Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 13 octobre 2015

N° de pourvoi: 14-82272
Publié au bulletin Cassation partielle
Statuant sur les pourvois formés par :- M. Alain Z...,

- M. Philippe Z..., parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 26 février 2014, qui, dans la procédure suivie contre eux, d'une part, et M. Laurent X... et Mme Sylviane Y..., d'autre part, du chef de violences aggravées, a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs, et le mémoire en défense produits ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 122-5 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a retenu l'état de légitime défense et prononcé la relaxe de M. X... et a déclaré en conséquence mal-fondée la constitution de partie civile de M. Philippe Z...;

" aux motifs que M. Philippe Z...a reconnu avoir poursuivi Mme Y..., épouse X..., qui quittait l'étude, avoir repoussé M. X... qui avait tenté de le retenir, et avoir rattrapé celle-ci au rez-de-chaussée ; qu'il a indiqué qu'elle s'était adossée contre la porte vitrée pour l'empêcher de saisir les documents emportés ; qu'il venait de les récupérer au moment où M. X... s'est jeté violemment sur lui en le tirant en arrière, juste avant l'intervention de son père ; que M. X... a prétendu qu'alerté par les cris de sa mère, il s'était précipité pour la rejoindre, l'avait trouvée aux prises avec l'huissier qui lui avait arraché l'enveloppe alors qu'elle se trouvait au sol ; que M. Philippe Z...s'était retourné vers lui et lui avait porté un violent coup de poing au visage, faisant tomber ses lunettes ; qu'il était encore debout lorsque le père de l'huissier est intervenu tandis que ce dernier continuait à le frapper de coups de poing ; qu'il est en tous cas certain que c'est M. Philippe Z...qui le premier a fait preuve de violence en voulant reprendre par la force le ou les documents emportés par Mme Y..., épouse X... ; qu'une telle réaction, pour reprendre même le document qui n'aurait pas fait l'objet d'un émargement, si l'on retient la version de M. Philippe Z..., apparaît totalement inappropriée ; que même s'il n'est pas établi qu'il ait fait tombé Mme Y..., épouse X..., à terre, ce comportement brutal justifie l'intervention de M. X... qui a voulu porter secours à sa mère au moment où celle-ci était malmenée par l'huissier de justice ; que celle-ci a consisté essentiellement à le ceinturer pour le tirer en arrière et ne peut être qualifiée de disproportionnée, comme en attestent les quelques dermabrasions au niveau des mains, de la malléole interne droite ainsi que de l'hématome au niveau de la jambe gauche relevés dans le premier certificat médical produit par M. Philippe Z...; que le fait justificatif de la légitime défense d'autrui doit dans ces conditions bénéficier à M. X... ;

" alors que le fait justificatif de légitime défense prévu à l'article 122-5 du code pénal suppose pour être retenu que soit caractérisée l'actualité de l'atteinte justifiant la défense ; qu'il ressort des constatations des juges du fond que, au moment où M. X... s'est jeté sur M. Philippe Z..., ce dernier avait déjà récupéré les documents des mains de Mme Y..., épouse X... ; que la rixe survenue entre Mme Y..., épouse X..., et M. Philippe Z...n'ayant eu d'autre objet que la récupération par ce dernier des documents litigieux, aucun danger ou atteinte actuel ne pouvait être caractérisé une fois lesdits documents récupérés ; qu'en retenant néanmoins que M. X... avait agi en état de légitime défense, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et omis de caractériser l'actualité de l'atteinte dont faisait l'objet Mme Y..., épouse X... " ;


Attendu que, pour infirmer le jugement déclarant M. X... coupable de violence volontaire sur la personne de M. Philippe Z...et dire ce dernier irrecevable en sa constitution de partie civile, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, caractérisé l'état de légitime défense ;

D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, méconnaissance de l'autorité de la chose jugée ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré MM. Philippe Z... et Alain Z... coupables de violences volontaires à l'encontre de M. X... et de Mme Y..., épouse X..., et les a déclarés entièrement responsables de leur préjudice ;

