Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du jeudi 7 janvier 1988

N° de pourvoi: 84-42448
Publié au bulletin Cassation partielle .

Sur le premier moyen, pris de la violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile : .

Attendu que, devant le refus qui leur était opposé par la société anonyme Guérin aux demandes de négociations en vue de parvenir à un accord sur la majoration des plus bas salaires, plusieurs salariés de cette entreprise ont procédé, du 27 février au 27 mai 1981, à des arrêts de travail répétés et de courte durée ;

Attendu que l'employeur ayant opéré sur leurs salaires, en sus de la retenue des heures non travaillées, une retenue d'un quart d'heure par arrêt de travail suivi d'une reprise, un abattement forfaitaire de 20 % des salaires pour certains de ces salariés, et une retenue forfaitaire sur l'indemnité de repas, M. X... et 16 autres salariés ont saisi le conseil de prud'hommes pour voir annuler ces mesures qu'ils considéraient comme discriminatoires ;

Attendu qu'ils font grief au jugement attaqué qui les a déboutés de leurs demandes d'avoir, tout en reconnaissant " la licéité du principe de la grève ", estimé que ses modalités d'exercice lui conféraient un caractère illicite, alors que les juges du fond n'ont tenu aucun compte du rapport de l'expert et omis de répondre à leurs conclusions soutenant que " les heures d'arrêt de travail restaient les mêmes d'un jour à l'autre, que l'employeur était parfaitement informé de ces arrêts qui faisaient l'objet d'une publication chaque matin sur les panneaux syndicaux pour l'information du personnel gréviste après l'assemblée générale tenue par ceux-ci et que le préjudice subi par l'employeur était inexistant, la nature des tâches n'entraînant aucune perturbation dans la réalisation du travail que chaque salarié connaissait parfaitement " ;

Mais attendu que les juges du fond ont relevé que les arrêts de travail n'étaient généralement pas affichés au sein de l'entreprise ni portés par quelque moyen que ce soit à la connaissance de l'employeur, qu'ils avaient perturbé gravement l'organisation de la société Guérin et que le préjudice qui en était résulté excédait celui qui résulte normalement de l'exercice d'une grève continue ou même de débrayages contrôlés ; que ces motifs, qui répondent aux conclusions prétendument délaissées, caractérisent l'illicéité de la grève ; qu'aucun des griefs du premier moyen ne saurait donc être accueilli ;

Sur le deuxième moyen, pris de la violation de l'article L. 122-42 du Code du travail ;

Attendu qu'il est également fait grief au jugement attaqué d'avoir décidé que la retenue d'un quart d'heure par arrêt de travail suivi de reprise, pratiquée par la société Guérin, en sus de la retenue de salaire correspondant à la durée réelle de l'arrêt de travail était licite, alors qu'elle constitue une amende prohibée et que les juges du fond ont omis de répondre aux conclusions des salariés selon lesquelles " la reprise se faisait rapidement, spontanément, eu égard à la simplicité des tâches à accomplir et à l'expérience professionnelle qu'ils possédaient..., le pointage du carton se faisait dix minutes avant la fin du débrayage de telle sorte que le salarié se trouvait effectivement à son poste aussitôt la fin de celui-ci, la remise en route de l'appareil de production se faisait immédiatement puisqu'il suffisait d'appuyer sur un disjoncteur pour mettre le poste de soudure ou la machine en marche " ;

Mais attendu que les juges du fond ont constaté que l'employeur avait limité le salaire au montant de la rémunération afférente au travail effectué, dans des conditions normales d'exécution, que le deuxième moyen ne saurait davantage être accueilli ;

Mais sur les troisième et quatrième moyens réunis :

Vu l'article L. 122-42 du Code du travail ;

Attendu que pour décider qu'étaient justifiés tant l'abattement pour baisse de rendement pratiquée à titre forfaitaire que la retenue sur indemnité de repos forfaitairement proportionnelle à la durée d'arrêt de travail par rapport à la journée normale de travail, le jugement attaqué a énoncé, d'une part, que cet abattement sanctionnait une modalité de grève illicite, d'autre part, que les indemnités de repos incluaient, à titre de prime, le paiement en salaire du temps de repos de 35 minutes ; qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur avait déjà opéré une retenue sur salaire et que l'abattement pour baisse de rendement et la retenue sur l'indemnité de repos présentaient un caractère forfaitaire, et constituaient donc une sanction pécuniaire prohibée, le conseil de prud'hommes a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE

Publication : Bulletin 1988 V N° 10 p. 6

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mercredi 10 juillet 1991

N° de pourvoi: 89-43147
Publié au bulletin Rejet.

