Cour de Cassation
Chambre civile 3
Audience publique du 11 mai 2000
Cassation.
Sur le moyen unique :
Vu le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mai 1998), qu'au cours de la construction d'un immeuble édifié avec le concours de la société Stefs, entrepreneur chargé du gros oeuvre, depuis lors en liquidation judiciaire, assurée par la société Mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) et appartenant actuellement au syndicat des copropriétaires du 32, avenue du Général-Leclerc au Pecq, assuré par la compagnie Abeille Assurances, des dommages ont été causés au fonds voisin, propriété des consorts Porcheron-Sabatelli, assurés par la Mutuelle d'assurances des instituteurs de France (MAIF) ; que les victimes ont assigné le syndicat des copropriétaires, l'entrepreneur et leurs assureurs en réparation de leur préjudice ;
Attendu que pour écarter ces demandes l'arrêt retient que les désordres constatés chez les consorts Porcheron-Sabatelli, qui se manifestent sous forme de lézardes, basculement du mur, du plancher de la façade arrière et du pignon du pavillon, proviennent de la décompression du sol au cours de travaux effectués par la société Stefs au moment de la construction de l'immeuble du 32, avenue du Général-Leclerc, que les victimes agissant sur le fondement des troubles anormaux du voisinage ne peuvent imputer au syndicat des copropriétaires de cet immeuble la responsabilité des désordres dont l'origine réside dans des travaux réalisés par une société civile immobilière bien avant sa constitution, que seul le maître de l'ouvrage d'origine avait la garde du chantier, qu'il n'est pas démontré qu'il l'avait transférée à la société Stefs, et que l'action des appelants à l'encontre de la SMABTP, assureur de cette société, ne peut prospérer ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le syndicat des copropriétaires, propriétaire actuel des biens, et la société Stefs, auteur des travaux à l'origine des dommages étaient responsables de plein droit des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage constatés dans le fonds voisin, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE

Cour de Cassation
Chambre civile 3
Audience publique du 13 avril 2005
Rejet.
Sur les deux moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 11 septembre 2003), que la société civile immobilière (SCI) Goulet, maître de l'ouvrage, a fait édifier un immeuble par plusieurs entrepreneurs, et notamment par la société Atlantique bâtiment construction (ABC), titulaire de plusieurs lots et mandataire commun d'un groupement conjoint d'entreprises ; que le chantier a causé des nuisances à la propriété de voisins, les époux X..., qui ont assigné en réparation de leur préjudice ;
Attendu que la société ABC fait grief à l'arrêt de la condamner à payer des sommes aux époux X..., in solidum avec la société Goulet, et à garantir cette dernière société des condamnations prononcées contre elle, alors, selon le moyen :
1 / que le jugement doit être motivé ; qu'en adoptant les motifs du premier juge déterminant le préjudice et son indemnisation, incluant la rupture du câble électrique par la société Forage et fondation, pour condamner la société ABC, sur le fondement quasi délictuel vis-à-vis des époux X... et contractuel vis-à-vis du maître de l'ouvrage, la SCI Goulet, tout en ne caractérisant que les fautes concernant le stationnement des véhicules et le nettoyage des alentours, sans établir aucune faute concernant la rupture des câbles électriques, la cour d'appel n'a pas donné de motif à sa décision, violant les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que l'article 19 du cahier des charges générales concerne les dommages provoqués à l'immeuble lui-même qu'il stipule en effet :
"l'entreprise sera seule responsable des dommages causés aux immeubles avoisinants à l'occasion de travaux, et en particulier, de démolitions, de terrassements et de reprises en sous oeuvre. Elle sera tenue de réparer ces dommages et en particulier les fissures, même légères, qui ne seraient pas prises en compte par les compagnies d'assurances" ; qu'en appliquant dès lors cet article au préjudice de jouissance subi en raison d'appareils ménagers endommagés par la rupture d'un câble électrique situé en dehors de l'immeuble, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil et l'article 19 du cahier des clauses générales ;
