Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 7 novembre 2001

N° de pourvoi: 01-80592
Publié au bulletin
Cassation

CASSATION sur le pourvoi formé par :
- la Caisse de Crédit Mutuel de Cannes, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 30 novembre 2000, qui, sur renvoi de cassation dans la procédure suivie contre Michel X... pour vol, abus de confiance, faux et usage de faux, a prononcé sur les intérêts civils.

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 311-1 du Code pénal, 2 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a limité la réparation du préjudice subi par la Caisse de Crédit Mutuel de Cannes à la somme de 200 445,62 francs et dit que, par sa faute, ladite Caisse avait participé pour moitié à la réalisation de son préjudice ;

" aux motifs que les dispositions pénales ayant condamné Michel X... pour avoir frauduleusement soustrait au préjudice du Crédit Mutuel et de Annette Y... 250 000 francs et des bons de capitalisation telles qu'elles résultent de l'arrêt de la cour d'Aix-en-Provence du 30 juin 1994 étaient devenues définitives faute de pourvoi sur l'action publique contre cet arrêt ; que, dès lors, le Crédit Mutuel de Cannes qui, agissant comme commettant de Michel X... avait réparé auprès de la victime du vol commis par son préposé le préjudice subi par elle, était fondé à réclamer à celui-ci, du moins dans son principe, la réparation du préjudice entraîné pour lui par ce décaissement et qui présentait un caractère personnel à l'établissement de crédit, lequel n'agissait pas en vertu d'une transmission d'action ; que les circonstances dans lesquelles les faits avaient été perpétrés, telles qu'elles résultaient de l'information mettaient en évidence la totale déficience du système de contrôle décrit par le directeur de l'agence bancaire en vertu duquel les bons de capitalisation avaient été remboursés, d'une part, en ce que le décaissement du 27 février 1989, pour la somme de 108 610 francs, correspondant à un premier remboursement des deux bons n'avait fait l'objet d'aucune pièce de caisse et, d'autre part, en ce que le décaissement du 30 mars 1989, pour la somme de 139 208,54 francs, correspondant à un second versement, s'il avait fait l'objet de pièces signées par Michel X..., n'avait pas été soumis à la procédure de validation du sous-directeur habilité à cet effet ; que, sur un plan plus général, les investigations des enquêteurs avaient fait apparaître, au sein de l'agence, un laxisme généralisé dont la mise à l'écart et les poursuites disciplinaires exercées contre plusieurs agents, y compris appartenant à l'encadrement, étaient l'illustration ; que même si cette entreprise bancaire avait réagi comme il convenait à une certaine époque, elle ne pouvait contester avoir été, par la tolérance prolongée ou l'insuffisante prévention de ses dysfonctionnements antérieurs, à l'origine de son propre dommage dans des proportions qui seront fixées à la moitié ;

" alors, d'une part, que la victime d'une soustraction frauduleuse, qu'elle soit propriétaire ou détenteur de la chose, a droit à la réparation de son préjudice, non pas dans son principe, mais dans sa totalité ; que ce principe de la réparation intégrale du préjudice s'applique à tous les préjudices résultant de l'infraction ; que, dès lors qu'il était établi, par la condamnation pénale devenue définitive, que Michel X... avait frauduleusement soustrait des bons de capitalisation à concurrence de 250 000 francs au préjudice du Crédit Mutuel, détenteur de ces bons, et que le Crédit Mutuel avait dû rembourser au propriétaire la somme de 250 000 francs outre la somme de 50 891,25 francs représentant les intérêts sur ladite somme depuis le 4 novembre 1987, l'auteur de la soustraction frauduleuse devait réparer le préjudice subi par la banque dans sa totalité, c'est-à-dire capital et intérêts compris, et non pas seulement pour moitié ;