" aux motifs que lorsque, comme en l'espèce, la cour saisie du seul appel des parties civiles, ne peut prononcer aucune peine contre MM. Philippe Z... et Alain Z... définitivement relaxés, même pour cause de légitime défense, elle doit au regard de l'action civile rechercher si les faits poursuivis sont constitutifs d'une infraction pénale qui engage la responsabilité de son auteur et de prononcer en conséquence sur la demande de réparation des parties civiles ¿ ; que M. Philippe Z...ne pouvait faire usage de la force pour arracher à Mme Y..., épouse X..., la copie d'un acte qu'à tort ou à raison il ne voulait pas remettre ; qu'il doit donc être déclaré coupable de violence volontaire n'ayant entraîné aucune incapacité de travail par personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions ¿ ; que sur les faits de violence, dont a été victime M. X..., il est manifeste qu'il a été à tout le moins frappé d'un coup de canne par M. Alain Z..., qui, n'ayant pas assisté à l'incident survenu précédemment, et alerté par des cris d'homme et de femme, s'était précipité à son tour dans les escaliers, et a voulu porter secours à son fils ceinturé par M. X... ¿ ; que le fait de lui asséner sans avertissement dans un geste aussi rapide que violent un coup de canne constitue une réaction disproportionnée qui justifie que soit écartée la légitime défense ; que M. Alain Z...est donc bien coupable d'un acte de violence volontaire avec usage d'une arme ¿ ; que M. Philippe Z...a reconnu, à tout le moins, avoir repoussé M. X... lorsque ce dernier, qui se trouvait derrière lui, l'a saisi par les hanches pour le tirer en arrière au moment où il s'emparait des lettres détenues par Mme Y..., épouse X... ; que ce ne peut donc être qu'au cours de cette empoignade entre les deux hommes qu'est survenu le choc basi-thoracique antérieur gauche visé dans le certificat médical initial produit par M. X... ; qu'il s'ensuit que M. Philippe Z...doit être déclaré coupable de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours commise par une personne dépositaire de l'autorité publique, s'agissant d'un huissier de justice dans l'exercice de ses fonctions ;

" 1°) alors que méconnaît le droit au respect de la présomption d'innocence la cour d'appel qui, pour déclarer les prévenus civilement responsables et les condamner au paiement de dommages-intérêts, leur impute la commission d'infractions pour lesquelles ils ont été relaxés en première instance par une décision devenue définitive ; que MM. Z...ont été relaxés des faits de violences commises sur M. X... et sa mère par jugement du 12 juillet 2012 ; que l'appel du parquet ne portait que sur les dispositions pénales du jugement visant M. X... et Mme Y..., épouse X..., de sorte que la relaxe de MM. Z...est devenue définitive à l'expiration du délai d'appel ; qu'en les déclarant néanmoins coupables des faits pour lesquels ils avaient été définitivement relaxés, la cour d'appel a violé le droit au respect de la présomption d'innocence ;

" 2°) alors que les dispositions définitives des décisions rendues en matière pénale ont autorité de chose jugée sur le pénal comme sur le civil ; que la décision de relaxe de MM. Z...avait acquis, au jour où la cour d'appel a statué, un caractère définitif ; qu'en déclarant les prévenus coupables des infractions pour lesquelles ils avaient été définitivement relaxés et en les déclarant, par voie de conséquence, civilement responsables, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée ;

" 3°) alors que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite ; qu'il incombe, dès lors, à la juridiction d'appel de caractériser une faute civile distincte de l'infraction pour laquelle la personne a été relaxée ; qu'en effet, à admettre l'identité de la faute civile avec l'infraction poursuivie, la juridiction d'appel violerait encore le droit à la présomption d'innocence et l'autorité de la chose jugée ; qu'en ne recherchant pas si MM. Z...avaient commis une faute civile distincte des faits de violence pour lesquels ils ont été définitivement relaxés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 122-5 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. Philippe Z...coupable de violences sur M. X... et responsable du choc basi-thoracique subi par ce dernier ;

