Cour de Cassation Chambre commerciale
Audience publique du 4 juillet 2006 Rejet

N° de pourvoi : 03-16443 Inédit
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 5 mai 2003), que le mouvement Leclerc réunit sous une même enseigne des exploitants indépendants de moyennes et grandes surfaces et leur permet de bénéficier des avantages d'une centrale d'achat commune ; que l'appartenance à ce mouvement se traduit par l'adhésion obligatoire du dirigeant de la société exploitant un centre distributeur à l'association des centres distributeurs Edouard Leclerc (ACDLEC) auquel l'agrément de cette association donne le droit d'utiliser le panonceau Leclerc, l'adhésion de la société exploitant le centre distributeur au Groupement d'achat des centres distributeurs Leclec (GALEC), société coopérative qui constitue une centrale de référencement nationale et son adhésion à une société coopérative d'approvisionnement qui exerce une activité de centrale régionale d'achat et d'approvisionnement regroupant les centres distributeurs d'une même région, soit en région Est la Société coopérative d'approvisionnement Paris-Est (SCAPEST) ;
que M. Y..., adhérent de l'ACDLEC était dirigeant de la société Pontadis exploitant un centre distributeur Leclerc ; qu'il était en outre, dans le cadre du "parrainage" au sein du mouvement Leclerc administrateur des sociétés Tomblaine distribution (Tomblaine) et Sonedis dont le président, M. X... était membre du conseil d'administration de la société Pontadis ; qu'après le retrait de M. X... et des sociétés Tomblaine et Sonedis du mouvement Leclerc et le passage de ces sociétés sous une enseigne concurrente, la SCAPEST a subordonné ses livraisons à la société Pontadis au règlement par celle-ci de l'encours et à paiement comptant et a interrompu l'accès informatique permettant notamment à la société Pontadis de connaître les accords de prix avec les fournisseurs, puis, après avoir demandé en vain à la société Pontadis d'exclure M. X... de son conseil d'administration, a engagé à l'encontre de cette société une procédure d'exclusion ;
que le 30 mars 1995, le conseil d'administration de la SCAPEST a exclu la société Pontadis ; que M. Y... a été radié de l'ACDLEC le 3 mai 1995 ce qui a entraîné l'exclusion de la société Pontadis du GALEC le 26 juin 1995 ; que la société Pontadis a saisi le tribunal de commerce de demandes de dommages-intérêts ; qu'infirmant partiellement le jugement, la cour d'appel a débouté la société Pontadis de ses demandes fondées tant sur les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenus les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, que sur celles des articles 1134 et 1147 du code civil ;

Sur le premier moyen :
Attendu que la société Pontadis fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le GALEC et la SCAPEST n'avaient pas commis de manquement significatif à leurs obligations contractuelles envers elle, de l'avoir en conséquence déboutée de ses demandes fondées sur les articles 1134 et 1147 du code civil et de l'avoir condamnée à payer au GALEC et à la SCAPEST les sommes de 158 898,59 euros et 980 003,26 euros à titre de pénalités statutaires ensuite de son exclusion, alors, selon le moyen :
1 / que la société coopérative qui envisage d'infliger des sanctions de nature disciplinaire contre un associé coopérateur est tenue de lui notifier ses griefs avant toute sanction afin de lui permettre de préparer utilement sa défense ; que viole l'article 7 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel qui, après avoir constaté que la SCAPEST et le GALEC avaient infligé dès le 31 janvier 1995, sans fournir la moindre explication, des sanctions disciplinaires à la société Pontadis, consistant dans la subordination de toute nouvelle livraison au règlement comptant des marchandises et dans la coupure de l'accès informatique lui permettant de prendre connaissance des accords tarifaires avec les fournisseurs, justifie néanmoins la régularité de ces sanctions par le motif que la société Pontadis ne pouvait ignorer, au moment où elles lui étaient infligées, les raisons qui les justifiaient ;
2 / que l'associé coopérateur sur lequel pèse la menace d'une exclusion définitive de la coopérative est a fortiori en droit de connaître avec exactitude les faits qui lui reprochés, pour pouvoir utilement préparer sa défense dans le cadre d'un débat contradictoire ;
qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué retient que la SCAPEST a engagé une procédure d'exclusion de la société Pontadis en lui adressant dès le 10 février 1995 une première convocation dont il n'est pas contesté qu'elle n'exposait aucun grief de nature à fonder l'exclusion envisagée ; que l'arrêt constate encore qu'une seconde convocation a été délivrée à la société Pontadis par courriers des 20 et 24 mars 1995, qui n'exposait que l'un des griefs du mouvement Leclerc contre le représentant de cette société, mais renvoyait pour le surplus aux griefs évoqués lors du précédent conseil d'administration ; qu'en estimant que l'exclusion de la société Pontadis intervenue dans ces conditions respectait suffisamment les droits de la défense, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés ;
