Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 22 mai 2007
Rejet
N° de pourvoi : 06-84034
Inédit
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 3 avril 2006, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe d'Abdellah A... du chef d'homicide involontaire ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 24 octobre 1998, Magalie Z..., âgée de 15 ans, qui se plaignait de douleurs abdominales, a été reçue en consultation par Abdellah A..., interne du service de gynécologie de l'hôpital de Creil ;
que la mère de l'adolescente a expliqué qu'elle avait elle-même constaté l'apparition au niveau de la vulve de sa fille d'une excroissance dure et violacée de plusieurs centimètres qui s'était rétractée dans la cavité vaginale ; que le praticien, à l'issue d'un examen visuel et d'un toucher rectal, a conclu à l'absence d'anomalie ; que, trois mois plus tard, des prélèvements et un examen au scanner, réalisés à l'initiative d'un autre médecin, ont conduit à diagnostiquer une tumeur cancéreuse, dont la jeune fille est décédée le 30 novembre 1999, en dépit des soins qui lui ont été prodigués ; qu'Abdellah A..., déclaré coupable d'homicide involontaire par le tribunal correctionnel, a été relaxé par la cour d'appel, qui a rejeté les demandes formées subsidiairement par les parties civiles en application de l'article 470-1 du code de procédure pénale ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 221-6, 121-3 du code pénal, 1382 du code civil, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, qui a renvoyé Abdellah A... des fins de la poursuite pour homicide involontaire, a débouté les parties civiles ;
"aux motifs qu'en l'espèce, la loi en cause est l'article 221-6 du code pénal, qui prévoit et réprime le délit d'homicide involontaire ; qu'il résulte de la combinaison des articles 121-3 et 221-6 du code pénal que la loi exige, cumulativement : 1 ) la démonstration de la faute ci-dessus spécifiée ; 2 ) un résultat dommageable consistant en la mort d'une victime : en d'autres termes, une simple perte de chances, ou d'une durée de survie si la mort résultait inéluctablement d'autres causes que la faute ci-dessus spécifiée, ne permettrait pas de retenir le délit d'homicide volontaire ; 3 ) une causalité directe entre le 1 et le 2 ; qu'il est établi que l'interne Abdellah A..., pour s'en tenir à son titre à l'époque des faits, a effectué un examen visuel, puis un toucher rectal après avoir entendu les doléances de la patiente, conformément aux instructions données par son chef de service ;
qu'aucune anomalie décelable à l'oeil nu n'a été détectée, non plus qu'aucun corps étranger au toucher rectal ; que les experts ont établi que le type de tumeur en cause, situé au niveau de l'utérus, était extrêmement rare ; qu'étant donné cette rareté, le prévenu, débutant et non praticien confirmé, n'était pas en mesure d'en supposer la présence ; qu'il n'est pas établi en cet état que le prévenu, compte tenu de cette restriction de son savoir, ait commis une faute caractérisée ayant exposé la jeune fille (au surplus mal orientée par autrui dans son service) à un risque d'une particulière gravité ; que les experts n'ont pu affirmer avec certitude si, en octobre 1998, la tumeur avait une taille décelable et si on aurait pu arriver au diagnostic avec des moyens d'investigation poussée, dont ne disposait pas le prévenu ; que le tribunal, en énonçant qu'une prise en charge précoce, " augmente les chances de guérison ", n'a pas caractérisé la relation du décès en lui-même avec les fautes, au surplus non caractérisées, imputées au prévenu par la poursuite ; que si la tumeur n'était pas décelable, elle n'aurait pu être mieux décelée par le recours à un médecin référent sans examen lourd que l'absence d'anomalie n'eût pas fait prescrire ; que les experts n'ont pas établi qu'un diagnostic positif à cette période aurait sauvé la jeune fille ; que les éléments constitutifs du délit n'étant pas établis, le jugement sera infirmé et la cour ne pourra que relaxer le prévenu ;
"alors, d'une part, qu'en ne recherchant pas si l'interne de service des urgences gynécologiques de l'hôpital de Creil, qui non seulement s'est abstenu d'effectuer des examens cliniques complets et approfondis de la jeune Magalie Z..., lors de sa consultation en urgence du 24 octobre 1998, mais encore n'a pas cru bon de faire appel au médecin de garde et au chef de service pour leur faire part des symptômes extrêmement alarmants décrits par la jeune fille, qui l'avait amenée à consulter, en l'occurrence l'apparition d'une excroissance violacée de plusieurs centimètres par l'orifice vaginal, très douloureuse au toucher, qui s'était ensuite rétractée dans la cavité vaginale, ce qui n'aurait pas manqué de provoquer sinon un diagnostic précoce du moins des investigations complémentaires de la part de médecins spécialistes, n'avait pas commis une faute caractérisée exposant la patiente à des risques d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer compte tenu de sa formation et des informations qui lui étaient communiquées, ayant contribué à la situation ayant permis la réalisation du dommage, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;