Sur le premier moyen :

Attendu que le personnel de la Société auxiliaire d'entreprises de la région parisienne (SAEP) sur les chantiers de Bercy et de Suresnes s'est mis en grève le 8 décembre 1986 ; qu'à partir du 17 décembre, les grévistes ont observé un arrêt de travail d'un quart d'heure toutes les heures jusqu'à la reprise totale du travail le 27 décembre ; que la SAEP, tout en versant à chacun des grévistes une prime de reprise du travail de 1 000 francs, qu'elle avait promise avant la fin du conflit, a pratiqué sur le salaire une retenue correspondant à 82 heures 08, alors que le temps effectif de grève n'avait été que de 65 heures ; que les salariés ayant saisi la juridiction prud'homale en paiement du salaire retenu, la SAEP a demandé reconventionnellement le remboursement de la prime de reprise du travail et des dommages-intérêts représentant le préjudice qu'elle avait subi du fait de la perte de productivité ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 24 avril 1989) d'avoir déclaré licite la grève du 17 au 27 décembre 1986 et de l'avoir, en conséquence, condamné à payer aux salariés grévistes les retenues de salaire correspondant à 17 heures 08, alors que, selon le moyen, d'une part, constituent une grève illicite les arrêts de travail illicites systématiques de courte durée ayant pour effet de désorganiser gravement la production d'une entreprise et de causer à l'employeur un préjudice excédant celui qui résulte normalement de l'exercice d'une grève continue ; qu'en l'espèce, il est constant que les salariés de la SAEP ont pratiqué un arrêt de travail d'un quart d'heure minimum toutes les heures pendant 10 jours et qu'il en est résulté une grave perturbation du plan de travail et une baisse de production sans commune mesure avec la durée des arrêts de travail effectifs ; que ces arrêts de travail constituaient donc une grève illicite de nature à justifier la réduction par l'employeur de la rémunération des salariés grévistes à proportion de la réduction de la production consécutive dont il a été victime ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 521-1 du Code du travail ; alors que, d'autre part, l'employeur n'est pas tenu au paiement d'un temps de travail accompli dans des conditions autres que celles qui sont prévues par le contrat de travail ; qu'en l'espèce les salariés de la SAEP, qui ont procédé tous les jours pendant 10 jours et à chaque heure à un arrêt de travail d'un quart d'heure minimum, ont volontairement empêché l'exécution normale et continue des opérations de construction prévues en alternance chaque jour ; qu'en perturbant ainsi gravement le plan de travail de l'entreprise qui exigeait un ordre déterminé et en provoquant une baisse volontaire de la production dont l'importance était sans rapport avec la durée des arrêts de travail effectifs, les salariés ont exécuté leur contrat de travail dans des conditions autres que celles prévues par leur contrat et commis un abus du droit de grève constitutif d'une faute lourde ; que l'employeur était donc parfaitement en droit de réduire la rémunération des salariés en proportion de la diminution de la production ; qu'en décidant dès lors que l'employeur ne pouvait pratiquer que des retenues proportionnelles aux arrêts de travail

effectifs, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil et L. 521-1 du Code du travail ;

Mais attendu que la répétition des arrêts de travail, même de courte durée, ne constitue pas un abus du droit de grève dès lors que ces arrêts n'entraînent pas la désorganisation de l'entreprise ; que la cour d'appel, après avoir constaté qu'aucune désorganisation manifeste et anormale n'était résultée du mouvement suivi entre le 17 et le 27 décembre 1986, a décidé à bon droit que les salariés, qui n'avaient fait qu'exercer le droit de grève, ne pouvaient subir qu'un abattement de salaire proportionnel à la durée de leur arrêt de travail ; que le moyen n'est donc pas fondé en ses deux branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la SAEP fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer aux salariés une retenue sur salaire correspondant à 17 heures 08 de travail, alors que, selon le moyen, il incombe au salarié lui-même, et non à l'employeur, de prouver l'exécution de la prestation de travail et la durée de sa présence sur le lieu d'exécution de sa tâche ; qu'en l'espèce, compte tenu du constat d'huissier établi pendant la grève et de la contestation de l'employeur relative au temps d'arrêt de travail effectif qui n'aurait pas été d'un quart d'heure toutes les heures, mais d'une demi-heure en raison du délai de reprise, il appartenait aux salariés de rapporter la preuve qu'aucune prolongation du temps d'interruption de travail correspondant aux retenues de salaire opérées par l'employeur n'avait eu lieu ; qu'en exigeant au contraire de la SAEP qu'elle rapporte la preuve de la durée effective du travail et de la présence des salariés sur le chantier, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;

Mais attendu qu'il incombait à l'employeur, qui soutenait que la reprise du travail n'avait pas eu lieu effectivement après chacun des arrêts, d'en rapporter la preuve ; que les juges du fond ont constaté que cette preuve n'était pas rapportée et qu'ainsi le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen : (sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi

Publication : Bulletin 1991 V N° 349 p. 216

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mercredi 12 juillet 1995

N° de pourvoi: 93-12196
Publié au bulletin Rejet.

