N° de pourvoi : 93-13302
Publié au bulletin +++
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Bordeaux,
4 février 1993), que la société Dérives résiniques
et terpéniques (société DRT), qui avait mis au point un
produit nettoyant ménager, dénommé E 121, en a confié
la distribution à la société Benckiser Saint-Marc devenue
société Lessives Saint-Marc (société Saint-Marc),
suivant une lettre-contrat du 22 avril 1968, stipulant pour l'essentiel, sans
limitation de durée, une exclusivité d'approvisionnement et de
fourniture et une non-concurrence réciproque ; qu'en 1981 les deux sociétés
ont entamé des pourparlers destinés à mieux définir
leurs relations ; que le 10 mai 1984, la société Saint-Marc a
déposé deux brevets enregistrés sous les n°s 84-07.384
et 84-07.305 ayant pour objet le premier une composition détergente liquide,
le second une crème à récurer ; que le 12 septembre 1984,
la société DRT et la société Saint-Marc ont conclu
un contrat par lequel la première s'engageait à approvisionner
la seconde en produit dénommé E 121 servant de base aux divers
produits que commercialisait cette dernière qui s'engageait elle-même
à s'approvisionner pour tous ses besoins en E 121, et à ne pas
participer pendant 5 ans à la fabrication et à la diffusion d'un
produit similaire ; qu'en 1987, la société Saint-Marc a cessé
de s'approvisionner auprès de la société DRT ; que la société
DRT a assigné la société Saint-Marc en annulation des brevets
et en indemnisation du préjudice résultant de la rupture unilatérale
du contrat ; que la société Saint-Marc a de son côté
assigné la société DRT pour concurrence déloyale
;
Sur le premier moyen, pris en ses huit branches :
Attendu que la société Saint-Marc fait grief à l'arrêt
d'avoir rejeté les exceptions de nullité du contrat du 12 septembre
1984, et de l'avoir déclarée responsable unilatéralement
de la rupture dudit contrat alors, selon le pourvoi, d'une part, que la violence
peut résulter d'une simple contrainte morale et notamment de la menace
d'un mal pécuniaire qui serait infligé à la personne qui
refuse de contracter sans qu'il soit nécessaire qu'un dommage ait été
déjà subi ; que l'arrêt, qui constate la réalité
de la menace exercée par la société DRT sur elle et l'efficacité
de cette menace sur un cocontractant dont la moitié du chiffre d'affaires
était conditionnée par le produit concerné, ne pouvait
sans violer l'article 1112 du Code civil écarter la violence au prétexte
que le refus de vente n'était pas établi ; alors, de deuxième
part, que, ne présente aucun caractère fautif le comportement
d'un industriel qui, lié avec un fournisseur depuis plus de 15 ans par
un contrat d'approvisionnement exclusif, à durée indéterminée
pour la fabrication d'un produit représentant la moitié de son
chiffre d'affaires entreprend de consulter d'autres fournisseurs de matières
premières ; qu'en qualifiant de déloyal ce comportement et en
conséquence de légitime la menace proférée par la
société DRT à l'égard de la société
Saint-Marc, l'arrêt a encore violé l'article 1112 du Code civil
; alors, de troisième part, que la menace est illégitime lorsqu'elle
vise à obtenir un avantage excessif ; qu'en l'espèce, elle avait
dans ses conclusions devant la cour d'appel souligné le caractère
abusif des clauses imposées par son cocontractant qui notamment étendait
l'interdiction de participer à la diffusion et la commercialisation de
produits similaires, tant en France qu'à l'étranger, à
tous dérivés terpéniques, ce qui était de nature
à entraver totalement son activité et la contraignait à
payer, sans cause, une redevance sur le produit qu'au bout de 5 ans, elle pourrait
fabriquer elle-même ; qu'en s'abstenant de prendre en considération
ces éléments, l'arrêt a entaché sa décision
d'un manque de base légale au regard de l'article 1112 du Code civil
et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, de quatrième part, que sont soumis à la règle de
la détermination du prix, les contrats entraînant une obligation
de donner ; qu'il en est ainsi d'un contrat ayant pour objet l'approvisionnement
exclusif du cocontractant en un produit déterminé, servant de
base à sa propre fabrication ; qu'en décidant que le contrat,
dont il constatait qu'il avait pour objet son approvisionnement exclusif dans
un produit qui servait de base à sa fabrication, était valide
bien qu'il ne comporte aucune stipulation fixant le prix ou permettant de le
déterminer, l'arrêt a violé les articles 1129 et 1591 du
Code civil ; alors, de cinquième part, et en tout état de cause,
que la validité d'un contrat prévoyant la vente d'un produit est