" aux motifs propres qu'il convient de se reporter à l'exposé minutieux des faits et de la procédure effectué par le tribunal correctionnel de Grenoble dans son jugement n° 1806 prononcé le 12 juillet 2012 ; que M. Philippe Z...a reconnu avoir poursuivi Mme Y..., épouse X..., qui quittait l'étude, avoir repoussé M. X... qui avait tenté de le retenir, et avoir rattrapé celle-ci au rez-de-chaussée ; que M. Philippe Z...a reconnu, à tout le moins, avoir repoussé M. X... lorsque ce dernier, qui se trouvait derrière lui, l'a saisi par les hanches pour le tirer en arrière au moment où il s'emparait des lettres détenues par Mme Y..., épouse X... ; que ce ne peut donc être qu'au cours de cette empoignade entre les deux hommes qu'est survenu le choc basi-thoracique antérieur gauche visé dans le certificat médical initial produit par M. X... ; qu'aucune part de responsabilité dans la survenance de ses dommages ne peut être laissée à la charge de M. X..., dès lors, qu'il a été blessé par MM. Alain Z... et Philippe Z... seulement parce qu'il est intervenu pour porter secours à sa mère ;

" aux motifs adoptés, résultant de l'exposé des faits du jugement, que Me Philippe Z...a indiqué qu'une fois la signature portée, Mme Y..., épouse X..., s'est emparée des deux actes alors que l'émargement n'avait eu lieu que pour un acte puis qu'elle était partie en courant vers la sortie ; qu'il a alors expliqué qu'il s'était lancé à sa poursuite et, qu'arrivé sur le palier de l'étude, il avait été ceinturé par M. X... pour le ralentir dans sa progression, qu'il l'aurait repoussé pour se lancer à la poursuite de Mme X... laquelle avait été rattrapée au niveau du rez-de-chaussée ;

" alors qu'il résulte des constatations des juges du fond que, au moment où M. Philippe Z...a repoussé M. X... pour se dégager de sa prise, il tentait de rattraper Mme Y..., épouse X..., qui était partie subitement de l'étude afin de reprendre les documents emportés par elle ; que cette dernière n'était donc à ce moment victime d'aucune attaque qui nécessitât un secours ; qu'en excluant toute faute de M. X..., qui a agressé M. Philippe Z..., pour déclarer ce dernier coupable de violence et responsable du préjudice subi par son agresseur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations " ;

Les moyens étant réunis ;

Vu les articles 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 1382 du code civil, 497 du code de procédure pénale ;

Attendu que, saisi du seul appel d'un jugement de relaxe formé par la partie civile, le juge répressif ne peut énoncer que les faits qui lui sont déférés constituent une infraction pénale, sans méconnaître le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, suite à une rixe, MM. Philippe Z... et Alain Z..., d'une part, M. X... et Mme Y..., d'autre part, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel pour violences réciproques ; que les premiers juges, après avoir relaxé MM. Z...en retenant la légitime défense, ont déclaré M. X... coupable de violence et Mme Y..., coupable de tentative de vol et ont déclaré ces derniers irrecevables en leur constitution de partie civile ; que M. X... et Mme Y..., ont relevé appel des dispositions pénales et civiles ; que le ministère public a relevé appel des dispositions pénales concernant ces derniers ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer MM. Z...entièrement responsables du préjudice subi par M. X...et Mme Y..., l'arrêt énonce que la cour, saisie du seul appel des parties civiles, doit au regard de l'action civile rechercher si les faits poursuivis sont constitutifs d'une infraction pénale ; qu'après avoir examiné les faits reprochés à MM. Z..., les juges ont retenu que le délit de violence était caractérisé à leur encontre et les ont déclarés coupables de violence volontaire ;

Mais attendu qu'en cet état, la cour d'appel, qui pour statuer sur l'action civile, a retenu la culpabilité des intimés alors qu'ils avaient été définitivement relaxés, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le quatrième moyen proposé :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 26 février 2014, mais en ses seules dispositions relatives à l'action civile de M. X... et Mme Y..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;