3 / que le mandataire répond des fautes qu'il commet dans sa gestion ; que dès lors que les conclusions d'appel de la SCI Goulet reconnaissaient que la société Altantique bâtiment construction avait réglé le problème découlant de la rupture du câble électrique par la société Forage et Fondation sans faire état d'aucun retard, et que le contrat ne prévoyait de responsabilité de la société Atlantique bâtiment construction que pour les dommages électriques survenus à l'installation en construction elle-même (article 19 du cahier des clauses générales), la cour d'appel qui n'a établi aucun manquement contractuel tel que l'absence de diligence dans la résolution du problème, ou un quelconque manquement à une obligation de surveillance de l'entreprise auteur du dommage découlant de son pouvoir de direction ou de contrôle du chantier, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1992 du Code civil ;
4 / que le juge doit respecter les limites du litige ; qu'en retenant la responsabilité contractuelle de la société Atlantique bâtiment construction résultant de la rupture du câble électrique, de sa seule qualité de mandataire commun, bien que les parties n'avaient envisagé qu'une responsabilité fondée sur une faute contractuelle dans sa mission d'organisation et de coordination du chantier, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
5 / que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office, le moyen de droit tiré d'une responsabilité automatique indépendante de toute faute contractuelle dans l'organisation ou la surveillance du chantier résultant de la seule qualité de mandataire commun de la société Atlantique bâtiment construction, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire, violant l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les époux X... avaient subi une coupure d'électricité à la suite de l'arrachage d'un câble électrique, événement constituant un trouble anormal de voisinage, la cour d'appel n'était pas tenue de caractériser une faute dans les rapports existant entre les voisins victimes et l'entrepreneur la société ABC auteur du dommage, laquelle était engagée de plein droit vis-à-vis d'eux par application du principe prohibant la réalisation d'un tel trouble ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, par une interprétation souveraine des clauses contractuelles unissant les entrepreneurs au maître de l'ouvrage et entre eux, que la société ABC était, en qualité de mandataire commun des entrepreneurs, responsable des dommages causés aux avoisinants aux termes des articles 1, 19 et 28-3 du cahier des clauses générales, et personnellement, comme entrepreneur direct de lots de gros oeuvre, plomberie et électricité, la cour d'appel a exactement retenu, sans modifier l'objet du litige ni violer le principe de la contradiction, que cette société était contractuellement tenue envers la SCI Goulet (MO) des troubles de voisinage ayant affecté la propriété des époux X... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;

Publication : Bulletin 2005 III N° 89 p. 84

Cour de Cassation
Chambre civile 3
Audience publique du 22 juin 2005
Rejet.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 septembre 2003) que la société Hôtel George V a fait procéder à la rénovation totale de l'hôtel qu'elle exploite avec le concours, notamment, de la société Duminvest, chargée de la "gestion du projet" et de la société Bouygues Bâtiment, entrepreneur ; que les travaux ont occasionné des nuisances aux immeubles voisins, exploités par la société Queen Elisabeth Hôtel, et par la société Marquis Hôtels Limited Partnership (Hôtel Prince de Galles), qui ont sollicité la réparation de leur préjudice ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal n° A 03-20.068 :
Attendu que la société Duminvest fait grief à l'arrêt de la condamner à payer des sommes aux sociétés Queen Elisabeth Hôtel et Marquis Hôtels, alors, selon le moyen, que la responsabilité sans faute qui dérive du principe selon lequel nul ne peut infliger à ses voisins de trouble anormal de voisinage ne peut être engagée que contre des personnes liées au demandeur par une relation stable de voisinage ; que tel n'est pas le cas des constructeurs, chargés par le propriétaire d'une mission temporaire de rénovation de son immeuble ; qu'en jugeant néanmoins que le voisin avait la possibilité d'agir tant contre le propriétaire de l'immeuble que contre le constructeur auteur du dommage sans être tenu de caractériser la faute de celui-ci, la cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble