Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 18 mai 2011

N° de pourvoi: 10-17645
Publié au bulletin Rejet

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 1er mars 2010), que le GAEC D... (GAEC), qui exploitait un élevage sur des terrains et des bâtiments lui appartenant situés sous ou à proximité d'une ligne à très haute tension (THT) d'EDF devenu la SA Réseau Transport Electricité (RTE), a assigné celle-ci en indemnisation des préjudices matériels et économiques subis à raison des problèmes sanitaires rencontrés par les animaux de son élevage ;

Attendu que le GAEC fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :

1°/ qu'en déboutant le GAEC D... de ses demandes, en considérant, en substance, « qu'il y a certes des indices quant à l'incidence possible des CEM sur l'état des élevages mais auxquels s'opposent des éléments sérieux divergents et contraires et qu'il subsiste des incertitudes notables de telle sorte que, compte tenu de l'ensemble des explications et données fournies, il n'apparaît pas que l'existence d'un lien de causalité soit suffisamment caractérisé », après avoir relevé que « les effets des champs électromagnétiques (ou CEM) donnent lieu depuis quelques décennies (environ les années 1970) à diverses recherches et parfois controverses scientifiques … il y a eu ainsi l'étude " Draper " … la classification par le CIRC (centre international de recherche sur le cancer) des CEM à basse fréquence dans sa catégorie I I b, soit cancérogènes possibles …- étude du Pr X... sur les effets du courant électrique sur les animaux d'élevage : il est distingué les seuils de perception et ceux de perturbation et décrit divers troubles associés aux courants parasites ;- compte rendu d'un colloque à l'Assemblée Nationale en 1999, dont une communication du Pr Y... : des études mettent en évidence un lien entre exposition aux CEM et le développement de cancers chez l'animal ; communication de R. Z... : association significative entre CEM et cancer ; communication du Dr A..., vétérinaire : les élevages situés à proximité de courants à haute tension ne sont pas en bonne santé et sont plus malades que les autres, mais les pathologies observées ne sont pas caractéristiques, il n'y a pas de maladie des lignes à haute tension, cependant les symptômes nerveux sont fréquemment observés chez diverses espèces... les CEM vont se comporter comme facteurs aggravant ou déclenchant de maladie... ;- brochure EDF-Chambres Agriculteur-Groupama : par exemple possible baisse de la production des vaches laitières au-delà d'une intensité de 6 milliampères ;- conclusions du rapport Biolnitiative de 2007 : génotoxicité des CEM, stress cellulaire, changements immunologiques, troubles du comportement, critiques et insuffisances des normes actuelles ;- " Enquête citoyenne " à laquelle a participé le Pr B..., 1er trimestre 2008 : … il est relevé des troubles du comportement et des irrégularités de production laitière …- dans une communication de l'OMS de juin 2007 (PA-1) il est noté que des effets indésirables pour la santé ont été scientifiquement établis concernant les fortes expositions à court terme aux CEM et émis des principes de recommandations de recherche et de préventions », et estimé, en cet état, que « certains experts, études ou organismes estiment que les CEM sont dangereux ou provoquent des troubles ou perturbations, d'autres font état d'incidences potentielles, de menaces, d'autres encore relativisent, considèrent que des effets nocifs ne sont pas établis ou incertains ou peu caractérisés, qu'il n'est guère d'ailleurs possible de démontrer scientifiquement l'absence d'incidences... de telle sorte que, si on peut estimer au moins que les CEM présentent un facteur de risque », avant d'ajouter que « le GAEC D... produit essentiellement deux rapports du Pr B... ; dans celui du 16 mars 1999, après l'exposé des mesures prises sur l'exploitation du GAEC, le Pr B... présente ensuite des considérations générales selon lesquelles les lignes THT peuvent être à l'origine de courants parasites nuisibles aux animaux d'élevage (en évoquant notamment le rapport C...) et il existe une présomption raisonnable de risques concernant les CEM devant développer la mise en oeuvre du principe de précaution », énonciations, dont il résulte qu'il était fort possible, et qu'il ne pouvait à tout le moins être exclu, que les champs magnétiques émis par les lignes électriques à haute tension soient bien à l'origine des « désordres sanitaires multiples et importants ayant affecté les élevages : mammites, ulcères hémorragiques, agressivité et cannibalisme chez les porcs, problèmes de lactation et de reproduction, avortements... », qu'elle a tenus pour « constants », qui doivent conduire à présumer, jusqu'à preuve contraire, que ces désordres, qui n'ont pas d'autre cause avérée, sont en lien avec les champs électromagnétiques émis par les lignes électriques à haute tension, la cour d'appel a violé l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, ensemble l'article 1315 du code civil et le principe de précaution,