subordonnée à ce que le prix puisse en être librement débattu
entre les parties et ne puisse être imposé unilatéralement
par l'une d'elles ; qu'il s'ensuit que l'arrêt qui rappelle lui-même
que le produit en cause " constituait " le composant essentiel des
marchandises dont la " vente représentait près de la moitié
de son chiffre d'affaires ", et qu'elle devait s'approvisionner auprès
de sa cocontractante pour la totalité de ses besoins et s'interdisait
d'acheter chez d'autres fournisseurs des produits similaires, ne pouvait consacrer
la validité du contrat qui prévoyait que le prix serait "
réexaminé et " fixé tous les 4 mois " sans vérifier,
si compte tenu de ces éléments, la société DRT fournisseur
du produit n'était pas en mesure d'imposer sa volonté unilatérale
à sa cocontractante dont l'activité dépendait de la fourniture
du produit ; qu'ainsi, l'arrêt a entaché sa décision d'un
manque de base légale au regard des articles 1129 et 1591 du Code civil
; alors, de sixième part, que l'objet du contrat doit être certain
; que si la quotité de la chose peut être incertaine, elle doit
pouvoir être déterminée ; qu'il s'ensuit qu'est nul un contrat
par lequel une partie s'engage à s'approvisionner auprès d'une
autre " pour la totalité de ses besoins " sans aucun élément
permettant de déterminer la quotité concernée ; qu'ainsi,
l'arrêt a violé l'article 1129 du Code civil ; alors, de septième
part, qu'un contrat entaché d'une nullité absolue ne peut être
confirmé ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations
de l'arrêt que l'accord d'approvisionnement exclusif s'était poursuivi
après l'expiration d'un délai de 10 ans et avait été
à nouveau prorogé pour 5 ans par l'acte du 12 septembre 1984 sans
aucune interruption ni modification de ses dispositions ; que cette prorogation
qui contrevenait aux dispositions d'ordre public de la loi du 14 octobre 1943
était ainsi atteinte de nullité ; que l'arrêt a donc violé
l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943 ; alors, enfin, que le contrat du
12 septembre 1984 comportait une clause stipulant " elle s'interdit "
de participer directement ou indirectement à la " fabrication et
à la diffusion de produits similaires " susceptibles de concurrencer
le E 121 " ou de s'y " substituer tant en France qu'à l'étranger
(...) " ; que les produits similaires étaient très largement
définis ; que cette clause était de nature à restreindre
le jeu de la concurrence sur le marché des produits concernés,
dans les pays du Marché commun ; qu'en se bornant à faire état
des demandes de brevets d'invention présentées par des concurrents
sans prendre en considération l'effet restrictif du contrat sur le marché
en cause, l'arrêt a violé l'article 85-1 du traité de Rome
;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève, d'un côté,
que la société Saint-Marc, sans en aviser son fournisseur, la
société DRT, avait entrepris d'en rechercher d'autres, que la
société DRT avait avisé la société Saint-Marc
de ce qu'elle ne reprendrait la fabrication du produit E 121 qu'après
la régularisation par contrat des relations entre les deux sociétés,
et qu'il n'est pas démontré que pendant cette période la
société DRT ait refusé de satisfaire les commandes de la
société Saint-Marc, et, d'un autre côté, que la cessation
des relations entre les deux sociétés envisagée par la
société DRT n'était pas, pour elle, exempte de risque dans
la mesure où la fourniture de E 121 à la société
Saint-Marc, son seul client, représentait une perte non négligeable
de son chiffre d'affaires ; qu'à partir de ces constatations et appréciations,
la cour d'appel a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par
la deuxième branche, pu déduire que le comportement de la société
DRT, dans de telles circonstances, ne constituait pas une menace illégitime
et a répondu en les rejetant aux conclusions prétendument délaissées
;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt constate, d'un côté,
que le contrat litigieux n'est pas un contrat de vente, et qu'il impose à
chaque partie des obligations de fourniture et d'approvisionnement, que ce contrat
servait de base à des contrats de vente réalisées à
l'occasion de chaque commande, et, d'un autre côté, que les parties
avaient, à la date du contrat, fixé un prix de vente du produit
qui devait être réexaminé et fixé tous les 4 mois
et qu'effectivement elles avaient négocié la modification de ce
prix dans le cadre de l'exécution du contrat, sans que soit démontré
que la société DRT ait imposé sa volonté à
l'autre, le contrat prévoyant implicitement, mais nécessairement,