les articles 544 et 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que le propriétaire de l'immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l'origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal n° D 03-20.991 et sur le moyen unique des pourvois incidents, réunis, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé que, du fait des troubles de voisinage, et aux termes du rapport d'experts judiciaires critiqués par les parties de manière peu convaincante, le préjudice de l'Hôtel Prince de Galles était, en pourcentage du chiffre d'affaire estimé perdu relativement peu au-dessus de la normale, mais s'appliquait à des montants nettement plus conséquents, et que, pour le préjudice subi par l'Hôtel Queen Elisabeth, les pourcentages estimés de pertes de gains, 11 et 34 % et la baisse des taux d'occupation, étaient significatifs, la perte anormale étant caractérisée, la cour d'appel, qui n'était pas tenue, dans les rapports entre l'entrepreneur principal et le maître de l'ouvrage, de procéder à des recherches sur les troubles pouvant éventuellement provenir de sous-traitants, et qui a statué en se fondant sur des estimations de pertes de gains, a exactement retenu, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, que les troubles graves subis par les hôtels du voisinage engageaient la responsabilité de plein droit non seulement de la société Hôtel George V, mais également de l'entreprise chargée d'exécuter les travaux, et, sans accorder le plein des demandes, a souverainement déterminé le montant de la réparation du préjudice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi principal n° A 03-20.068 et le second moyen du pourvoi principal n° D 03-20.991, réunis :
Attendu que la société Duminvest et la société Bouygues font grief à l'arrêt de les condamner à garantir la société Hôtel George V du paiement des sommes mises à la charge de cette dernière au profit des propriétaires voisins, alors, selon le moyen :
1 / que l'affirmation d'une responsabilité des constructeurs à l'égard des voisins victimes de troubles de voisinage ne libère pas le maître de l'ouvrage, seul instigateur du chantier et des risques de gêne qu'il engendre, de l'obligation de supporter la charge définitive de l'indemnisation des victimes, sauf pour ce dernier à rapporter la preuve de manquements contractuels des constructeurs de nature à le libérer soit partiellement soit totalement ; qu'en accueillant le recours du maître de l'ouvrage contre les constructeurs "sans qu'il soit nécessaire de caractériser de faute à leur encontre", la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
2 / qu'en statuant comme elle l'a fait sans davantage caractériser un engagement spécial que les constructeurs auraient expressément souscrit à l'égard du maître de l'ouvrage de le tenir indemne de toute condamnation pour les troubles de voisinage que le chantier pourrait occasionner, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1792 et suivants du Code civil ;
3 / que le codébiteur d'une obligation in solidum ne peut répéter contre les autres que la part et portion de chacun d'eux ; qu'il s'ensuit que le juge saisi de recours récursoires entre coobligés in solidum est tenu de déterminer la part contributive de chacun d'eux, en fonction de la gravité des fautes et de leur rôle causal dans la production du dommage ou, à tout le moins, par parts viriles ; qu'en jugeant que l'Hôtel George V était fondé à exercer un recours subrogatoire intégral contre ses coobligés in solidum au motif inopérant qu'il était subrogé dans le bénéfice d'une responsabilité objective, la cour d'appel a violé l'article 1214 du Code civil ;
4 / qu'en affirmant qu'il n'était pas soutenu que le maître de l'ouvrage ait été pleinement informé des risques de troubles de voisinage, cependant que les conclusions de la société Duminvest ainsi que celles des deux hôtels victimes des troubles le soutenaient on ne peut plus clairement, la cour d'appel a dénaturé leurs écritures, en violation de l'article 1134 du Code civil ;