" alors, d'autre part, que la faute commise par le propriétaire ou le détenteur de la chose frauduleusement soustraite ne peut, en aucun cas, justifier un partage de responsabilité au préjudice de la victime ; que, dès lors, sont inopérantes les énonciations caractérisant une prétendue faute du Crédit Mutuel dans la gestion de son agence ; qu'ainsi le partage de responsabilité opéré par les juges d'appel au préjudice du Crédit Mutuel de Cannes est illégal ;

" alors, enfin, que le fait que le Crédit Mutuel, détenteur des bons et des fonds appartenant à Annette Y..., ait réparé le préjudice subi par cette dernière en sa qualité de commettant de Michel X... n'est pas de nature à le priver de son droit à obtenir réparation de la totalité du préjudice direct qu'il a subi en sa qualité de détenteur des fonds et titres volés, dans son établissement, par son employé ; que cette circonstance, relevée par l'arrêt attaqué, est inopérante pour justifier sa décision " ;

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu qu'aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d'une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens ;

Attendu que, pour décider que la Caisse du Crédit Mutuel de Cannes devait supporter pour moitié les conséquences du vol commis à son préjudice par Michel X..., la cour d'appel énonce que les investigations des enquêteurs ont fait apparaître, au sein de l'agence, un laxisme généralisé et que cette entreprise s'était trouvée, par la tolérance prolongée, ou l'insuffisante prévention de ses dysfonctionnements à l'origine de son propre dommage dans des proportions fixées à la moitié ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé, et du principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE
Publication : Bulletin criminel 2001 N° 230 p. 748

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 14 juin 2006

N° de pourvoi: 05-82900
Publié au bulletin
Cassation
Statuant sur les pourvois formés par : - X... Alexandre,- Y... Francis,- Z... Claude,
- L'AGENCE GUADELOUPEENNE D'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE (AGAT),
partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, chambre correctionnelle, en date du 25 novembre 2004, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre les trois premiers, des chefs de complicité et recel d'abus de biens sociaux, a prononcé sur les intérêts civils ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, de 1978 à 1982, des lettres de change ont été tirées, sous le couvert de marchés de travaux fictifs, par la société Entreprise antillaise des travaux de terrassement (EATT) gérée par Maurice A..., sur la société de développement de la Guadeloupe (SODEG), devenue l'Agence guadeloupéenne d'aménagement du territoire (AGAT), qui, après acceptation, a été tenue, à l'échéance, de les payer aux banques les détenant dans le cadre d'opérations d'escompte ;

Que, sur le renvoi ordonné par un juge d'instruction, les dirigeants et collaborateurs de la SODEG ont été poursuivis et condamnés, par jugement du tribunal correctionnel du 6 avril 2001 et par arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, du 30 avril 2002, Philippe B... pour avoir, en sa qualité de directeur général, abusé des biens de la société SODEG, en détournant une somme de 71 318 098,85 francs au profit de la société EATT, José C... et Serge D..., respectivement comptable et directeur administratif, pour complicité, le premier, en établissant sciemment les traites et en rachetant une partie de ces effets avec des chèques et des espèces provenant de la société SODEG, le second en signant en toute connaissance ces effets de commerce dépourvus de cause ; que Maurice A... et son épouse Henriette E... ont été déclarés coupables de recel des sommes détournées ; qu'en revanche, Claude Z..., directeur de la société Chase Manhattan Bank, Francis Y..., directeur du crédit de cet établissement financier, et Alexandre X..., directeur de la société de banque Crédit guadeloupéen, auxquels il était reproché d'avoir favorisé la circulation et l'escompte des traites de complaisance, ont été relaxés des chefs de complicité d'abus de biens sociaux et de complicité de recel ;

Que, par arrêt du 3 décembre 2003, la Cour de cassation a, sur le pourvoi de l'AGAT, cassé et annulé l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Basse-Terre, en ses seules dispositions ayant débouté la partie civile de ses demandes de dommages et intérêts et au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