"alors, d'autre part, qu'il suffit pour établir le lien de causalité indirect entre la faute caractérisée et le dommage, que l'auteur des faits ait créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, qu'en exigeant une " causalité directe " entre la faute qualifiée et le dommage (arrêt p. 5, 3-3 ) puis " une relation du décès en lui-même avec la faute ", lors même qu'il suffisait que les agissements du mis en cause aient seulement permis la réalisation du dommage, en privant la victime d'un traitement curatif, pour caractériser le lien de causalité entre la faute caractérisée commise par l'interne et le dommage, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu que, pour relaxer Abdellah A..., l'arrêt retient notamment que les experts n'ont pas établi qu'un diagnostic exact, à la date où le prévenu est intervenu, aurait permis de sauver la jeune fille ;.
Attendu qu'en l'état de ce seul motif, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, d'où il résulte que si la négligence du prévenu a pu priver la victime d'une chance de survie, il n'est pas démontré qu'elle soit une cause certaine du décès, la cour d'appel, abstraction faite du motif erroné mais surabondant tiré de l'incompétence du praticien, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 470-1 du code de procédure pénale, 1382 et suivants du code civil, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a débouté les parties civiles de leurs demandes ;
"aux motifs que le tribunal ne pourrait accepter une action directe contre le praticien que si une faute détachable du service était caractérisée ; qu'une telle faute doit se détacher nettement des fonctions exercées par une gravité exceptionnelle et inexcusable "équipollente à un dol" selon l'ancienne expression doctrinale ; qu'en se fondant pour affirmer une telle faute sur la simple désinvolture du prévenu, caractérisée elle-même par un propos supposé tenu par l'interne A... et nié par lui (avoir avalé un " yoyo "), propos rapporté par la mère de la victime, partie non neutre, et qu'aucun élément ne vient conforter, le tribunal a fait une fausse application de la loi et n'a pas démontré l'existence d'une faute détachable du service, alors même qu'elle aurait été commise par un personnel de droit public dans un local public et dans le cadre de sa mission ; qu'il échet donc d'infirmer les dispositions civiles du jugement et de débouter les parties civiles de toutes leurs demandes ;
"alors que constituent une faute personnelle détachable du service, le refus de prendre en compte les doléances de la jeune patiente, l'attitude de mépris affichée par l'interne, la désinvolture avec laquelle il a renseigné la fiche médicale, mais aussi le propos pour le moins scabreux et totalement indigne d'un médecin dans l'exercice de ses fonctions selon lequel la patiente aurait dû " avaler un yoyo " ; qu'en refusant de tenir compte de ces différents éléments et en considérant au prix d'une véritable dénaturation des actes de la procédure que ce propos n'était rapporté que par la mère de la victime et qu'aucun élément ne venait le conforter, lors même qu'il résultait précisément de la procédure que ce propos avait été tenu devant Céline B... qui accompagnait Marie-Thérèse Z..., qui en a attesté, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;

Attendu que, pour débouter les parties civiles de leurs demandes, formées subsidiairement en application de l'article 470-1 du code de procédure pénale, l'arrêt retient que la faute, commise dans l'exercice de sa mission par un agent de droit public, n'est génératrice d'une responsabilité civile personnelle que si elle se détache des fonctions par une gravité exceptionnelle et inexcusable ; que les juges énoncent que tel n'est pas le cas de la simple désinvolture caractérisée elle-même par les propos méprisants censés avoir été tenus par le prévenu ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors que la prévention reprochait seulement au prévenu d'avoir examiné superficiellement la patiente, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;