3 / qu'il résulte des statuts de la SCAPEST et du GALEC que l'application des pénalités statutaires pour le cas de retrait ou d'exclusion d'un associé coopérateur ne revêt pas un caractère de plein droit, mais relève au contraire du pouvoir d'appréciation du conseil d'administration ; qu'il appartenait, dès lors, à ces deux sociétés coopératives de rapporter la preuve que le prononcé de ces sanctions pécuniaires avait été précédé d'un débat contradictoire et que la société Pontadis avait bien été invitée, par une convocation dûment motivée, à faire valoir ses moyens de défense sur l'opportunité de leur application et sur leur proportionnalité au préjudice subi par le GALEC et la SCAPEST ;
qu'en validant ces sanctions sans s'assurer qu'une telle procédure contradictoire avait été respectée, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu, d'une part, que, selon les constatations de l'arrêt, l'obligation de paiement comptant imposée à la société Pontadis et la coupure de son accès informatique aux accords tarifaires avec les fournisseurs sont intervenues, avant l'engagement d'une procédure disciplinaire, en raison des méconnaissances par cette société de son obligation de loyauté envers le mouvement coopératif et de la prohibition statutaire de toute participation directe ou indirecte d'un adhérent à des sociétés ou organismes, projets, programmes ou opérations concurrents de l'ACDLEC et des sociétés coopératives du mouvement Leclerc, ces faits laissant craindre le départ de la société Pontadis et permettant à M. X..., membre du conseil d'administration de cette société, mais également dirigeant de sociétés s'approvisionnant auprès d'un groupe concurrent, de connaître les accords conclus entre le GALEC et ses fournisseurs ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, d'autre part, qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que la SCAPEST a convoqué la société Pontadis par lettres recommandées des 23 et 24 mars 1995, en vue de son exclusion, non sans en préciser les motifs, mais en renvoyant aux griefs évoqués lors du conseil d'administration du 23 février précédent, devant lequel M. Y..., président de la société Pontadis avait refusé de s'expliquer sur le soutien qu'il apportait à M. X..., et en invoquant un nouveau grief tiré de la nomination de M. Y... en qualité d'administrateur d'une société passée sous une enseigne concurrente ;
(…) D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa troisième branche, manque en fait en sa deuxième branche et n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Pontadis fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le GALEC et la SCAPEST n'avaient pas commis d'abus de dépendance économique envers elle, ni de manquement significatif à leurs obligations contractuelles envers elle, de l'avoir en conséquence déboutée de ses demandes fondées sur les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et les articles 1134 et 1147 du code civil et de l'avoir condamné à payer au GALEC et à la SCAPEST les sommes de 158 898,59 euros et 980 003,26 euros à titre de pénalités statutaires ensuite de son exclusion, alors, selon le moyen :
1 / qu'une société coopérative ne peut sanctionner disciplinairement l'un de ses adhérents pour ne pas avoir adopté un comportement que ni la loi ni ses statuts ne lui donnent le pouvoir de lui imposer ; qu'en jugeant que les mesures de représailles commerciales imposées à la société Pontadis étaient justifiées par la gravité des faits commis par son dirigeant, sans préciser quelle clause exorbitante du droit commun renfermée dans les statuts des sociétés SCAPEST et GALEC aurait autorisé celles-ci à s'immiscer dans les règles de compositions du conseil d'administration de leurs adhérentes et à prendre, le cas échéant, toute mesure coercitive à leur encontre pour les contraindre à en évincer sans délai les personnes physiques jugées indésirables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, ensemble les articles 1134 et 1147 du code civil ;
2 / qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la règle dite du "parrainage", de même que l'obligation faite à tout dirigeant d'un centre distributeur Leclerc d'être minoritaire au sein de son propre conseil d'administration, résultent de normes, au demeurant non écrites, imposées par l'Association des centres distributeurs Edouard Leclerc (ACDLEC) à ses membres, personnes physiques, en contrepartie de la conclusion d'un contrat d'attribution du panonceau Leclerc, leur donnant droit de l'utiliser par l'intermédiaire des sociétés commerciales qu'ils dirigent ; qu'il s'ensuit que, n'étant pas partie à ces accords, les sociétés coopératives SCAPEST et GALEC ne pouvaient, sans commettre un détournement de pouvoir, prendre prétexte de leur violation pour infliger des sanctions disciplinaires à l'une de leurs sociétés adhérentes (Pontadis), à qui ces accords n'étaient pas davantage opposables, au motif que son dirigeant ne les aurait pas respectées ; qu'en jugeant de telles sanctions justifiées, la cour d'appel a violé les articles 1 et 7 de la loi du 10 juillet 1947 portant statut de la coopération, ensemble l'article 1134 du code civil ;
3 / qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé de surcroît l'article 1165 du code civil ;