Que, par l'arrêt attaqué, la cour d'appel de renvoi retient que les faits caractérisent le délit de recel d'abus de biens sociaux à l'encontre de Claude Z..., de Francis Y... et d'Alexandre X... mais que l'action civile dirigée contre leurs commettants, civilement responsables, est prescrite ; que, pour débouter la partie civile de ses demandes en dommages-intérêts, les juges relèvent, notamment, que le préjudice résultant des détournements a été réparé par l'exécution de protocoles transactionnels et que des fautes imputables à la victime ont concouru à la réalisation du dommage ;

En cet état :

(…)

Et, sur le deuxième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-caen, Fabiani et Thiriez pour la société AGAT, pris de la violation des articles 1382, 2044 du code civil, 437 de la loi du 24 juillet 1966, L. 242-6 du code de commerce, 460, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile de sa demande de dommages et intérêts en considérant que le préjudice avait été réparé par un protocole d'accord portant apurement de son passif ;

"aux motifs qu' "il résulte des pièces versées aux débats, qu'à une date non précisée, mais pouvant être située en 1987, un protocole d'accord concernant l'apurement du passif de l'AGAT dans le cadre de la dissolution de la société a été signé entre l'Etat, le département de la Guadeloupe, la Caisse centrale de coopération économique et la Caisse des dépôts et consignations ;

que ce protocole a manifestement eu, en partie, pour objet le remboursement du passif de la société résultant du détournement estimé à l'époque à environ 70 millions de francs ; que, certes, les prévenus n'ont pas été parties à ce protocole ; que, cependant, la seule lecture du document permet de se convaincre que la SODEG a contracté, entre 1982 et 1987, un prêt de 70 millions auprès de la Caisse des dépôts et consignations, garanti à parité par le département et l'Etat, ensuite en avril 1984, deux autres prêts participatifs pour un montant global de 32 millions de francs, consentis par la SODEGA et le département de la Guadeloupe ;

que le montant du prêt de 70 millions avait de toute évidence pour objet la réparation totale du sinistre né des infractions pénales supportées par la SODEG ; que cet objectif résulte en effet clairement du préambule du protocole : "en juin 1981, la société SODEG découvrait l'important détournement de fond dont elle était victime. Cette situation nécessitait la mise en oeuvre d'un premier plan de redressement qui se traduisait, dès 1982, par la mobilisation par la société auprès de la Caisse des dépôts et consignations d'un prêt de 70 millions de francs garanti à parité par le département et par l'Etat" ; qu'il est exact que, dans le cadre de la liquidation de l'AGAT, le liquidateur a entrepris de rembourser des "appels de fonds" à ses créanciers dont l'Etat, le département, la Caisse des dépôts et la SODEGA ; que, cependant, l'appelante ne justifie pas de la ventilation de ses "reversements de trésorerie" ; qu'il est, en l'état du dossier, impossible de savoir si ces reversements ont été affectés au remboursement des prêts octroyés dans le cadre du détournement de fonds car d'autres prêts, sans relation avec l'affaire, étaient en cours à la même période : qu'il peut d'ailleurs être soutenu, ainsi que l'argumentent certains des intimés, qu'il ne résulte nullement du protocole de 1987 que les sommes avancées par l'Etat ou le département dans le cadre de l'apurement du passif de la société aient été destinées à être remboursées ; qu'il pouvait s'agir de subventions ; qu'en tout état de cause, non seulement cette
obligation de remboursement, nécessairement, à la charge de la SODEG ou de l'AGAT ne résulte d'aucun terme du protocole mais n'est pas même évoquée par les différents signataires ; qu'en revanche, il résulte de ce même document qu'entre l'Etat, le département, la Caisse centrale, la Caisse des dépôts et consignations, il a été convenu des dispositions permettant de procéder à la liquidation amiable de l'AGAT dans les meilleures conditions : 1 ) l'Etat confirme la garantie à 50% de l'emprunt de 70 millions capital et intérêts ;

2 ) le département confirme la garantie à 50 % de l'emprunt de 70 millions de francs dans les mêmes conditions ;