2°/ qu'en retenant, pour se prononcer de la sorte, qu'« il apparaît au moins qu'il n'y a pas de consensus scientifique sur les incidences des CEM, si ce n'est la nécessité d'approfondir les recherches », que « les enseignements qu'il parait possible justement de retenir en l'état, au moins, sont d'abord qu'il y a des éléments scientifiques parfois contraires et des divergences entre spécialistes et que la compréhension de ce phénomène complexe exige encore des programmes de recherches et des investigations importantes croisant diverses spécialités », que « si on peut estimer au moins que les CEM présentent un facteur de risque, il n'y a pas sur leurs conséquences de consensus dans la communauté scientifique qui émerge quant à l'existence d'effets pathogènes avérés notamment sur la santé animale », que « dans ce contexte à la fois complexe, voire parfois touffu, et au moins restant incertain, il ne peut être en tout cas déduit de ces éléments qu'il est considéré scientifiquement d'une manière générale que la présence d'une ligne THT implique des désordres sanitaires dans un élevage vivant dans cet environnement » et qu'en définitive, « il résulte en effet ainsi de divers documents du dossier qu'il y a certes des indices quant à l'incidence possible des CEM sur l'état des élevages mais auxquels s'opposent des éléments sérieux divergents et contraires et qu'il subsiste des incertitudes notables de telle sorte que, compte tenu de l'ensemble des explications et données fournies, il n'apparaît pas que l'existence d'un lien de causalité soit suffisamment caractérisé », la cour d'appel, qui s'est déterminée en considération de l'« absence de consensus scientifique ", à l'origine « d'incertitudes notables » sur ce point, nonobstant l'existence d'« indices quant à l'incidence possible des CEM sur l'état des élevages », exigeant ainsi une preuve scientifique certaine quand le rôle causal peut résulter de simples présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes, a violé l'article 1353 du code civil, ensemble l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 ;

3°/ que selon l'article L. 110-1 II 1° du code de l'environnement, le principe de précaution est celui selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ; que ce principe, dont il résulte que les personnes dont l'activité est à l'origine d'un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement sont tenues de prendre les mesures effectives et proportionnées visant à en prévenir la réalisation et engagent, à défaut, leur responsabilité, est d'application directe ; qu'en considérant, pour en écarter l'application, que ce texte « énonce des principes généraux qui doivent inspirer la protection de l'environnement " dans le cadre des lois qui en définissent la portée " », que « le principe de précaution qui est plus une norme-guide destinée aux pouvoirs politiques pour apprécier les choix collectifs de prévention, n'est pas une règle de responsabilité autonome et directe, se suffisant à elle-même », la cour d'appel a violé l'article L 110-1 II 1° du code de l'environnement, ensemble l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 ;

4°/ que la Charte de l'environnement, adossée à la Constitution, comporte les principes suivants : Article 1er.- Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ; Article 2.- Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ; Article 3.- Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ; Article 4.- Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ; Article 5.- Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ; que ces principes, le principe de précaution, notamment, dont il résulte que lorsqu'une activité est à l'origine d'un risque de dommages dont la réalisation, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, le juge, en particulier, doit s'assurer qu'ont effectivement été mises en oeuvre des procédures d'évaluation des risques et adoptées des mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage, ce dont il appartient à celui qui exerce une telle activité de justifier, doivent guider le juge dans l'interprétation des règles de droit applicables ; qu'en refusant de s'en inspirer, la cour d'appel a violé la Charte de l'environnement, son article 5, en particulier, ensemble l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 ;

Mais attendu qu'ayant énoncé à bon droit que la charte de l'environnement et le principe de précaution ne remettaient pas en cause les règles selon lesquelles il appartenait à celui qui sollicitait l'indemnisation du dommage à l'encontre du titulaire de la servitude d'établir que ce préjudice était la conséquence directe et certaine de celui-ci et que cette démonstration, sans exiger une preuve scientifique, pouvait résulter de présomptions graves, précises, fiables et concordantes, la cour d'appel, qui a relevé que des éléments sérieux divergents et contraires s'opposaient aux indices existant quant à l'incidence possible des courants électromagnétiques sur l'état des élevage de sorte qu'il subsistait des incertitudes notables sur cette incidence et qui a analysé les circonstances de fait dans lesquelles le dommage s'était produit, a pu retenir, sans inverser la charge de la preuve, que, compte tenu de l'ensemble des explications et données fournies, l'existence d'un lien de causalité n'était pas suffisamment caractérisée et en a exactement déduit que les demandes d'indemnisation du GAEC ne devaient pas être admises ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Publication : Bulletin 2011, III, n° 80