Dérives anthropomorphiques de la personnalité morale :
ascendances et influences

V. Wester-Ouisse,
JCP G 2009, I, 137


Depuis les années 1990, la personnalité morale est de plus en plus traitée de manière anthropomorphique. Cette dérive ne connait guère de contestation dans la doctrine, qui accueille ainsi les influences d’une certaine mythologie politique, des théories du management, de la sociologie… Des auteurs et acteurs du monde des affaires voudraient nous convaincre de l’existence d’un "être vivant" doté d’un intérêt propre totalement distinct des intérêts des particuliers composant cette collectivité.



Sommaire et bibliographie

Un point d’équilibre avait pourtant été dégagé par la doctrine : la personne morale est une réalité technique, dans l’ordre juridique. Cet équilibre est bousculé depuis peu : si un conflit sourd aujourd’hui, ce n’est pas tant entre la théorie de la fiction et celle de la réalité, qu’entre deux théories de la réalité des personnes morales. Les auteurs affublent les personnalités morales de qualités et de droits que l’on aurait pensé réservés à l’être humain : « une entreprise, ça vit, ça meurt,… » entend-on souvent. Les influences de certaines théories de sociologues et de gestionnaires ont été déterminantes de cette tendance contemporaine. La doctrine justifie, par cette réalité organique (I) et l’intérêt propre dont cet être est doté (II), une certaine déresponsabilisation des dirigeants de société.

F. Zénati-Castaing, T. Revet, Manuel de droit des personnes, PUF 2008, n°1.
P. Conte, B. Petit, La personne, PUG 1994, n° 2

N. Matey, Les droits et libertés fondamentaux des personnes morales de droit privé, RTDCiv. 2008, 207.
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Doctrine ancienne :
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F. Laurent, Principes de droit civil, t. 1, Bruxelles, Bruylong-Christophe, 4e éd. 1887
Ihering, Esprit du Droit romain, trad. Meulenacre, t. 4, Paris, Maresq Ainé, 2e éd.
F.-C. Savigny, Traité de droit romain, ed. Paris II, 2002
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J. Hamel, La personnalité morale et ses limites, Dalloz 1949, 141.
L. Michoud, La théorie de la personnalité morale, t. 1, 3e éd., LGDJ 1924, réédité en 1998
R. Saleilles, De la personnalité juridique, Rousseau 2e éd. 1922
H. Capitant, A. Colin, J. de la Morandière, préc. Cours élémentaire de droit civil français, t. 1, Dalloz 1947, p. 117
G. Ripert, Les aspects juridiques du capitalisme moderne


I –L’entreprise « être vivant qui vit, qui meurt… »

A – Entreprise, être vivant et mystique politique

P. Le Cannu, Droit des sociétés, Montchrestien 2003, n° 298
G. Farjat, Entre les personnes et les choses, les centres d’intérêts : prolégomènes pour une recherche, RTDCiv. 2002, 233 et s., G. Farjat, Une reconnaissance de l’entreprise en droit français, RID éco. 1987, n° 3
E. Dreyer, Droit pénal général, Flammarion 2006
J. Pradel, A. Varinard, Grands Arrêts, Dalloz
J. Dupichot, M. de Juglart, B. Ippolito, Les sociétés commerciales, t. 2, Montchrestien 1999
A. et G. Decocq, Droit européen des affaires, LGDJ 2003
J. Paillusseau, Le droit des activités économiques à l’aube du XXIe s., Dalloz 2003, 260
F. Bénac-Schmidt, Essai sur la notion « d’être moral nouveau », D. 1992, chron 37
B. Mercadal, P. Janin, Sociétés commerciales, Lefebvre
M. Germain, Naissance et mort des sociétés commerciales, Mel. Roblot, p. 217
M. Boizard, Amende, confiscation,… in Responsabilité pénale des personnes morales, Rev. sociétés 1993, 330.
C. Champaud, Naissance progressive de la personnalité morale, RTDcom. 1969
J. Mestre, La protection indépendante du droit de réponse, des personnes physiques et des personnes morales contre l’altération de leur personnalité aux yeux du public, JCP 1974, I, 2623
Paul Valéry, Regards sur le monde actuel et autres essais, 1945 p. 82, http://classiques.uqac.ca
P. Durand, l’évolution de la conception juridique des personnes morales de droit privé, Mél. Rippert 1950, t. 1, p. 138

B – Entreprise, être vivant et théories managériales

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Y. Gattaz, Le francilien des experts comptables, nov. 2007 p. 16
F. Lemaître, 3e rencontres Sénatoriales de l’Entreprise, 31 janvier 2002
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H. Fayol, Administration industrielle et générale, Bulletin de la Société de l’Industrie minérale, 1916, réed. Dunod 1999
O. Gélinier, l’entreprise créatrice, Homme et technique, 1972
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F. Simiand, Revue de Métaphysique et de Morale, 1897, http://classiques.uqac.ca
M. Crozier, H. Sérieyx, Du management panique à l'entreprise du XXIe s., Maxima, 1994
Stafford Beer, The brain of the firm, Willey, 2e ed., 1994.
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P.-A. Delhommais, Le Monde, 26 oct. 2008
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M. Névot, note sous Cass. soc., 23 janv. 1990, JCP 1990, II, 21529
C.M.V. Clarkson, Corporate culpability

II – L’être moral doué d’une volonté et d’un intérêt propre

A – De l’intérêt du groupement à l’intérêt de l’être moral

R. Demogue, La notion de sujet de droit, RTDCiv 1909, 630
Y. Guyon, Droit des affaires, t. 1, n° 128
G. Lebon, « Psychologie des foules », 1e éd. 1895, http://classiques.uqac.ca
Rousseau, Du contrat social

B - L’intérêt de l’être moral en question

D. Vidal, La personnalité morale des sociétés entre réalité et fictivité, Rev. Huissiers 1993, 137.
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M. Despax, L’entreprise et le droit, LGDJ 1957
G. Goffaux-Callebaut, La définition de l’intérêt social, RTDCom. 2004 p. 35.
A. Pirovano, La « boussole » de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ? D. 1997, p. 189
J. Paillusseau, La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Bib. Droit comp., t. 17, S. 1967
J.-P. Marguénaud, La personnalité juridique des animaux, D. 1998, chron. p. 205
G. Blanc-Jouvan, L’unité économique et sociale et la notion d’entreprise, Droit social 2005, 68

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