Intervention
lors du colloque interdisciplinaire "Médiations", en
2000,
à deux voix, avec M.-C. Desdevises, présentant les arguments
favorables à la médiation.
Arguments
défavorables :
La médiation pénale comporte de nombreux
défauts, non en ce qu’elle permet une discussion entre la
victime et l’accusé, mais dans la façon dont elle
est organisée et comprise.
1 - Elle remet en cause des principes fondamentaux de
la procédure pénale. Rappelons que celle-ci a pour fonction
essentielle l’organisation d’un procès équitable,
respectant la liberté et les droits de chacun.
Avec les médiations, l’égalité entre les justiciables
n’est pas respectée à plusieurs égards. Les
critères de sélection des affaires varient beaucoup d’une
ville à l’autre ; les populations socialement défavorisées
sont sur-représentées puisque les médiations s’orientent
vers les quartiers défavorisés. L’« égalité
des armes » entre victime et délinquant n’est pas garantie
puisque la présence des avocats est rarissime ; chacun peut pâtir
d’un rapport de force économique ou psychologique déséquilibré.
Dès lors, la victime voit ses dommages souvent sous-évalués
par une appréciation trop rapide (la préoccupation essentielle
est le reclassement du délinquant). De plus, l’exécution
de l’accord n’est garantie par aucune force exécutoire
et est laissée à la merci de la bonne volonté du
délinquant.
On peut concevoir quelques craintes quant au respect de la présomption
d’innocence. L’accusé qui accepte une médiation
reconnaît ipso facto qu’il a commis l’acte ; il y a
donc aveu et culpabilité affirmée hors de tout jugement.
Cependant, cette crainte doit être nuancée : l’aveu
n’emporte aucune présomption de culpabilité en cas
de procès pénal car il n’est qu’un élément
de preuve parmi d’autres. Il demeure que la séparation des
autorités de poursuite et de jugement n’est plus respectée.
Dans une procédure classique, le parquet poursuit, le juge affirme
la culpabilité. Cette séparation participe au souci d’équité
du procès pour l’accusé. Ici, il y a poursuite et
affirmation d’une culpabilité dans un même mouvement.
Il serait, dès lors, souhaitable que la médiation pénale
fasse l’objet d’une homologation par une juridiction de jugement.
C’est d’ailleurs le cas pour la médiation civile.
2 - De façon plus générale, les
médiations pénales manifestent un oubli des fonctions classiques
du droit pénal. La médiation a comme souci premier les intérêts
privés : on poursuit la réparation des victimes et la réinsertion
des délinquants. Le bien commun, l’intérêt de
la société, sont oubliés, au point que certains comparent
(de façon quelque peu exagérée) la médiation
à la vengeance privée. Il en résulte que les médiations
ignorent la dimension de l’opprobre sociale, n’obtenant qu’une
paix sans vainqueur entre deux protagonistes. Il serait souhaitable d’introduire
cette dimension de l’opprobre sociale dans les médiations.
Une première solution serait de renforcer le rôle du parquet
lors des médiations, voire à faire des juridictions elles-mêmes
des lieux de médiation. Une autre voie consisterait à faire
en sorte que le procureur, qui est à l’initiative de la médiation,
introduise cette considération dans son choix, en se demandant
si l’accusé a besoin d’un rappel au civisme, en plus
de la prise de conscience du mal causé à autrui.
Une des fonctions classiques du droit pénal est également
la répression, dimension « démodée »
soigneusement évitée par la médiation. Seul le souci
d’amendement demeure. Or, si la médiation peut avoir des
effets sur la récidive, son effet dissuasif général
est inexistant. Dans les discours de nombreux promoteurs de la médiation,
la sanction n’est que désir de vengeance, ce désir
étant stigmatisé. La victime et le délinquant sont
même mis sur le même plan. On peut lire notamment : «
la victime doit parler avec son délinquant », « réinsertion
du couple délinquant-victime » et certains posent enfin la
« vraie » question « la victime est-elle coupable ?
». La négation de la responsabilité, l’atténuation
de la gravité de l’acte, sont des discours anesthésiants
qui ne peuvent amener le délinquant à changer de comportement.
3 - Enfin, selon ses partisans, les médiations
pénales seraient un moyen « efficace et économique
» de résorber les maux du système judiciaire, décrit
comme « inefficace, coûteux, lourd, maladroit ». Ce
discours est emprunt de logique entrepreneuriale, qui prône l’efficacité,
la rentabilité, alors que l’œuvre de justice doit chercher
la solution, non la plus efficace, mais la plus juste, ce qui suppose,
un travail rigoureux et réfléchi. La justice en temps réel
ne serait-elle pas la justice de l’air du temps ?
Le droit n’est pas une simple technique, il doit être porteur
de sens. Les médiations ne sont aucunement économiques :
elles n’allègent pas la charge des tribunaux puisqu’elles
traitent de dossiers qui auraient été classés sans
suite. Au contraire, les magistrats ont en charge leur organisation et
leur surveillance. Elles nécessitent la mise en place de personnels,
de locaux, de systèmes de formation, donc de nouveaux financements.
Des auteurs prônant les médiations reprochent aux juridictions
leurs a priori idéologiques, leur esprit répressif,…
Cependant, les médiations sont aujourd’hui prises en charge
principalement par deux associations (l’INAVEM et le CLCJ), détenant
ainsi un quasi-monopole de cette branche privatisée de la justice
… sont-elles exemptes de toute idéologie ? Si l’INAVEM
reste dominée par le ministère de la justice, le CLCJ montre
des aspirations communautaristes. Citons encore l’association «
SOS agression-conflit » qui nie toute spécificité
du rôle du juge (« nous sommes tous des médiateurs
») et nie souvent le statut de victime. De telles dérives
restent rares et localisées.
Il demeure que l’idée de discussion approfondie
et prolongée entre les deux protagonistes majeurs du procès
pénal ne peut qu’être positive. C’est son cadre
et son déroulement qui posent problème.
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