4 / en toute hypothèse, que l'assemblée des actionnaires d'une société commerciale ne saurait licitement renoncer par avance à désigner, en toute indépendance, les administrateurs de son choix ; que, par suite, est illicite et doit être réputée non écrite la règle imposée par le mouvement Leclerc, qui, sous peine d'exclusion, exige de chaque adhérent qu'il reste minoritaire au sein du conseil d'administration de sa société commerciale et qu'il souffre la présence d'administrateurs désignés par le mouvement Leclerc pendant toute la durée de son engagement de fidélité (25 ans) ; qu'en jugeant que les mesures disciplinaires infligées à la société Pontadis et son exclusion subséquente étaient suffisamment justifiées par l'entorse que M. Y... avait faite à ces règles, la cour d'appel a violé l'article 1844, alinéa 1, du code civil, ensemble les articles L. 225-18 et L. 225-35 du code de commerce ;
5 / qu'au surplus, nul ne peut être sanctionné disciplinairement pour ne pas s'être conformé à une discipline de vote, lequel est l'expression d'une liberté ; qu'en estimant que M. Y... avait commis une faute disciplinaire à l'égard du mouvement Leclerc, justifiant les sanctions prises à son encontre, en ne se maintenant pas dans les conseils d'administration des sociétés Tomblaine et Sonedis aux fins de mettre leur président en minorité, la cour d'appel a violé l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ensemble l'article 1 du premier Protocole additionnel à la CEDH ;
6 / qu'en toute hypothèse, la prohibition de l'article L. 420-2 du code de commerce des abus de dépendance économique a lieu de jouer dans les rapports entre une entreprise du secteur de la grande distribution et la société coopérative qui lui fournit l'essentiel de ses marchandises, peu important qu'à ces rapports se superpose une relation entre associé coopérateur et société coopérative ; qu'en jugeant qu'en dépit de l'état de dépendance économique certain de la société Pontadis à l'égard de la SCAPEST, les dispositions du texte susvisé ne pouvaient être invoquées par la première en raison de son statut d'associé coopérateur de la seconde, la cour d'appel a violé l'article L. 420-2 du code de commerce en y ajoutant une restriction qui n'y figure pas ;
7 / que caractérise un état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2, 2 du code de commerce, la prétention d'une société coopérative de jouer de l'état de dépendance économique dans laquelle elle tient les coopérateurs pour asseoir sa domination politique sur les organes de direction de chacun d'entre-eux ; que la cour d'appel qui, après avoir constaté que l'état de dépendance économique de la société Pontadis envers la SCAPEST et le GALEC était indéniable, a néanmoins jugé que celles-ci ne s'étaient rendues coupables d'aucun abus de dépendance économique en infligeant des sanctions à la société Pontadis pour forcer l'éviction d'administrateurs jugés indésirables et leur remplacement par des administrateurs de son choix, a violé l'article L. 420-2 du code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en retenant que les engagements contractuels de la société Pontadis devaient la conduire à ne pas admettre le maintien au sein de son conseil d'administration du dirigeant de sociétés passées sous une enseigne concurrente et lui imposaient une obligation de loyauté et de fidélité envers le mouvement Leclerc, la cour d'appel, devant laquelle il n'était pas contesté qu'il appartient aux sociétés coopératives de vérifier et de faire respecter l'appartenance de leurs associés à ce mouvement, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, que, pour dire qu'aucune violation des articles 1134 et 1147 du code civil ne peut être reprochée aux sociétés GALEC et SCAPEST et justifier l'exclusion de la société Pontadis, l'arrêt, qui a relevé que l'éviction de M. X... du conseil d'administration de la société Pontadis et le respect par cette dernière de son obligation de fidélité et de loyauté envers le mouvement Leclerc constituent des objectifs licites dans le cadre des engagements contractuels de la société Pontadis, retient d'un côté que cette société n'a pas, en dépit des engagements de son président, évincé un administrateur, M. X..., qui s'était retiré de l'ACDLEC et dirigeait les sociétés Tomblaine et Sonedis qui avaient quitté les coopératives du mouvement Leclerc pour s'approvisionner auprès d'un autre groupe, permettant ainsi à un concurrent d'avoir connaissance de secrets commerciaux du mouvement Leclerc, de l'autre que le soutien public manifesté par M. Y... à cet administrateur permettait aux coopératives de redouter que la société Pontadis ne soit en train de négocier son passage à la concurrence, enfin que M. Y... a accepté d'être nommé administrateur des sociétés Tomblaine et Sonedis après leur passage sous une enseigne concurrente ; que le moyen manque en fait en ce qu'il soutient que la cour d'appel se serait fondée sur la règle du "parrainage", sur l'obligation pour tout dirigeant d'un centre Leclerc d'être minoritaire au sein de son conseil d'administration et sur le non respect par le président de la société Pontadis d'une discipline de vote ;
Attendu, en troisième lieu, qu'après avoir rappelé les dispositions des articles 1, 2 et 7 de la loi du 11 juillet 1972 relative aux sociétés coopératives de commerçants détaillants, devenus les articles L. 124-1 et suivants du code de commerce, et notamment que ces sociétés ont pour objet d'améliorer par l'effort commun de leurs associés les conditions dans lesquelles ceux-ci exercent leur activité commerciale, la cour d'appel a pu retenir qu'en tant qu'associé coopérateur de la SCAPEST, la société Pontadis ne pouvait invoquer à l'égard de celle-ci le bénéfice des dispositions de l'article L. 420-2.2 du code de commerce ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;