Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du lundi 11 juin 1990

N° de pourvoi: 89-80467
Publié au bulletin Rejet


REJET du pourvoi formé par :- X... Jean,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 8 décembre 1988 qui, pour vol et exportation sans autorisation d'une oeuvre d'art, l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à des pénalités douanières, a prononcé sur les intérêts civils et a ordonné la restitution d'un manuscrit placé sous scellé.

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 388 et 512 du Code de procédure pénale, 591 et 593 du même Code, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable de vol des manuscrits litigieux ;

" aux motifs que " Mme de Y... n'a, à aucun moment, entendu transmettre à X... une possession ou un titre quelconque sur les objets remis ; qu'en décidant de les vendre à son profit, X... les a donc soustraits et s'est rendu coupable, non du délit d'abus de confiance, retenu par le magistrat instructeur, mais du délit de vol " (arrêt p. 6, paragraphe 2 in fine) ;

" alors qu'à la suite de la plainte déposée par la partie civile du chef de vol, le juge d'instruction, estimant que n'était pas caractérisé la soustraction frauduleuse des manuscrits litigieux, a renvoyé X... devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'abus de confiance pour avoir détourné ou dissipé les manuscrits qui lui avaient été remis à titre de prêt à usage ; qu'en relevant cependant à la charge du prévenu le délit de vol sans constater que celui-ci avait accepté d'être jugé sur les faits de soustraction frauduleuse qui n'étaient pas compris dans la saisine, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés " ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 379 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable de vol des manuscrits litigieux ;

" aux motifs, d'une part, que la seule détention par X... des manuscrits en cause ne saurait constituer la possession définie à l'article 2279 du Code civil alors que cette détention n'avait été ni publique ni non équivoque ; qu'il lui appartiendrait de rapporter la preuve du don qu'il invoque (arrêt p. 6, paragraphe 1er in fine) ;

" alors que ne pouvait être caractérisé à l'encontre de X... le délit de vol des manuscrits litigieux s'il était établi qu'il les avait reçus en vertu d'un titre propre à lui en transférer la détention juridique, quelles qu'aient été, par la suite, les qualités de la détention exercée sur ces manuscrits, de sorte qu'en statuant par les motifs susvisés, totalement inopérants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 379 du Code pénal ;

" aux motifs, d'autre part, qu'il n'est pas contesté que les deux manuscrits ont été bien matériellement remis à X... par leur propriétaire, que le Tribunal a, en partie, fondé sa décision de relaxe sur le fait que la partie civile n'était pas en mesure de prouver l'existence d'un contrat entre elle et X... ; que, cependant, il apparaît évident, compte tenu de la valeur inestimable des manuscrits en cause, aussi bien sur le plan pécuniaire que sur le plan familial, que Mme de Y..., comme elle l'a toujours soutenu et qui avait d'ailleurs, à l'origine de la procédure, porté plainte pour vol, n'a à aucun moment entendu transmettre à X... une possession ou un titre quelconque sur les objets remis ;

" alors qu'en se déterminant au motif péremptoire qu'il apparaissait " évident " que Mme de Y... n'avait pas entendu transmettre à X... une possession ou un titre quelconque sur les manuscrits litigieux, sans examiner l'ensemble des circonstances de la cause et, notamment, sans s'expliquer sur les propres écritures de la partie civile, qui reconnaissait les avoir remis à titre de dépôt ou encore de prêt, en tout cas, en vertu d'un contrat de nature à transférer leur détention juridique, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard du texte précité " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Jean X..., qui était en relation avec Mme de Y..., laquelle avait même été son associée dans une affaire d'édition, a vendu le 17 novembre 1982 à un collectionneur suisse le manuscrit des 120 journées de Sodome du marquis de Sade ; qu'un mois auparavant, il avait remis à un libraire parisien un autre manuscrit de valeur, la partition musicale originale des Noces de Stravinsky ;

Attendu qu'à la suite de ces faits, X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir, courant 1982, détourné ou dissipé au préjudice de Nathalie de Y... qui en était propriétaire, possesseur ou détenteur, les deux manuscrits précités, qui ne lui avaient été remis qu'à titre de prêt à usage, à charge pour lui de les rendre ou représenter ; que les premiers juges ont énoncé qu'à défaut de preuve du contrat de prêt, le délit d'abus de confiance n'était pas caractérisé ;

Attendu que pour requalifier les faits et déclarer le prévenu coupable de soustraction frauduleuse au préjudice de Nathalie de Y..., la cour d'appel énonce que la partie civile, qui s'était effectivement dessaisie des deux manuscrits entre les mains du prévenu, " n'avait à aucun moment entendu transmettre à X... une possession ou un titre quelconque sur les objets remis " et ce d'autant moins que le manuscrit des 120 journées de Sodome " d'une valeur inestimable ", faisait partie intégrante du patrimoine familial ;
qu'en décidant de le vendre à son profit, X..., qui n'avait à aucun moment rapporté la preuve du don manuel qu'il invoquait, s'était donc bien rendu coupable de vol ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, les juges d'appel, qui se sont bornés, sans faire état d'éléments nouveaux, à apprécier les faits dont ils étaient saisis dans leur rapport avec la loi pénale, n'ont encouru aucun des griefs allégués ;

Qu'en effet, d'une part, les juges ne sont pas liés par la qualification donnée aux faits dans la prévention ; qu'ils ont non seulement le droit, mais le devoir de caractériser les faits qui leur sont déférés et de leur appliquer la loi pénale conformément aux résultats de l'information effectuée à l'audience;

Que, d'autre part, la détention matérielle d'une chose mobilière, non accompagnée de la remise de la possession, n'est pas exclusive de la soustraction, élément constitutif du vol ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

(...)

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

Publication : Bulletin criminel 1990 N° 238 p. 611