3 ) Le présent protocole et ses annexes confèrent aux engagements un caractère irrévocable : qu' enfin, si l'AGAT a demandé, pour la première fois, en février 2001, la capitalisation des intérêts sur les sommes restant dues, elle ne saurait, comme elle le fait dans ses conclusions, en faire remonter les effets en 1981 alors que le préjudice n'est encore pas fixé, ni certain, dans les termes qu'elle revendique ; qu'enfin, il sera précisé, qu'à la suite du versement de ce prêt de 70 millions, le déficit structurel de l'AGAT s'est poursuivi alors même que les détournements, objet du présent litige avaient cessé ; qu'il a fallu six ans pour que le maintien de la SODEG, considéré par le préfet de la Guadeloupe dans son rapport fait au conseil général du département lors de la seconde session de 1981 comme répondant "à une volonté clairement manifestée par votre assemblée de conserver cet outil nécessaire au développement du département", fasse place à la décision, lors d'une assemblée générale du 27 novembre 1987, de dissoudre, par anticipation, la société ; que, s'agissant du préjudice financier et économique, que la cour constate, ainsi qu'il vient d'être rappelé, l'existence d'accords partiels avec certaines banques (BRED, Chase Manhattan Bank), un abandon de créances par d'autres établissements bancaires (BNP, Crédit Martiniquais en particulier) pour un montant global d'environ 15 millions de francs, enfin l'existence du protocole de 1987 qui a indiscutablement pris en compte la totalité du préjudice financier et économique, tel qu'évalué par la SODEG en 1981, pour 70 millions de francs" ;

"alors que, d'une part, les juges du fond doivent réparer intégralement le préjudice résultant d'une infraction ; qu'un protocole d'accord portant apurement du passif d'une société vise à éteindre les dettes de cette dernière et n' a pas pour objet de réparer le préjudice résultant d'une infraction alors même que celle-ci serait à l'origine du passif apuré ; que, par conséquent, un tel protocole d'accord ne peut être pris en compte dans l'évaluation de la réparation due à la victime pour le préjudice causé par l'infraction ;

que, par ailleurs, un protocole d'accord d'apurement du passif d'une société, alors que celui-ci trouverait son origine dans la commission de l'infraction, ne peut pas limiter la réparation due par l'auteur de cette infraction lorsque celui-ci n'a pas été partie audit protocole, lequel ne peut dès lors s'analyser en une transaction sur la réparation ; que, par conséquent, en refusant d'allouer des dommages et intérêts à la société AGAT, au motif qu'avait été passé un protocole d'accord concernant l'apurement du passif de la société AGAT, alors que ce protocole n'avait pas pour objet la réparation du préjudice causé par les abus de biens sociaux et que les intimés n'y étaient pas parties, ce que ne nie pas la cour d'appel, celle-ci a violé le principe susénoncé ;

"alors que, d'autre part, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice résultant d'une infraction, ils ne sauraient fonder leur appréciation sur des motifs insuffisants, contradictoires ou ne répondant pas aux conclusions des parties ;

que le préjudice de la victime de détournements de fonds ne peut éventuellement être réparé par le paiement par un tiers des dettes résultant de ce détournement que lorsque les sommes ainsi remises lui sont définitivement acquises ; que, pour considérer que le préjudice de la partie civile avait été réparé par le protocole d'accord portant apurement du passif, la cour d'appel a considéré qu'il n'était pas établi que ce protocole portait sur un prêt et que la partie civile n'établissait à cet égard pas qu'elle avait dû rembourser ledit prêt ;

que la cour d'appel se prononce par des motifs contradictoires dès lors qu'elle constate elle-même que le protocole portait sur un prêt garanti pour moitié par l'Etat et pour moitié par le département et dès lors qu'il importait peu de savoir si ce prêt avait déjà fait l'objet de remboursement de la part de la partie civile, le remboursement pouvant éventuellement en être demandé à la partie civile, soit par le prêteur, soit par les collectivités publiques qui avaient apporté leur garantie, celles-ci pouvant souhaiter attendre que la partie civile ait été indemnisée de son préjudice pour en demander remboursement, et en méconnaissant les termes de ce protocole qui prévoyait que les sommes qui seraient récupérées par la société contre les auteurs de l'infraction seraient reversées aux garants ;