Sur les deux moyens réunis, pris en leurs diverses branches :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Poitiers, 9 décembre 1992), que M. Colonna X..., alors âgé de 59 ans et salarié, ayant demandé à la caisse de Mutualité sociale agricole (CMSA) quels étaient ses droits à la retraite, a été informé qu'à 60 ans, le 1er février 1979, sous réserve qu'il soit titulaire de la carte d'ancien combattant, son avantage de vieillesse serait calculé au taux plein ; qu'après que M. Colonna X... eût déposé un dossier de retraite, puis démissionné de son emploi, la CMSA lui fit savoir qu'il ne pourrait obtenir une pension au titre d'ancien combattant que le 1er février 1981 ; que M. Colonna X... ayant assigné la CMSA en paiement de dommages-intérêts, la cour d'appel lui a alloué diverses sommes en réparation de son préjudice moral et de son préjudice économique ;

Attendu que la CMSA fait grief aux juges du fond d'avoir statué ainsi, alors, selon les moyens, d'une part, qu'il ne peut y avoir convention en dehors d'une rencontre des volontés ; qu'il résulte, en l'espèce, des énonciations de l'arrêt attaqué que le demandeur précisait, dans sa lettre susvisée, avoir " passé 67 mois sous les drapeaux en temps de guerre " ; que la réponse susvisée de la Caisse commençait par énoncer : " il ne nous est pas possible de vous indiquer dès maintenant le montant de la pension à laquelle vous pourrez prétendre " et poursuivait : " qu'à 60 ans... et sous réserve que vous soyiez titulaire de la carte d'ancien combattant, votre avantage de vieillesse serait calculé sur la base de 50 % du salaire annuel moyen des 10 meilleures années depuis 1948 " et ce, au regard de l'affirmation précitée de l'intéressé disant avoir " passé 67 mois sous les drapeaux en temps de guerre ", bien qu'il n'en ait passé que 37 ; qu'aussi bien, la Caisse faisait état de " réserves " et déclarait qu'il ne lui était " pas possible " d'indiquer " dès maintenant le montant de la pension " auquel l'intéressé pourrait prétendre ; que, par suite, en déduisant d'une telle correspondance l'existence d'un engagement de la Caisse, la cour d'appel a violé l'article 1101 du Code civil ; alors, d'autre part, que la Caisse, tenue d'appliquer une réglementation d'ordre public, n'aurait pu prendre aucun engagement contraire aux textes en vigueur ; que, par suite, la cour d'appel a violé les articles 1001 et suivants du Code rural ; alors, qu'au surplus, il est constant qu'une longue procédure, ayant donné lieu à quatre décisions, dont un arrêt de la Cour de Cassation, a été nécessaire pour trancher la question de savoir si l'intéressé pouvait prétendre avoir effectué, ainsi qu'il l'énonçait dans sa lettre précitée, " 67 mois sous les drapeaux en temps de guerre " ; que, par suite, en retenant que la Caisse aurait commis une faute en se fiant aux indications de l'intéressé faisant état de 67 mois (au lieu de 37 mois) effectués sous les drapeaux " en temps de guerre " pour lui faire la réponse précitée, d'ailleurs assortie de réserves, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors que, de surcroît, la responsabilité d'un organisme de sécurité sociale chargé de la gestion d'un service public complexe ne peut être recherchée qu'en présence d'une erreur grossière ou s'il est résulté de la faute imputée à cet organisme un préjudice anormal causé à l'usager ; qu'en l'espèce, faudrait-il admettre que la Caisse ait commis une erreur ou une négligence, il résulte des branches qui précèdent qu'il ne s'agissait pas d'une erreur grossière susceptible d'engager sa responsabilité ; que, par suite, la cour d'appel a derechef violé l'article 1382 du Code civil ; et alors, enfin, que la CMSA faisait valoir que la Cramco avait indiqué à l'expert que l'intéressé, s'il en avait manifesté le désir, aurait pu obtenir l'annulation de la décision ayant précédemment fixé la pension qu'il perçoit et un nouvel examen de ses droits lui permettant de percevoir à compter du 1er février 1981 une pension complète d'ancien combattant ; qu'il ne s'était jamais manifesté et n'avait demandé la liquidation de sa retraite à la caisse de Mutualité sociale agricole, à la Camarca et la CDC que lorsqu'il avait atteint l'âge de 65 ans ; que s'il avait pris la même position pour ses pensions d'ancien salarié agricole et non agricole, il aurait obtenu dès le 1er février 1981 une retraite entière tant de la Caisse que de la

Cramco ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que les juges du fond ont constaté que la CMSA s'était bornée à indiquer à M. Colonna X... qu'il pourrait bénéficier de la retraite d'ancien combattant à 60 ans, c'est-à-dire le 1er février 1979, sans autre réserve que celle d'avoir à justifier qu'il était titulaire de la carte du combattant ; qu'ils relèvent, en outre, qu'il avait joint à sa demande un état signalétique et des services permettant à la Caisse de reconstituer facilement le temps de services de guerre de l'intéressé et, par suite, de l'alerter sur le fait que sa situation ne lui ouvrirait la possibilité d'obtenir une pension complète d'ancien combattant que le 1er février 1981 ;

Qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a caractérisé une faute de la Caisse entraînant un préjudice pour M. Colonna X..., peu important que cette faute soit ou non grossière et que le préjudice soit ou non anormal ; que les moyens ne sont donc fondés en aucune de leurs branches ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

Publication : Bulletin 1995 V N° 242 p. 175