Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 13 février 2007 Rejet
N° de pourvoi : 06-82202
Publié au bulletin
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 8 décembre
2005, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à un an d'emprisonnement
avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-1,
121-3, 221-6, 221-8, 221-10 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure
pénale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a retenu le docteur
Y... dans les liens de la prévention du chef d'homicide involontaire,
l'a condamnée à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis
et, statuant sur l'action civile, l'a condamnée, solidairement avec le
docteur Z..., à payer aux époux A..., tant en leur nom personnel
qu'ès qualités de représentants légaux de leurs
enfants mineurs, les sommes de 6 992,80 euros au titre du préjudice matériel,
de 22 000 euros, à chacun d'eux, au titre de leur préjudice moral,
et 7 500 euros, à chacun de leurs deux enfants, au titre de leur préjudice
moral ;
"aux motifs que, "sur le suivi opératoire insuffisant, le docteur
Y... est restée à la clinique après la seconde intervention
;
qu'elle a consulté l'enfant en chambre à 17 heures, puis informé,
avant son départ, le chirurgien de l'état clinique de la patiente
et de ses prescriptions ; que si les experts relèvent que son attitude
consistant à faire un bilan sanguin, à mettre en place une voie
veineuse, à pratiquer un remplissage, a été correcte et
appropriée, ils lui reprochent de ne pas avoir donné d'instructions
précises aux infirmières pour surveiller l'évolution de
la patiente ; qu'ils n'ont retrouvé aucune trace de pression artérielle,
de fréquence cardiaque, de surveillance de diurèse et de surveillance
de l'état clinique et estiment que cette surveillance est clairement
insuffisante ; que sur la sous-évaluation de l'ampleur de l'hémorragie,
si une erreur de diagnostic ne peut pas être reprochée pénalement
à un médecin qui n'est tenu qu'à une obligation de moyens,
l'insuffisance de précautions qu'il a prises pour l'établir, et
qui entraîne cette erreur, constitue une faute susceptible de caractériser
une faute pénale ;
que le premier rapport d'expertise précise qu'un saignement
après amygdalectomie se manifeste par l'extériorisation de vomissements
sanglants qui ne sont apparus qu'à 19 heures et que la spoliation sanguine
déjà apparente dès 16 heures 30 avait une traduction par
l'état apparent de l'enfant constaté par l'anesthésiste,
lequel a déclaré aux experts qu'elle était blanche, dodelinante,
extrêmement pâle et au juge d'instruction "j'ai quitté
la clinique vers 17 heures, après avoir pris le pouls de l'enfant et
testé sa vigilance, elle me semblait hémodynamiquement correcte
mais néanmoins très pâle" ;
que les experts en déduisent que, dans un contexte de surveillance "clairement
insuffisante" - puisque les feuilles de surveillance jusqu'à 16
heures 30 ne laissent apparaître qu'un chiffre de fréquence cardiaque,
aucune prise de tension artérielle, et ultérieurement à
partir de 18 heures 30, trois chiffres de fréquence cardiaque sans aucune
prise de pression artérielle - la mauvaise évaluation de l'enfant
par l'anesthésiste "n'est pas totalement surprenante" ; que
la documentation technique médicale produite par la prévenue pour
s'opposer aux conclusions expertales sur l'interprétation des résultats
sanguins, la pression artérielle et l'opportunité d'une transfusion
ne permet pas de les remettre en cause, dès lors qu'elle a été
entendue par les experts, qu'elle a été en mesure de leur fournir
toutes explications techniques, qu'elle a sollicité et obtenu une contre-expertise,
à laquelle elle a participé et que le dernier rapport a été
déposé le 9 décembre 2003, soit postérieurement
à la date de la conférence de consensus en réanimation
et médecine d'urgence, dont elle fait état et qui s'est déroulée
le 23 octobre 2003 ; qu'elle a déclaré aux seconds experts qu'en
absence de protocole établi, l'infirmier faisait appel soit au chirurgien,
soit à l'anesthésiste ; qu'elle avait donc la charge et la responsabilité
de la surveillance en l'absence du chirurgien ; qu'il ressort des conclusions
d'expertise que cette surveillance, qui a été "clairement
insuffisante" en l'absence des prescriptions susvisées, est à
l'origine de la mauvaise évaluation faite par l'anesthésiste sur
l'état de santé de l'enfant ; qu'il s'en suit que la prévenue
a commis une faute caractérisée, en s'abstenant de prescrire les
instructions nécessaires à la surveillance de l'état clinique
de la patiente, qui a concouru à une mauvaise évaluation de sa
part de l'ampleur de l'hémorragie et au décès de celle-ci,
ce qu'elle ne pouvait ignorer en sa qualité d'anesthésiste expérimentée
; qu'il convient d'infirmer le jugement entrepris sur le renvoi des fins de
la poursuite et de déclarer la prévenue coupable de l'infraction
qui lui est reprochée" ;
(arrêt p. 14 à 16) ;
"1 ) alors que, d'une part, nul n'est responsable que de son propre fait
; que le rôle du médecin anesthésiste consiste exclusivement
à endormir le patient et à surveiller le comportement de celui-ci
durant l'intervention chirurgicale et jusqu'à ce que perdurent les effets
de l'anesthésie ; qu'en présence d'une complication chirurgicale,
apparue postérieurement à l'intervention et sans lien aucun avec
l'anesthésie, justifiant le suivi du patient non plus dans le secteur
ambulatoire mais dans le secteur hospitalisation, dont le chirurgien est le
seul responsable, il ne peut être reproché au médecin anesthésiste,
qui a parfaitement rempli son rôle, d'avoir effectué, aux lieu
et place du chirurgien absent, un suivi opératoire insuffisant et d'avoir
sousévalué l'ampleur de l'hémorragie, qui nécessitait
une intervention chirurgicale en urgence ne relevant pas de sa compétence
;
"2 ) alors qu'en tout état de cause, pour imputer au docteur Y...