que si un tel accord n'était pas obtenu, le prix antérieurement
fixé demeurait valable ; qu'à partir de ces constatations et appréciations,
la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument
omise, a pu retenir que le contrat n'était pas nul par indétermination
du prix ;
Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt, qui avait relevé
que le contrat litigieux imposait à chaque partie des obligations de
fournitures et d'approvisionnement, relève qu'il ne met pas à
la charge de la société Saint-Marc l'obligation d'acheter une
quantité de produit ; qu'à partir de cette constatation, la cour
d'appel a pu décider que le contrat, n'étant pas un contrat de
vente, sa validité ne pouvait pas être affectée par l'indétermination
de la quantité de produit pouvant être acquisse par la société
Saint-Marc ;
Attendu, en quatrième lieu, que l'arrêt relève que les parties
ont été liées par une clause d'exclusivité pendant
dix années à compter du 22 avril 1968 et que, si après
le 22 avril 1978, elles ont continué à en respecter les termes,
elles n'y étaient plus obligées ; qu'à partir de ces constatations
et appréciations dont il résultait que, les sociétés
DRT et Saint-Marc étant, à compter du 22 avril 1978, dégagées
de leurs obligations contractuelles résultant de la lettre du 22 avril
1968, le contrat du 12 octobre 1984 ne constituait pas juridiquement la prorogation
de celui du 22 avril 1968, la cour d'appel a déduit à bon droit
que ces sociétés pouvaient, sans contrevenir aux dispositions
de la loi du 14 octobre 1943, conclure un contrat contenant une clause d'exclusivité
;
Attendu, en cinquième lieu, que l'arrêt énonce, à
bon droit, que la convention d'exclusivité n'est incompatible avec les
obligations résultant du traité instituant la Communauté
européenne, que si son application a pour objet ou pour effet de restreindre
ou de fausser la concurrence à l'intérieur du marché commun,
et retient que la preuve d'un tel effet n'est pas rapportée dès
lors qu'il est constant que plusieurs milliers de demandes de brevets ayant
pour objet des produits nettoyants ménagers ont été déposés
par des fabricants ;
D'où il suit que le moyen qui ne peut pas être accueilli dans sa
deuxième branche, n'est pas fondé dans ses autres branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Saint-Marc fait grief à l'arrêt
de l'avoir déclarée responsable unilatéralement de la rupture
dudit contrat alors, selon le pourvoi, que, dans un contrat comportant des obligations
réciproques, la responsabilité de la rupture ne peut être
mise à la charge de l'une des parties sans que soit examiné le
comportement de l'autre ; qu'elle avait fait valoir que, dans les mois ayant
précédé la rupture, elle s'était heurtée
dans la négociation des prix au mauvais vouloir de sa cocontractante
se refusant à un ajustement de ceux-ci, en fonction de la baisse des
matières premières, puis à des refus de livraison ; qu'elle
avait invoqué expressément la responsabilité de la société
DRT dans la rupture du contrat ; qu'en s'abstenant totalement de prendre en
considération le comportement de la société DRT pour s'attacher
uniquement à la cessation par elle de son approvisionnement auprès
de son fournisseur, laquelle pouvait cependant trouver sa justification dans
le comportement de celui-ci, l'arrêt a entaché sa décision
d'un manque de base légale au regard de l'article 1184 du Code civil
;
Mais attendu que l'arrêt relève que la société
Saint-Marc avait cessé de s'approvisionner auprès de son cocontractant
tout en poursuivant la production et la vente de ses produits, après
avoir retenu qu'il n'était pas démontré que, dans le cadre
de l'exécution du contrat d'exclusivité, le prix des produits
avait été imposé par la société DRT à
la société Saint-Marc ; que la cour d'appel a ainsi procédé
à la recherche prétendument omise ; d'où il suit que le
moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Saint-Marc fait grief à l'arrêt
d'avoir décidé que le brevet n° 85-07.385 appartenait à
la société DRT et que le brevet n° 84-07.384 était
nul alors, selon le pourvoi, d'une part, que la revendication d'un brevet d'invention
ne peut être admise que s'il est établi que l'invention a été
soustraite à ses inventeurs ou ayants cause, ou le brevet demandé
en violation d'une obligation légale ou contractuelle ; qu'en se bornant
à retenir " qu'il apparaît que ce ne peut être qu'à
la faveur des relations étroites entretenues " entre les deux sociétés
que les préposés de la " société Saint-Marc
ont pu avoir connaissance de la " formule chimique du produit E 121 ",