"alors, enfin, que les juges du fond doivent réparer le préjudice dans les limites des conclusions des parties ; qu'en faisant état de l'abandon de créances par la BNP et le Crédit martiniquais alors qu'aucune des parties n'avaient invoqué ce fait comme venant limiter le droit à réparation des prévenus, la cour d'appel a violé le principe ci-dessus rappelé" ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-caen, Fabiani et Thiriez pour la société AGAT, pris de la violation des articles 1382 et 2044 du code civil, 437 de la loi du 24 juillet 1966, L. 242-6 du code de commerce, 460 du code pénal, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre des personnes définitivement condamnées, comme des dirigeants de la Chase Manhattan Bank et du Crédit guadeloupéen, aux droits de laquelle venait la BRED, qui ont été déclarés responsables de recel d'abus de biens sociaux ;

"aux motifs que, "une transaction a été signée, le 4 mai 1982, entre la SCET et les banques Chase Manhattan et la BRED, venue aux droits du Crédit guadeloupéen ; que, si l'AGAT soutient que cette transaction ne lui serait pas opposable au motif qu'elle n'en aurait pas été directement signataire, il n'en demeure pas moins que la société centrale pour l'équipement du territoire a bien cherché, au nom et pour la SODEG, un accord transactionnel, avec certains des établissements financiers entretenant des relations commerciales avec elle ; qu'il convient en effet de rappeler que, le 29 avril 1982, la SCET International, agissant en vertu "du mandat qui m'a été conféré par la SODEG lors de ses conseils d'administration du 30 octobre 1981" demandait à la Chase Manhattan Bank de confirmer votre accord sur les dispositions suivantes qui régleraient, conformément au plan de redressement approuvé par les pouvoirs publics, les problèmes qui sont apparus entre la Chase Manhattan Bank et la SODEG à la suite de l'escroquerie dont cette dernière a été victime ; qu'aux termes de cet accord, la SODEG remboursait à la Chase Manhattan Bank son découvert, net d'intérêts échus, pour plus de 9 millions de francs, la banque abandonnant en contre-partie les intérêts courus sur cette somme et s'engageant à ne pas présenter au
paiement trois effets tirés sur la SODEG pour un montant supplémentaire d'environ 3 millions de francs et s'engageant enfin à poursuivre prioritairement sur le tiré (Antilles Automobiles) quatre effets totalisant 2 630 000 francs ; que, pour sa part, la BRED s'engageait à ne pas présenter au paiement 5 effets escomptés par EATT pour un montant de plus de 4 400 000 francs représentant plus de 80% de sa ligne d'escompte à cette date ; que ces propositions ont été acceptées par les banques et ont été exécutées ; qu'en droit, cet échange de lettre doit bien s'analyser comme emportant transaction et qu'en tout état de cause, l'AGAT ne saurait désormais venir réclamer aux banquiers, personnes physiques, les sommes ayant fait l'objet de cette transaction, qui, si elle est intervenue antérieurement au dépôt du rapport d'expertise Thorin-Fourcade du mois de novembre 1982, n'en a pas moins pris en compte certains des éléments, déjà parfaitement connus de ce rapport" ;

"alors que, d'une part, les transactions ne sont opposables qu'aux parties ; qu'un mandataire ne peut agir pour l'une des parties qu'en vertu d'un mandat exprès et, en tout état de cause, d'un mandat écrit lorsqu'il porte un objet d'une valeur supérieure à celle visée dans l'article 1341 du code civil ;qu'en l'espèce, il était soutenu dans les conclusions régulièrement déposées pour la partie civile, que la prétendue transaction aurait été passée par la SCET qui s'était prétendue mandataire de l'AGAT, sans qu'aucun mandat exprès ait pu être présenté et alors que la partie civile niait avoir donné un tel mandat, et que, dans ces conditions, ce mandat ne lui était pas opposable ; qu'en effet, nul ne peut se préconstituer de preuve à soi-même ; que, par ailleurs, le mandat se prouve par écrit en vertu de l'article 1341 du code civil ;

que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait considérer que ce mandat était établi en se contentant de constater que les lettres échangées qui seraient constitutives de transaction indiquaient que le SCET agissait en vertu d'un mandat de la partie civile, pour estimer que celui-ci lui était opposable, comme la prétendue transaction qui en résultait ;