5 / que le rapport d'expertise avait relevé que, de par sa constitution même, les bâtiments de l'Hôtel George V avaient vocation à se comporter comme une véritable caisse de résonance propageant et amplifiant les bruits jusqu'aux murs et planchers mitoyens, que "cette situation était parfaitement connue par chacun des participants à la rénovation de l'hôtel bien avant l'entreprise du chantier puisque plusieurs campagnes avaient été entreprises à l'avance" ; que les experts concluaient leur rapport en observant que, "pour éviter au maximum la gêne apportée aux voisins pendant 18 mois, il eut fallu que le maître de l'ouvrage accepte de prendre en charge d'importants surcoûts de construction (désolidarisation de la structure et des mitoyens)", que "ces surcoûts n'ayant pas été admis par le maître de l'ouvrage, il revenait à la maîtrise d'oeuvre et à l'entreprise d'essayer de minimiser les nuisances", avec une marge de manoeuvre réduite, est-il précisé ; qu'en affirmant qu'il ne résultait pas du rapport d'expertise que le maître de l'ouvrage ait été pleinement informé des risques de troubles au voisinage et qu'il ait néanmoins prescrit la poursuite du chantier, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce rapport, en violation de l'article 1134 du Code civil ;
6 / que le subrogé ne peut exercer un recours pour le tout à l'encontre de l'un de ses codébiteurs qu'à la condition de démontrer qu'il était tenu pour celui-ci et non pas seulement avec celui-ci ; que, par ailleurs, l'entreprise n'est pas responsable de plein droit envers le maître de l'ouvrage des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage que les travaux ont causés au propriétaire voisin ; qu'il appartenait en conséquence au maître de l'ouvrage de démontrer que la dette qu'il avait payée incombait exclusivement aux entreprises à raison des fautes par elles commises ; qu'en accueillant entièrement le recours subrogatoire du maître de l'ouvrage contre les entreprises et en rejetant intégralement le recours de celles-ci à l'encontre de celui-là pour la raison qu'une telle action ne pouvait prospérer que s'il avait été démontré que le maître de l'ouvrage, pleinement informé des risques de troubles au voisinage existants et de leurs conséquences, avait entendu expressément décharger les constructeurs de toute responsabilité à cet égard, dispensant par là même le maître de l'ouvrage de justifier qu'il avait indemnisé les propriétaires voisins victimes de troubles anormaux de voisinage parce qu'il était tenu non avec les entreprises mais pour elles à cette indemnisation, la cour d'appel a violé les articles 1251-3 et 1315 du Code civil ;
7 / qu'en outre, en considérant qu'il appartenait à l'entreprise de démontrer que le maître de l'ouvrage, pleinement informé des risques de troubles au voisinage et de leurs conséquences, avait entendu expressément décharger les constructeurs de toute responsabilité, retenant ainsi à tort à l'encontre de ces derniers une présomption de responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage à raison des dommages que les travaux auraient causés aux voisins, la cour d'appel a violé les articles 544, 1147, 1382 et suivants ainsi que 1792 et suivants du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'Hôtel George V avait exécuté le jugement et payé les dédommagements accordés aux voisins par le Tribunal, et retenu qu'il n'était pas démontré par les contrats, les correspondances échangées et le rapport des experts que le maître de l'ouvrage ait été pleinement informé des risques de troubles au voisinage, ait entendu décharger les entreprises de leurs responsabilités, et ait prescrit dans ces conditions la poursuite du chantier, la cour d'appel en a déduit à bon droit, sans dénaturation, que du fait de la subrogation dont elle était bénéficiaire dans les droits des victimes, la société George V était fondée à obtenir la garantie totale des locateurs d'ouvrage auteurs du trouble, dont la responsabilité vis-à-vis du maître de l'ouvrage n'exigeait pas la caractérisation d'une faute ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne, ensemble, la société Duminvest et la société Bouygues Bâtiment à payer à la société Hôtel Georges V la somme de 2 000 euros, à la société Queen Elisabeth Hôtel la somme de 2 000 euros et à la société Marquis Hôtels Ltd Partnership la somme de 2 000 euros ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Bouygues Bâtiment à payer à la société Sifca la somme de 500 euros et à la société MR Architectes et Mme X..., ès qualités, ensemble, la somme de 500 euros ;

Publication : Bulletin 2005 III N° 136 p. 124
Revue de droit immobilier, 2005-09, n° 5, chroniques, p. 339-342, observations Philippe MALINVAUD.
Revue trimestrielle de droit civil, 2005-10, n° 4, chroniques, p. 788-790, observations Patrice JOURDAIN.

RCA 2005, comm. 288, note H. Groutel ;