un suivi opératoire insuffisant et une sous-évaluation de l'ampleur
de l'hémorragie, de 11 heures à 19 heures 45, la cour d'appel
ne pouvait se fonder sur le caractère prétendument concordant
des deux rapports d'expertise, sans dénaturer le second rapport qui se
contentait de reprocher au médecin anesthésiste de ne pas avoir
envisagé une transfusion avant l'induction anesthésique lors de
la troisième intervention, réalisée à 20 heures,
à l'initiative du chirurgien, après examen du patient ;
"3 ) alors qu'enfin une faute d'imprudence et de négligence ne peut
entraîner la responsabilité de son auteur qu'à la condition
qu'elle ait été la cause certaine du décès de la
victime ;
que le seul fait d'avoir fait perdre à la victime une chance d'éviter
le décès est exclusif du délit d'homicide involontaire
; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait affirmer de façon péremptoire
que les prétendues négligences du docteur Y... avaient conduit
au décès du patient, quand il ne ressortait ni des propres constatations
de l'arrêt ni des rapports d'expertise et surtout du second rapport, qui
se contentait de reprocher au médecin anesthésiste de ne pas avoir
envisagé une transfusion, avant l'induction anesthésique lors
de la troisième intervention, qu'une telle transfusion aurait permis
de sauver de façon certaine Axelle A..." ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces
de procédure que, le 11 janvier 2001 à 9 heures 30, la jeune Axelle
A..., âgée de trois ans, a subi dans une clinique privée
de Denain une amygdalectomie réalisée par Martin Z..., chirurgien,
sous une anesthésie générale pratiquée par Françoise
Y..., médecin anesthésiste-réanimateur ; qu'à 10
heures 50, il a été procédé par le même praticien
à l'hémostase d'une loge amygdalienne pour remédier à
des saignements importants ; qu'après le départ du chirurgien,
la surveillance post-interventionnelle a été assurée dans
le service d'hospitalisation par l'anesthésiste ; que celle-ci, vers
17 heures, a examiné l'enfant après que les infirmières
lui eurent signalé des vomissements noirâtres ; que l'ayant trouvée
très pâle et atonique, elle l'a fait placer sous perfusion glucosée,
a ordonné un examen biologique et, avant de quitter elle-même la
clinique, a informé de la situation le chirurgien, qui a fait savoir
qu'il passerait voir la jeune patiente après ses consultations ; que
les résultats de l'analyse sanguine qui ont été communiqués
à Françoise Y... à 18 heures lui ont paru faire ressortir
un taux d'hémoglobine rassurant ; que de nouveaux vomissements de sang
noir et la présence de sang rouge dans la bouche de l'enfant ont été
constatés par les infirmières vers 19 heures, et signalés
à 19 heures 45 à l'anesthésiste, laquelle a annoncé
la venue du chirurgien ; que celui-ci a examiné la jeune patiente à
20 heures et a décidé son transfert au centre hospitalier et la
réalisation immédiate d'une hémostase ; que, cinq minutes
après l'injection par Françoise Y... du produit anesthésiant,
l'enfant a présenté une bradycardie suivie d'un arrêt cardiaque
récupéré après 17 minutes ; que les culots globulaires
commandés à 21 heures 25 ont été livrés à
22 heures 45 juste avant l'arrivée du SAMU, l'enfant ayant fait entre-temps
deux arrêts cardiaques ;
qu'en dépit de la ligature des piliers de l'amygdale réalisée
à l'hôpital, et des soins de réanimation qui lui ont été
prodigués, Axelle A... est décédée le jour suivant
à 3 heures 15 ; que le chirurgien et l'anesthésiste ont été
condamnés pour homicide involontaire ;
Attendu que, pour déclarer Françoise Y... coupable de cette infraction,
l'arrêt retient qu'elle n'a pas donné instruction aux infirmières
de contrôler régulièrement la tension artérielle
et la fréquence cardiaque de l'enfant et que cette insuffisance de surveillance,
constitutive d'une faute caractérisée, dont la
prévenue, en sa qualité d'anesthésiste expérimentée
ne pouvait ignorer qu'elle faisait courir à la patiente un risque d'une
particulière gravité, a concouru à la sous- évaluation
de l'ampleur de l'hémorragie et au décès de la jeune Axelle
;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de
son pouvoir souverain d'appréciation des faits et circonstances de la
cause, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments
l'infraction dont elle a déclaré la prévenue coupable,
a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que Françoise Y... devra payer à
la société civile professionnelle Tiffreau en application de l'article
37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 ;