"alors que, d'autre part, l'auteur d'une infraction étant tenu de réparer intégralement le préjudice en résultant, il ne saurait se prévaloir d'un protocole d'accord auquel il n'était pas partie pour soutenir qu'il ne doit pas indemniser la victime ; que, dès lors, les dirigeants des deux banques en cause, en l'espèce, ne pouvaient pas invoquer le bénéfice d'une transaction à laquelle ils n'étaient pas parties pour exclure tout ou partie de l'indemnisation du préjudice subi par la partie civile et d'autant que la cour d'appel constatait que le protocole avait été passé en vue de permettre le redressement de la société, et non pour réparer le préjudice auquel auraient participé les salariés des deux banques, parties à ce protocole ;

"alors que, de troisième part, en vertu de l'article 2048 du code civil, les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ;

qu'en l'espèce, faute d'avoir constaté à quels droits renonçaient les parties par l'échange des lettres du 29 avril 1982 et du 4 mai 1982, l'arrêt n'a pu justifier la décision par laquelle il a estimé qu'était en cause une transaction sur la réparation du préjudice né des infractions en cause, limitant ou excluant le droit à réparation de la partie civile ;

"alors qu'enfin, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice résultant d'une infraction, ils ne sauraient fonder leur appréciation sur des motifs insuffisants, contradictoires ou ne répondant pas aux conclusions des parties ;

que le préjudice de la victime de détournements de fonds ne peut éventuellement être réparé par le paiement par un tiers des dettes résultant de ce détournement que lorsque les sommes ainsi remises lui sont définitivement acquises ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui constatait que les banques n'avaient pas renoncé à tout paiement de créances qu'elles s'engageaient à présenter prioritairement aux tirés, ne pouvait en déduire que la transaction portant sur ces créances comportait limitation du droit à réparation de la partie civile pour une somme comportant le montant de cette créance, sans violer le principe selon lequel la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice" ;

Sur le cinquième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-caen, Fabiani et Thiriez pour la société AGAT, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile de sa demande de réparation du préjudice moral subi par la partie civile ;

"aux motifs que, "en ce qui concerne le préjudice moral, à supposer qu'il existe, la faute de surveillance du conseil d'administration et des représentants de la SCET apparaît à la cour déterminante dans sa réalisation ; que, sur ce dernier point également, l'appelante sera déboutée de ses demandes ; que, ce n'est pas sans pertinence que les intimés font également plaider un partage de responsabilité en raison de la participation de la SODEG à la réalisation de son propre dommage ; que les engagements financiers de la SODEG étaient en théorie, étroitement contrôlés, puisqu'aussi bien, en dehors de son actionnariat composé des collectivités territoriales et de la Caisse des dépôts et consignations, elle avait comme commissaire aux comptes l'inspecteur principal du Trésor et un comptable agréé ;