après avoir déclaré que cette formule avait été
tenue secrète par la société DRT et constituait un secret
de fabrique dont elle n'avait jamais eu communication par DRT, l'arrêt
qui se prononce ainsi par des motifs hypothétiques et contradictoires
n'établissant ni la soustraction ni la violation d'une obligation légale
ou contractuelle, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure
civile ; alors, que d'autre part, pour les mêmes motifs l'arrêt
a violé l'article 2 de la loi du 2 janvier 1968 ; alors, enfin, qu'en
se bornant à une simple affirmation sans indiquer de quels éléments
il résultait que les procédés concernés seraient
compris dans l'état de la technique, l'arrêt a violé l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève, d'un côté,
que la composition et le procédé de fabrication du produit dénommé
E 121 était un secret de fabrique que l'expert judiciaire n'a pas pu
réussir à analyser, et que le laboratoire spécialisé
auquel ce dernier a recouru n'y est parvenu qu'en utilisant un des échantillons
d'étalonnage fournis par la société DRT, et, d'un autre
côté, que la société DRT a pris toutes les précautions
utiles pour protéger le secret de ladite formule ; qu'à partir
de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui en déduit
que la société Saint-Marc n'avait pu se procurer cette formule,
ayant fait l'objet du dépôt du brevet n° 84-07.385, attribué
à deux de ses préposés, qu'au moyen des relations étroites
de confiance ayant existé entre les deux sociétés pendant
de longues années, a pu décider, par une décision motivée,
que la propriété de ce brevet devait être transférée
à la société DRT ;
Attendu, en second lieu, que, d'un côté, l'arrêt relève
que la crème à récurer revendiquée par le brevet
n° 84-07.384 relatif à la crème à récurer et
au procédé pour sa préparation, contient, outre les éléments
constituant la composition détergente décrite par le brevet n°
84-07.385, de l'eau, de l'hydroxyde de sodium, de l'acide alkylbenzene sulfonique,
des dérivés terpéniques, un agent antibactérien,
du plysiloxane, du carbonate de calcium et un colorant, et décrit le
procédé de préparation par incorporation dans l'eau de
ses composants dans un ordre déterminé, l'ajustement de sa viscosité,
de son pH ; que, d'un autre côté, il retient souverainement que
l'adjonction au détergent liquide d'une poudre abrasive constituée
de carbonate de calcium, est un procédé banal notoirement compris
dans l'état de la technique et que l'ajustement du pH et de la viscosité
ainsi que la stabilisation de la densité par dégazage, constituent
des procédés compris dans l'état de la technique ; qu'à
partir de ces constatations et appréciations, c'est en motivant sa décision
sans contradiction ni recours à des moyens hypothétiques que la
cour d'appel a décidé que le brevet litigieux était nul
;
D'où il suit que le moyen, pris dans ses trois branches, n'est pas fondé
;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Saint-Marc fait grief à l'arrêt
d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts fondée
sur la concurrence déloyale alors, selon le pourvoi, que les juges qui
constatent les éléments constitutifs d'un dommage ne peuvent débouter
la victime de sa demande de dommages-intérêts ; qu'en l'espèce,
il résulte des propres constatations de l'arrêt que la société
DRT avait procédé à son préjudice à une publicité
dénigrante, tant à l'égard de ses produits qualifiés
" d'ersatz " que de ses méthodes commerciales, en lui imputant
une " mainmise évoquant un accaparement réalisé selon
des procédés irréguliers " ; qu'à cela s'ajoutaient
des vocables rappelant des souvenirs de la période d'occupation allemande
; que ces motifs caractérisaient la réalité d'un dommage
que les juges du fond ne pouvaient s'abstenir d'évaluer et qui n'était
aucunement réparé par l'interdiction de dénigrement, susceptible
seulement de prévenir un dommage futur ; qu'en la déboutant de
sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt a violé l'article
1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la société Saint-Marc
qui soutenait que trente pour cent de ses ventes du produit Saint-Marc Ménage
avaient été perdues par suite de la concurrence déloyale
de la société DRT, n'apporte pas la justification d'un tel préjudice
; qu'à partir de ces constatations et appréciations des éléments
de preuve, la cour d'appel a pu rejeter la demande d'indemnisation de la société
Saint-Marc ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
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Publication : Bulletin 1995 IV N° 50 p. 46