Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 13 février 2007 Rejet
N° de pourvoi : 06-81089
Publié au bulletin
contre l'arrêt de la cour d'appel de BOURGES, chambre correctionnelle,
en date du 26 janvier 2006, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée
à 3 mois d'emprisonnement avec sursis ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 123-1, 221-6,
221-7, 221-8, 221-10 et 593 du code de procédure pénale, défaut
de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Martine
X... coupable d'homicide involontaire et l'a condamnée à trois
mois d'emprisonnement avec sursis ;
"aux motifs qu'il résulte de l'information et des débats
les faits suivants : le 18 février 2002, à 4 heures 19 minutes,
à la demande du SAMU, les pompiers de Sancerre intervenaient au domicile
Sancerrois de Patrick Z..., en réponse à un appel au secours de
son fils Fabien, âgé de 10 ans ; sur les lieux, ils étaient
relayés par le SMUR 58 qui constatait le décès de Patrick
Z... à 4 heures 29 minutes ; que la coordination des secours était
menée par le SAMU 18 du centre hospitalier de Bourges (18) depuis le
premier appel par Fabien Z... à 2 heures 49 minutes jusqu'à l'intervention
physique des pompiers ; qu'au cours de cet échange téléphonique,
le CODIS, c'est-à-dire les pompiers, a mis Fabien Z... et son père
en relation avec le médecin régulateur du SAMU, le docteur Maher
Y..., lequel diagnostiquant chez Patrick Z... un simple état grippal,
a orienté celui-ci vers le médecin de garde sur Sancerre, le docteur
Martine X... ; que le jeune Fabien Z... devait rappeler ensuite à deux
reprises les secours afin que ceux-ci viennent en aide à son père,
jusqu'à ce que le dernier appel, à 4 heures 19 minutes, au cours
duquel l'enfant avait déclaré "mon papa ne respire plus",
provoquât l'intervention des pompiers de Sancerre ; que, le 21 février
2002, Davina Z... déposait plainte auprès de la gendarmerie de
Sancerre en invoquant le délai anormalement long d'intervention des secours
et ajoutant que son frère se sentait désormais moralement responsable
de la mort de son père ; que l'autopsie, l'examen anatomopathologique
et l'analyse toxicologique pratiqués sur Patrick Z... établissaient
que le décès était lié à un malaise d'origine
cardio-vasculaire (artériosclérose coronarienne évoluée,
oedème pulmonaire, séquelles anciennes d'infarctus myocardique),
excluant ainsi l'hypothèse d'une intoxication médicamenteuse ;
que l'article 78 du code déontologie médicale, devenu l'article
R. 4127-78 du code de la santé publique, imposant au médecin de
prendre toute disposition pour être joint au plus vite, c'est à
juste titre que le premier juge a fait observer que ce texte édictant
seulement une obligation générale, il ne pouvait être reproché
au docteur X..., au sens de l'article 121-3 du code pénal, une violation
manifestement délibérée d'une obligation particulière
de prudence ou de sécurité édictée par la loi où
le règlement ; qu'étant saisie cependant sur le fondement général
de l'article précité du code pénal qui sanctionne également
l'auteur indirect d'un dommage qui a été causé par la faute
caractérisée de celui-ci exposant autrui à un risque d'une
particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la juridiction
répressive a le devoir en revanche de rechercher s'il peut être
reproché au prévenu un comportement revêtant ces caractéristiques
; qu'en l'espèce, il est établi, par le relevé des appels
téléphoniques, qu'un message écrit a été
reçu sur le téléphone portable du docteur X... dans la
minute qui a suivi l'appel du SAMU avertissant le titulaire de la ligne de ce
qu'un message vocal lui avait été laissé ;
qu'il ne peut s'agir que du coup de téléphone donné
par Fabien Z... à 2 heures 52 ; qu'un tel message écrit s'accompagne
généralement d'un signal sonore, que le docteur X... n'a donc
pas entendu ; que, de même, il est avéré que le domicile
du compagnon chez qui le docteur X... passait la nuit ne disposait pas d'une
ligne fixe ; qu'encore, les pièces du dossier prouvent que la ligne fixe
du docteur X... avait été restreinte du fait de factures impayées,
de sorte qu'aucun transfert d'appel n'était possible et que cette ligne
ne pouvait techniquement être rétablie pour assurer la garde du
week-end des 16 et 17 février 2002 ; qu'il apparaît donc que le
docteur X... n'a pas pris toutes les précautions utiles pour pouvoir
être jointe, commettant ainsi une faute caractérisée au
sens de l'article 121-3 du code pénal ; que, devant le juge d'instruction,
lors de son interrogatoire de première comparution, elle a d'ailleurs
elle-même reconnu que son portable ne s'était pas déclenché
car, a-t-elle déclaré, "il y a des moments où çà
passe plus ou moins bien" ; qu'elle soutient vainement qu'il ne peut lui
être reproché de ne pas avoir à tout le moins interrogé
sa messagerie pendant la nuit car elle n'aurait de toute façon pas pu
apprendre qu'elle devait se rendre au domicile de Patrick Z... en raison de
l'absence de message laissé par le SAMU ou de message exploitable laissé
par l'enfant, que le message laissé par Fabien Z... étant "mon
papa ne va pas", on peut, en effet, supposer que si le docteur X... en
avait pris malgré tout connaissance, elle aurait alors contacté
le SAMU ou le CODIS pour s'assurer de quoi il pouvait s'agir ; que l'expert