qu'elle avait par ailleurs, comme administrateur, non seulement des représentants des communes et du département, mais aussi le préfet de la Guadeloupe, le trésorier payeur général du département et pour la Caisse des dépôts et consignations, via la SCET International, son directeur général ; que le contrôle des travaux réalisés par la SODEG, leur réalité, leur coût, les visas préalables aux règlements des entreprises étaient de la compétence du Bureau d'études Caraïbes (BECAR) créé par la SCET ; qu'enfin, les comptes et les bilans de la SODEG, avant d'être approuvés par le conseil d'administration, devaient être certifiés par les deux commissaires aux comptes ; qu'il résulte à l'évidence de l'examen des documents, circonstances et faits de la cause que, dans le cadre d'une vigilance normalement exercée, une prise de conscience de la situation par l'ensemble des intervenants aurait dû intervenir antérieurement au refus du cabinet d'expertise comptable Jouffre, en 1981, de certifier le bilan, le compte d'exploitation générale et le compte de pertes et profits, en raison d'anomalies affectant notamment les exercices 1979 et 1980 ; qu'à supposer même, que, sur la totalité des paiements litigieux, soit environ 55 millions de francs, certains se soient trouvés justifiés par des situations de travaux discutées ou égarées, selon les explications données lors de l'instruction par Philippe B... et José C..., il n'en demeure pas moins que des paiements ont été effectués par la SODEG, à hauteur de 40 millions de francs, pour des achats de matériaux et la réalisation des travaux au bénéfice d'EATT et du groupe Audebert qui se sont avérés fictifs, sans le moindre justificatif ni la moindre référence à un marché, entre juillet 1978 et août 1979 ; que l'importance de ces paiements, au regard du montant des travaux effectivement réalisés et facturés par EATT (moins de 9 millions de francs), était de nature, à tout le moins, d'attirer l'attention des membres du conseil d'administration de la SODEG et de la SCET et de les amener à s'interroger sur la réalité des règlements de situation
ainsi effectués ; qu'ils ne pouvaient ignorer, en outre, qu'en raison de la taille modeste d'EATT et de ses sous-traitants, ces derniers auraient les plus grandes difficultés à réaliser des travaux d'une telle importance ou à fournir de telles quantités de matériaux ; qu'il apparaît donc, au vu de ce qui précède, qu'une faute de surveillance peut être reprochée au conseil d'administration de la SODEG et à la SCET qui a, indiscutablement, participé à la réalisation du préjudice de l'appelante" ;

"alors que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice résultant d'une infraction, ils ne sauraient fonder leur appréciation sur des motifs procédant d'une erreur de droit ; qu'aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d'une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens, le délinquant ne pouvant être admis à tirer un profit quelconque de l'infraction ; que, par conséquent, en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait refuser de réparer le préjudice, même moral, de la partie civile en constatant des négligences de sa part qui auraient permis la réalisation des infractions" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu que l'auteur d'un délit est tenu de réparer intégralement le préjudice en résultant ;

Attendu que, pour refuser toute réparation du préjudice subi par l'AGAT résultant des délits poursuivis, l'arrêt retient, notamment, que, d'une part, une transaction signée le 4 mai 1982 entre la société Chase Manhattan Bank, la société BRED, venant aux droits du Crédit guadeloupéen, et la Société centrale pour l'équipement du territoire (SCET), filiale de la Caisse des dépôts et consignations agissant au nom de la SODEG, interdit à la partie civile de réclamer les sommes concernées par cette convention et correspondant à des intérêts de retard et au recouvrement de traites escomptées mais impayées à l'échéance, auxquelles les banques ont renoncé, que, d'autre part, un protocole d'accord, intervenu en 1987 entre l'Etat, le département de la Guadeloupe, la Caisse centrale de coopération économique et la Caisse des dépôts et consignations, a eu, en partie, pour objet le remboursement du passif de l'AGAT résultant des détournements ; que les juges ajoutent qu'une faute de surveillance ayant concouru à la réalisation du dommage peut être reprochée au conseil d'administration de la société SODEG et à la SCET ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, d'une part, les conventions analysées, auxquelles les prévenus et la partie civile n'ont pas été parties, n'ont pas eu pour objet la réparation du préjudice causé par les infractions poursuivies, et que, d'autre part, aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison de la négligence qu'elle aurait commise, le montant des réparations civiles dues à la victime par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue ;

(…)
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le quatrième moyen de cassation proposé par la partie civile,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 25 novembre 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

Publication : Bulletin criminel 2006 N° 181 p. 633