La médiation pénale, remède ou intermède ?
appréciation critique et propositions
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V. Wester-Ouisse, M.-C. Desdevises
Actes du colloque « Médiations », MSH Ange Guépin, Nantes, mai 2000

 

Intervention lors du colloque interdisciplinaire "Médiations", en 2000,
à deux voix, avec M.-C. Desdevises, présentant les arguments favorables à la médiation.

Arguments défavorables :

La médiation pénale comporte de nombreux défauts, non en ce qu’elle permet une discussion entre la victime et l’accusé, mais dans la façon dont elle est organisée et comprise.

1 - Elle remet en cause des principes fondamentaux de la procédure pénale. Rappelons que celle-ci a pour fonction essentielle l’organisation d’un procès équitable, respectant la liberté et les droits de chacun.
Avec les médiations, l’égalité entre les justiciables n’est pas respectée à plusieurs égards. Les critères de sélection des affaires varient beaucoup d’une ville à l’autre ; les populations socialement défavorisées sont sur-représentées puisque les médiations s’orientent vers les quartiers défavorisés. L’« égalité des armes » entre victime et délinquant n’est pas garantie puisque la présence des avocats est rarissime ; chacun peut pâtir d’un rapport de force économique ou psychologique déséquilibré. Dès lors, la victime voit ses dommages souvent sous-évalués par une appréciation trop rapide (la préoccupation essentielle est le reclassement du délinquant). De plus, l’exécution de l’accord n’est garantie par aucune force exécutoire et est laissée à la merci de la bonne volonté du délinquant.
On peut concevoir quelques craintes quant au respect de la présomption d’innocence. L’accusé qui accepte une médiation reconnaît ipso facto qu’il a commis l’acte ; il y a donc aveu et culpabilité affirmée hors de tout jugement. Cependant, cette crainte doit être nuancée : l’aveu n’emporte aucune présomption de culpabilité en cas de procès pénal car il n’est qu’un élément de preuve parmi d’autres. Il demeure que la séparation des autorités de poursuite et de jugement n’est plus respectée. Dans une procédure classique, le parquet poursuit, le juge affirme la culpabilité. Cette séparation participe au souci d’équité du procès pour l’accusé. Ici, il y a poursuite et affirmation d’une culpabilité dans un même mouvement. Il serait, dès lors, souhaitable que la médiation pénale fasse l’objet d’une homologation par une juridiction de jugement. C’est d’ailleurs le cas pour la médiation civile.

2 - De façon plus générale, les médiations pénales manifestent un oubli des fonctions classiques du droit pénal. La médiation a comme souci premier les intérêts privés : on poursuit la réparation des victimes et la réinsertion des délinquants. Le bien commun, l’intérêt de la société, sont oubliés, au point que certains comparent (de façon quelque peu exagérée) la médiation à la vengeance privée. Il en résulte que les médiations ignorent la dimension de l’opprobre sociale, n’obtenant qu’une paix sans vainqueur entre deux protagonistes. Il serait souhaitable d’introduire cette dimension de l’opprobre sociale dans les médiations. Une première solution serait de renforcer le rôle du parquet lors des médiations, voire à faire des juridictions elles-mêmes des lieux de médiation. Une autre voie consisterait à faire en sorte que le procureur, qui est à l’initiative de la médiation, introduise cette considération dans son choix, en se demandant si l’accusé a besoin d’un rappel au civisme, en plus de la prise de conscience du mal causé à autrui.
Une des fonctions classiques du droit pénal est également la répression, dimension « démodée » soigneusement évitée par la médiation. Seul le souci d’amendement demeure. Or, si la médiation peut avoir des effets sur la récidive, son effet dissuasif général est inexistant. Dans les discours de nombreux promoteurs de la médiation, la sanction n’est que désir de vengeance, ce désir étant stigmatisé. La victime et le délinquant sont même mis sur le même plan. On peut lire notamment : « la victime doit parler avec son délinquant », « réinsertion du couple délinquant-victime » et certains posent enfin la « vraie » question « la victime est-elle coupable ? ». La négation de la responsabilité, l’atténuation de la gravité de l’acte, sont des discours anesthésiants qui ne peuvent amener le délinquant à changer de comportement.

3 - Enfin, selon ses partisans, les médiations pénales seraient un moyen « efficace et économique » de résorber les maux du système judiciaire, décrit comme « inefficace, coûteux, lourd, maladroit ». Ce discours est emprunt de logique entrepreneuriale, qui prône l’efficacité, la rentabilité, alors que l’œuvre de justice doit chercher la solution, non la plus efficace, mais la plus juste, ce qui suppose, un travail rigoureux et réfléchi. La justice en temps réel ne serait-elle pas la justice de l’air du temps ?
Le droit n’est pas une simple technique, il doit être porteur de sens. Les médiations ne sont aucunement économiques : elles n’allègent pas la charge des tribunaux puisqu’elles traitent de dossiers qui auraient été classés sans suite. Au contraire, les magistrats ont en charge leur organisation et leur surveillance. Elles nécessitent la mise en place de personnels, de locaux, de systèmes de formation, donc de nouveaux financements.
Des auteurs prônant les médiations reprochent aux juridictions leurs a priori idéologiques, leur esprit répressif,… Cependant, les médiations sont aujourd’hui prises en charge principalement par deux associations (l’INAVEM et le CLCJ), détenant ainsi un quasi-monopole de cette branche privatisée de la justice … sont-elles exemptes de toute idéologie ? Si l’INAVEM reste dominée par le ministère de la justice, le CLCJ montre des aspirations communautaristes. Citons encore l’association « SOS agression-conflit » qui nie toute spécificité du rôle du juge (« nous sommes tous des médiateurs ») et nie souvent le statut de victime. De telles dérives restent rares et localisées.

Il demeure que l’idée de discussion approfondie et prolongée entre les deux protagonistes majeurs du procès pénal ne peut qu’être positive. C’est son cadre et son déroulement qui posent problème.

 

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