A... considère quant à lui que la faute de ce médecin de
garde a contribué au décès de Patrick Z... en retardant
la mise en oeuvre du bilan médical initial susceptible d'entraîner
l'engagement des secours adaptés ; que le docteur X... assurait au moment
des faits une garde sur un secteur géographiquement important, de surcroît
pendant une période particulièrement sensible puisqu'elle avait
été réquisitionnée par l'autorité préfectorale
en raison d'une grève nationale des médecins généralistes,
ce qui multipliait donc les risques d'appel ; que, dans un tel contexte, elle
ne pouvait ignorer qu'elle exposait autrui à un risque d'une particulière
gravité ;
que les éléments constitutifs du délit prévu par
l'article 121-3 du code pénal étant dès lors réunis
en l'espèce, il convient, réformant de ce chef le jugement déféré,
de déclarer le docteur X... coupable des faits qui lui sont reprochés
;
"1 ) alors que la cour d'appel ne pouvait se borner, pour retenir à
la charge de Martine X... le fait de ne pas avoir entendu le signal sonore émis
par le téléphone, à énoncer que le téléphone
émet "généralement" un signal sonore à
l'arrivée d'un message, motifs dont il ne résulte pas qu'un signal
sonore ait été effectivement émis sans que le médecin
l'entende ;
"2 ) alors que la faute visée à l'article 121-3 du code pénal
doit être une faute "caractérisée", ce qui suppose
que les diligences du prévenu n'étaient pas normales ni adaptées
aux risques prévisibles ; que la cour d'appel, qui a retenu que le fait,
pour le docteur X..., de n'avoir pas n'a pas pris toutes les précautions
utiles pour pouvoir être jointe constituait une telle faute, sans rechercher
si le médecin qui assure les gardes de nuit avec un téléphone
portable, dans un secteur où il existe d'autres services d'urgence, n'effectue
pas des diligences normales et adaptées à la situation, n'a pas
donné de base légale à sa décision ;
"3 ) alors que la faute caractérisée au sens de l'article
121-3 du code pénal, est celle qui expose autrui à un risque d'une
particulière gravité qui ne pouvait être ignoré ;
que le médecin qui assure depuis plusieurs mois les gardes de nuit à
l'aide d'un téléphone portable, sans avoir relevé aucune
défaillance, et dans un secteur desservi par une caserne de pompiers
et dans lequel une permanence du SAMU est assurée, ne peut avoir aucune
conscience d'exposer autrui à un risque d'une particulière gravité"
;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, dans la nuit du 17 au 18 février 2002, à 2 heures 49, Fabien Z..., âgé de 10 ans, a appelé le service d'aide médicale d'urgence (SAMU) afin que son père, pris d'un malaise, soit secouru ; que le médecin régulateur a fait contacter Martine X..., médecin généraliste d'exercice libéral, réquisitionnée par le préfet pour assurer la garde de nuit en cette période de grève générale des praticiens ; qu'après avoir obtenu, sur le répondeur du téléphone fixe de Martine X..., le numéro de son portable, le préposé du SAMU a tenté à deux reprises de joindre l'intéressée sur ce poste mais que son appel a abouti sur une messagerie indiquant que le docteur X... était en visite ; que Fabien Z... a été mis en communication par le SAMU avec ce répondeur afin de laisser ses coordonnées, et qu'il s'est borné à dire que son père n'allait pas bien ; qu'à 4 heures 04, alors que son père était encore en vie, l'enfant a rappelé les services d'urgence ; que le médecin régulateur, informé de ce que le médecin de garde ne s'était pas déplacé, a fait intervenir les pompiers, lesquels ont constaté le décès de Patrick Z... à leur arrivée sur les lieux à 4 heures 19 ; que l'expertise a conclu que la victime était décédée des suites d'un malaise cardio-vasculaire, et qu'une intervention avant le second appel de son fils aurait pu enrayer le processus mortel ; que le médecin régulateur du SAMU et le médecin de garde ont été condamnés pour homicide involontaire ;
Attendu que, pour déclarer Martine X... coupable des faits reprochés,
la cour d'appel énonce que l'intéressée a passé
sa nuit de garde au domicile de son ami qui n'était pas équipé
d'une ligne téléphonique ; qu'elle a enregistré sur son
propre téléphone fixe un message indiquant le numéro de
son téléphone portable ; qu'elle a toutefois reconnu qu'au domicile
de son ami, les communications ne passaient pas toujours ; qu'elle n'a entendu
aucun signal sonore lorsqu'a été reçu le message du SAMU,
et qu'elle n'a découvert qu'après la fin de la nuit, l'enregistrement
de l'appel de Fabien Z... ; que les juges en déduisent qu'en ne prenant
pas les dispositions nécessaires pour être jointe, Martine X...
a retardé la mise en oeuvre du bilan médical initial susceptible
d'entraîner l'engagement des secours adaptés, et que cette faute
caractérisée, alors que les risques d'appel étaient
multipliés par la grève des praticiens libéraux, exposait
autrui à un risque d'une particulière gravité que l'intéressée
ne pouvait ignorer ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, sans
insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires
des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en
tous ses éléments le délit dont elle a déclaré
la prévenue coupable ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi