de 115 516,82 euros à la CPAM de la Drôme ;

" alors que l'action civile devant les tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui doit être limité dans les conditions strictement définies à l'article 2 du Code de procédure pénale et, à ce titre, ne peut être exercée que par celui qui a personnellement et directement souffert du dommage ; qu'en l'état qu'une paraplégie qui se serait définitivement installée en absence d'opération, la cour d'appel ne pouvait réparer la totalité du dommage résultant de l'échec de l'intervention, sans violer l'article susvisé ;

" que la partie civile ne peut être indemnisée deux fois pour les mêmes préjudices ; que l'incapacité temporaire totale de travail et l'incapacité permanente partielle comprennent le préjudice économique résultant du préjudice professionnel ; que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, d'une part, indemniser Nicole Y... au titre de l'incapacité temporaire et au titre de l'incapacité permanente partielle et, d'autre part, renvoyer à un examen ultérieur l'évaluation du préjudice professionnel ;

" et que, en toute hypothèse, une personne qui n'exerçait aucune activité au jour du dommage ne peut être indemnisée d'une perte de revenus comprise dans le préjudice économique, sauf à ce qu'il soit établi que sa capacité de travail a été atteinte ; qu'il n'était pas contesté que Nicole Y... n'exerçait aucune activité professionnelle au jour du dommage ; que la cour d'appel a relevé que la victime pouvait effectuer une reconversion professionnelle ; que la cour d'appel ne pouvait donc indemniser Nicole Y... pour un préjudice professionnel qu'elle ne subissait pas sans violer le principe indemnitaire et les articles susvisés " ;

Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice résultant pour Nicole Y... de l'atteinte à son intégrité physique, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur l'existence d'un préjudice professionnel distinct de l'incapacité permanente partielle déjà indemnisée, se bornant à renvoyer l'examen de cette question à une audience ultérieure, n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, les indemnités propres à réparer le dommage né de l'infraction ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.
Publication : Bulletin criminel 2004 N° 216 p. 766